La machine à vapeur fut l’une des composantes-clés de la révolution industrielle. Ses nombreuses déclinaisons et ses raffinements firent l’objet de nombreux brevets et créèrent des fortunes durant près de deux siècles. Mais aucun de ceux qui furent les acteurs du développement et du succès de cette technologie n’a vu arriver le moteur à explosion. Et tous sont maintenant oubliés.
Si l’industrie de l’informatique n’a pas encore basculé dans l’histoire ancienne, il est d’ores et déjà permis d’établir un parallèle entre le destin de ceux qui animèrent la première révolution industrielle et celui, probable, des pionniers de l’octet.Les Hewlett-Packard (HP), IBM et Microsoft, pour ne citer que les trois plus gros, font tous face à un changement d’orientation de leur métier. Si leurs marges progressent, leur chiffre d’affaires stagne et leurs parts de marché sont déclinantes. La raison principale de ce marasme tient à ce qu’ils sont absents des nouveaux marchés. Alors qu’ils les considéraient comme des « niches », ceux-là se sont révélés comme les moteurs de la croissance informatique.
Mais comment expliquer leur absence de marchés que ces grandes entreprises ont contribué à créer ? C’est là tout le paradoxe de la révolution informatique. Ces sociétés créent des outils sans pouvoir contrôler les conséquences de leur utilisation…
L’exemple le plus flagrant est celui d’IBM, qui a créé l’ordinateur individuel, le PC, en 1981. Pour ce grand groupe, il fallait s’adresser au marché professionnel, avec une attention sur la vente de matériel.
Ses stratèges ne verront ni le virage logiciel qu’ils évaluent comme une commodité, ni celui de l’ordinateur familial et de l’industrie du jeu vidéo. Leur manque de clairvoyance continue de coûter cher à IBM du fait des occasions de créer de la valeur qui ont été manquées.
C’est Microsoft qui est devenue la première société éditrice de logiciels au monde grâce à cette erreur, et c’est le groupe chinois Lenovo – il a racheté la division PC d’IBM en 2005 – qui est maintenant le premier constructeur mondial de cette machine.
Mais Microsoft a été touchée par les mêmes symptômes. Persuadée que les trois verrous de l’informatique que sont le système d’exploitation, les suites bureautiques et les ateliers de programmation étaient sous son contrôle, la société n’a pas compris que les vrais enjeux d’Internet étaient ailleurs.
Pas plus qu’IBM ou HP, elle n’a pris la mesure du moteur de recherche, de l’accès aux contenus multimédias, des applications sociales ou de l’informatique dans les nuages (cloud computing). Or, c’est là que vont se créer de nouveaux empires. Google, car cette entreprise est la première à comprendre l’importance de l’exploitation des données qui transitent sur le Net ; Apple, qui renaît de ses cendres en « solutionnant » l’accès légal aux contenus vidéo et audio ; Facebook, qui invente un nouveau modèle social ; Amazon, qui pose les fondements de l’informatique « virtualisée » avec le cloud.
Nos dinosaures sont-ils pour autant sans armes ?
Sur les trois premières innovations, aucune réaction. IBM et HP étaient trop occupés à s’opposer tandis que Microsoft, bafouant les standards, se battait pour imposer Internet Explorer, pensant qu’il était le cœur de la Toile.
TECHNOLOGIES DU PASSÉ
Leur bilan, sur le cloud, n’est guère plus satisfaisant. Quand Amazon a lancé, en 2006, son modèle de services en ligne, il a fait sourire nos trois diplodocus. Quoi ? Un bouquiniste se lance dans l’informatique ? Mais les premiers succès d’Amazon ont vite menacé le marché de la gérance informatique où IBM et HP sont deux acteurs majeurs. Les années ont passé et le « bouquiniste » continue son cavalier seul dans une industrie dont il a redéfini les normes, en dépit d’une forte agitation marketing de ses aînés autour du cloud. Tous trois mettent en avant leurs technologies du passé, là où Amazon a inventé un modèle rapide, économique et simple à mettre en œuvre. Une stratégie du besoin contre des stratégies de produits.
Ces sociétés affichent par ailleurs la même incompréhension face aux révolutions qui se déroulent sous leurs yeux. Et le rythme des bonnes occasions qu’elles ratent ne fait qu’accélérer.
Mais la plus grosse carence dont elles font preuve est l’absence de modèle participatif. Quand IBM a inventé le PC en 1981, elle a entraîné avec elle des centaines de firmes qui innovaient, produisaient et croissaient dans ses pas. Quand Microsoft a proposé les « bibliothèques » DirectX en 1995, l’entreprise s’est assurée, pendant dix ans, le champ de développement de l’industrie du jeu. C’était il y a respectivement trente-trois et dix-huit ans.
Or, avec Android, iTunes, les jeux sociaux, chacun de leurs nouveaux concurrents a permis l’émergence et l’explosion d’autres acteurs. Demandez à Samsung, aux millions de développeurs iOS, à King (éditeur de Candy Crush) ou à Netflix ce qu’ils pensent de leur association avec ces nouveaux géants ?
Les HP, IBM et Microsoft ne sont sans doute pas sans armes, mais ils sont sans vision. Il faudra plus que du marketing pour retrouver une position dominante sur un marché qui se renouvelle sans cesse et de plus en plus vite. Il faudra retrouver le sens de l’innovation et la capacité à emmener dans leur sillon les millions de geeks qui permettront l’émergence des géants de demain. N’en déplaise aux stratèges de nos trois dinosaures, la situation ressemble quand même beaucoup à la fin du moteur à vapeur.
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