Comment neutraliser le management toxique ?
Harcèlement moral, chantage, manipulation… Quand la pression monte au travail, les managers les moins armés déversent leur incompétence sur leurs collaborateurs. Et ça fait mal. Y compris à l’entreprise. Comment aider ces tyrans qui, parfois, s’ignorent ?
Ils ont les faveurs de la hiérarchie, ils s’approprient vos
meilleures idées et leur image externe rayonne. Mais sous les
apparences, ils soufflent le chaud et le froid et prennent un malin
plaisir à rabaisser leurs collaborateurs. Jusqu’à
l’asphyxie… Mal gérés, les « managers toxiques » font des dégâts souvent
irréversibles. Non seulement auprès des salariés, mais jusqu’aux
fondements de l’entreprise. Avec un coût mesurable et des effets
collatéraux : « résistance passive », désinvestissement, absentéisme,
épuisement psychologique, rupture de sens. Comment produire de la
performance « saine » sans asphyxier les salariés ? Jacques Fradin est docteur en médecine, comportementaliste et cognitiviste, directeur de l'IME et cofondateur de l'Institute of NeuroCognitivism (INC).
Pour lui, s’il est « managé » efficacement, le « management toxique »
n'est pas une fatalité. Sa solution : une organisation « biocompatible
», c'est-à-dire pleinement compatible avec le fonctionnement humain.
À quoi reconnaît-on le « management toxique » ?
C’est d’abord un résultat chez un managé. On a un symptôme de «
managé intoxiqué » lorsqu’on se sent en état d’incapacité à réaliser ses
tâches, ou quand on se sent mis dans des conditions d’exercice qui
paraissent déstabilisantes. Bien entendu, entre deux individus, il y a
souvent des décalages. Mais tout devient « toxique » lorsque les
difficultés s’installent de manière chronique ou lorsque les alertes
envoyées par le managé ne sont pas prises en considération. S’établit
alors une relation dysfonctionnelle au travail. Les effets sont nocifs
pour l’individu. Ils peuvent aboutir à un épuisement psychologique, de
la souffrance, voire une dépression. Ils sont également toxiques pour
l’entreprise car la pression ainsi exercée sur les salariés est
génératrice de perte de valeurs, de manque d’initiative, d’absentéisme,
de turn-over, et donc de coûts supplémentaires.
Comment agit un « Manager toxique » ?
Ce qui caractérise le plus le manager toxique, c’est son ignorance
volontaire ou inconsciente à prendre en compte les symptômes du stress
léger. Plus les études se multiplient, plus on constate que le stress,
même léger, est déjà l’annonciateur de dysfonctionnements plus intenses.
Le « bon stress » n’existe pas ou peu : quelqu’un qui est sous pression
ne perd pas ses moyens. Mais quand quelqu’un devient anormalement
susceptible, ce n’est plus de la contrainte, mais du stress. Ce qui fait
craquer les gens, c’est le sentiment de faire face à des ordres
contradictoires ou de ne pas comprendre pourquoi on fait certaines
choses. La deuxième couche, c’est la surcharge : si l’on performe bien,
le « manager toxique » aura tendance à vous rabaisser. Et à vous imposer
davantage de résultats. Dans des cas extrêmes, ça peut atteindre
l’échelle de la perversion. Certaines personnes tirent une jouissance et
une valorisation d’eux-mêmes à travers la déstabilisation d’autrui.
Mais dans la plupart des cas, le manager éprouve lui-même des
difficultés à remplir sa mission. Il se sent débordé, il n’est plus
attentif aux gens, parce qu’il est au taquet de ses propres capacités.
Dans ce cas, cette mécanique peut s’avérer inconsciente. Or, souvent, le
consommateur de management voit plus facilement les erreurs de son
manager. Pour une raison simple : il les subit.
Le contexte économique favorise-t-il ce type de management ?
On peut avoir le sentiment qu’il y a plus de stress au travail
aujourd’hui qu’il y a 30 ans. Particulièrement dans les pays
occidentaux. Les travailleurs des années 60 et 70 vivaient dans le
souvenir de la dernière guerre. L’euphorie de la croissance était, pour
eux, un facteur compensatoire. Elle contrastait alors avec une réalité
bien pire. Ce qui a changé, c’est le niveau d’exigence des salariés.
Avant, ils étaient davantage orientés sur leur réussite professionnelle.
Aujourd’hui, on souhaite également réussir sa vie personnelle. D’autres
facteurs, comme la compétition des pays émergents et l’accélération
exponentielle de la création, rendent la période très exposante. La
difficulté pour les salariés s’est accentuée car elle relève d’une perte
de sens : écarts grandissants dans la création de richesse (une société
bénéficiaire qui licencie, par exemple), dévalorisation du travail
réalisé et de l’individu devenu interchangeable... Les managers ne sont
d’ailleurs pas épargnés dans ce contexte, contraints de privilégier la
logique financière.
Le stress naît dans les organisations d’un surcroît de travail et d’un
déficit de reconnaissance. Comment aider les managers à déceler ces
signaux et à les combattre ?
Plus la tension est grande, plus il faut être bon pilote. Moins vous
prenez les gens à rebours – depuis leur personnalité jusqu’à la tâche
que vous leur demandez –, moins vous ferez de faux-pas. En fait, il
faut surtout apprendre à bien déléguer les responsabilités. Pour cela,
il faut accepter d’accorder le niveau d’autonomie et le niveau
décisionnel qui correspond au rôle du collaborateur. Faute de quoi,
c’est très stressant pour les individus. Et finalement, peu efficace
pour l’organisation. Un bon manager doit aussi pouvoir identifier
l’hyperinvestissement émotionnel de ses collaborateurs, car il peut
évoluer vers un comportement de workaholic et aboutir à un burn-out. En
réalité, s’il est capable d’ouverture, le manager n’est pas le problème
mais une solution. Il y a plus d’organisations troublantes et de
managers troublés en tant qu’individus que de managers intrinsèquement
toxiques.
Quand il y a malaise, comment réagir ?
Il y a deux façons d’aggraver les choses : soit en étant trop soumis
ou trop gentil, soit en relevant le défi du rapport de force. Dans ce
cas, on peut gagner devant les prud’hommes, mais perdre dans
l’entreprise. La bonne posture est d’abord de se mettre dans la peau de
son supérieur : pourquoi agit-il comme ça et me presse-t-il comme un
citron ? Y a-t-il des raisons objectives ou est-ce du harcèlement pur ?
En n’endossant pas systématiquement le rôle de la victime, on se
positionne comme partenaire et non comme opposant. On peut ainsi essayer
de lui faire comprendre que son attitude est contre-productive, qu’elle
tue les ressources de l’entreprise. C’est un bon début pour engager un
dialogue sain.
De manière plus concrète : à l’échelle de l’individu, comment se défaire de l’emprise d’un « manager toxique » ?
La méthode que je préconise est celle du faux naïf : je fais comme si
mon interlocuteur était intelligent et de bonne foi. Il faut lui poser
des questions constructives, en faisant préciser les choses dans le
détail. Surtout, il ne faut pas hésiter à lui envoyer un compte-rendu
par mail. L’avantage, c’est que ça renvoie l’abuseur – et parfois le
pervers – à sa responsabilité. À partir du moment où il y a une
factualisation écrite et non-hostile, cette personne sera
particulièrement confrontée. Dans un cadre ultime, il faut remonter les
faits à la hiérarchie. En préservant une traçabilité écrite.
Généralement, ça suffit à calmer le jeu. Certaines entreprises ont
instauré des systèmes d’alerte auprès de parrains anonymes. Des gens
susceptibles d’être contactés librement et qui ne parlent qu’avec
l’accord de la personne considérée.
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