Jean-Louis Muller, directeur associé du groupe Cegos et auteur du blog « Le management dans tous ses états » nous fait l’honneur de nous livrer sa vision quant aux nouveaux modes de management.
Nous l’en remercions vivement et lui ouvrons nos colonnes.
Les pratiques dominantes de management sont censées répondre aux enjeux et défis que vivent les organisations aujourd’hui et probablement demain. En cette période de mutation et d’amoindrissement de la visibilité, cinq principales exacerbations produisent des effets sur la gestion des hommes. Quelles sont-elles ?
Exacerbation de la guerre des prix entre des entreprises qui ne sont pas régies par les mêmes règles du jeu sociales, juridiques, environnementales et fiscales. Exacerbation de la volatilité des clients et consommateurs qui exigent des produits et services innovants dans des temps courts entre leur commande et leur livraison. Exacerbation, en Europe et en particulier en France des peurs des collaborateurs quant aux changements en cours et à venir. Exacerbation du travail en mode asynchrone, à distance et multiculturel favorisée par pléthore d’outils de communication tels qu’intranets, réseaux sociaux, e-learning, bases de données partagées, progiciels intégrés de gestion. Exacerbation de l’immédiateté qui engendre de la réactivité et une perte de sens là où il conviendrait de développer la pro activité pour anticiper et innover.
De surcroît, les baby-boomers partant à la retraite, les organisations, tant privées que publiques, recrutent des jeunes qui manifestement n’épousent pas les codes anciens dans les relations.
La raison d’être du management reste la même, à savoir : orienter les personnes et les équipes vers l’atteinte des meilleurs résultats économiques durables dans le temps. Les cinq exacerbations décrites plus haut conduisent à accentuer des pratiques de management déjà existantes, à en réviser certaines et à en inventer d’autres. Examinons ces trois registres.
L’accentuation des méthodes d’optimisation
Ces méthodes de management répondent à la question cruciale dans un univers hyper concurrentiel : » comment faire plus et mieux avec moins de moyens et de temps ? La dernière approche sur cette problématique est le Lean management. Les entreprises qui s’appliquent le Lean se focalisent sur la suppression de tous les gaspillages pour pouvoir concentrer leurs forces et leurs ressources sur les activités à forte valeur pour leurs clients. Le Lean est une version modernisée d’approches telles que le Kaisen – amélioration progressive des processus - le BPR – business process re-engineering - et encore plus anciens les cercles de qualité et le TQM – total qualité management.S’inscrit aussi dans cette perspective d’optimisation l’alignement stratégique, qui consiste à rendre cohérents stratégie, organisations, valeurs, management et règles du jeu. Une déclinaison de l’alignement stratégique est l’excellence d’exécution.
Cette recherche d’optimisation est facilitée par l’existence d’outils informatiques sophistiqués qui génèrent un management transversal des processus.
Les pratiques en transformation
Le management du changement change de nature. Jusque dans les années 1980 il s’inscrivait dans une démarche de type développement des organisations où les managers partaient d’un stade fixe A pour conduire les collaborateurs vers un stade fixe B. L’équation à résoudre consistait à traiter les turbulences du passage d’un équilibre à un autre en anticipant les résistances. La méthode dominante linéaire était le PDCA – Plan Do Check Act. Puis, les stades fixes disparurent, le déséquilibre était permanent, faisant éclore le management de la complexité atténuant les démarches linéaires. Aujourd’hui, le management du changement cède la place au management des transitions - on ne peut plus savoir exactement où l’on va, mais le rôle des managers consiste justement à construire un futur.Le management de crise reste pertinent avec les situations critiques conjoncturelles, catastrophes écologiques ou sanitaires ainsi que les atteintes à l’image de marque. Le management de crise vise la restauration une situation antérieure. Mais ses bonnes pratiques ne sont pas opérantes pour traiter les effets de la crise des subprimes et la dérégulation mondiale sur les entreprises. Nous sommes déjà dans l’ère du management des mutations et du management de l’incertitude. Pour aider les managers à être à l’aise et efficients dans ce paradigme, les lectures et démarches systémiques sont particulièrement utiles. La pensée linéaire de type : une cause produit un effet n’a plus de sens. Il convient maintenant de faire émerger les paramètres et leurs interactions pour anticiper et traiter les problèmes.
La conception du leadership change aussi de nature. La bonne question n’est plus : « comment développer mes talents de leader?», mais : » comment faire émerger du leadership dans toute l’organisation?». On retrouve ici le concept déjà ancien d’empowerment – mise en pouvoir- ou de subsidiarité. Pour faciliter ce mouvement, de nombreuses entreprises procèdent au management par les valeurs.
Deux pratiques émergentes
Pendant que des organisations « rament » et essoufflent leur personnel dans une course à la réactivité, d’autres choisissent le management agile. Ce concept et ses pratiques ont d’abord été expérimentés en informatique pour être étendues au management. Au lieu de fonctionner en mode linéaire, le management agile s’instaure en mode expérientiel itératif. Les métaphores le plus souvent employées pour qualifier ce management sont le surf ou le ski de bosses. Des décisions sont prises in situ sans passer par une commission ou la voie hiérarchique. Dans ces configurations agiles, les équipes sont invitées à se réunir immédiatement pour résoudre un problème et trouver des solutions viables. Celles et ceux qui aiment planifier leur temps à l’avance et ne faire qu’une chose à la fois se voient bousculés dans leurs routines. Ils sont de plus invités à penser « hors du cadre » et à faire preuve d’impertinence si nécessaire.Le management web 2.0 est une extension en entreprise de pratiques usitées par les internautes. Se développent ainsi des opportunités collaboratives qui permettent de travailler à distance, en mode asynchrone et multiculturel. Les mails se voient ainsi détrônés par des wikis internes, des intranets, des plateformes de travail collaboratif en temps réel et des réseaux sociaux. Ce type de management facilite la réalisation des projets transversaux, l’apprentissage permanent l’innovation et l’agilité organisationnelle. En revanche, il déstabilise encore plus des managers, qui déjà à l’époque des mails se plaignaient des courts circuits entre collaborateurs. Les générations montantes trouvent « normal » ce type de management.
Notons avant de conclure qu’un serpent de mer réapparait tous les vingt ans : l’auto management. La première expérimentation fut la mise en place d’équipes semi-autonomes, la deuxième, les équipes automanagées et la plus récente, les projets sans chefs. Il est probable que le coût du management ainsi que ses lourdeurs bureaucratiques amènent des dirigeants à se poser la question : « et si on supprimait les managers, que se passerait-il ? »
Les concepts, méthodes et outils de management sont le fruit de recherches, d’expériences, de bonnes pratiques et d’échecs féconds. Les sciences de la gestion, comme les autres sciences humaines et sociales (psychologie, sociologie, économie…) sont parfois le jouet d’errements, amplifiés par des gourous médiatiques. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! La pensée managériale a facilité l’adaptation et les progrès des organisations depuis le début du XXe siècle. Elle a contribué aux avancées technologiques et à l’amélioration générale du niveau de vie et des connaissances.
Quel que soit leur niveau de rationalisation, les sciences de la gestion restent toutefois indéterminées quant à leurs prescriptions pratiques. La réussite du passé ne garantit pas celle du futur. La réussite dans un contexte donné ne garantit pas celle dans un contexte différent. La part de création et d’ajustement est constante dans les réussites collectives. Je souhaite contribuer avec cet article à l’intelligence managériale.
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