Une amie m’écrivait ce matin : ”Mon école vient de me supprimer
deux postes pour m’encourager à poursuivre le déploiement du projet
[...] ! Je devais les confirmer en CDI mais la conjoncture étant
mauvaise, les dirigeants se sont opposés à toute confirmation de poste !
Même si j’ai la foi, le doute s’installe quant à mon avenir à [...]
pour poursuivre cette expérimentation.“
Quel projet ? Une pédagogie dans laquelle les étudiants composent
eux-mêmes leur chemin, auto-apprennent dans un environnement “nutritif”
et stimulant composé d’animateurs dévoués et passionnés qui les
accompagnent dans leur quête. Là, les étudiants se développent de
manière intégrale, ouvrant leur intelligence intuitive et émotionnelle
autant que mentale-rationnelle. Et tout cela avec du web 2.0, des médias
sociaux, de la mobilité, de la relation et du lien, de l’humilité et du
questionnement de soi.
Et pas de budget. Une histoire déjà entendue quelque part, non ?
Regardons les choses en face. La vision et le projet que mon amie
porte questionnent en profondeur les principes mêmes qui régissent
l’institution qui porte l’enseignement aujourd’hui. L’école et les
universités sont un modèle obsolète, totalement conforme à la vision
industrielle du XIXème siècle, celle qui nous voit comme des
“contenants” dans lesquels il faut déverser de la connaissance, et ce, à
la chaîne. Il n’y a pas de hasard si l’univers de l’enseignement se
définit autour de mots tels que “programmes”, “filières”, “sections”,
“niveaux”, “évaluations”… Une ontologie mécanique, minérale,
déterministe, prédictive, orientative, qui ne laisse pas grand place aux
dynamiques naturelles du vivant, à l’organique, au chaordisme.
Ainsi donc, par une série “d’accidents”, d’actes manqués –budgets serrés ou coupés, ratés, peurs, croyances, lois et régulations, des rumeurs, avarice du temps, principe de Peter,
pour en nommer quelques uns– le corps de l’intelligence collective
pyramidale rejette tout ce qui peut le mettre en danger. Ces actes
manqués opèrent tels des anticorps dont la fonction consiste à éliminer
les projets et visions innovants, à les discréditer ou les décourager,
pour au bout du compte éradiquer tout ce qui menace la structure
profonde du corps collectif. Il ne sert à rien d’incriminer tel ou tel
responsable qui bloque les choses, il/elle vous dira qu’il/elle a des
obligations du fait de sa fonction ou de l’idéologie qu’on l’a chargé
d’incarner. Rien de personnel, bien sûr… Il/elle ne constitue qu’une
partie d’un système qu’il faut comprendre dans son ensemble. Il/elle
existe grâce à ce système qui lui a donné ce pouvoir. Et malgré tous ces
obstacles, ici et là, les petites cellules pionnières demeurent,
s’inter-connectent, se coordonnent, construisent de nouvelles capacités
en intelligence collective holomidale, et continuent ainsi d’ouvrir la
voie pour la grande mutation. En intelligence collective, ces mécanismes
nous sont bien connus. Quiconque évolue dans de tels contextes d’IC
pyramidale devrait devenir familier avec ces dynamiques. Voilà qui offre
moins de déceptions et plus de stratégies.
L’évolution se joue à la crête des écosystèmes, aux confins de
l’ancien et aux murmures du nouveau. On y croise des zones de
turbulence, faites de conflits et de quelques lieux fertiles. Des
espaces souvent brutaux dans lesquels les pionniers ne peuvent que faire
aveuglément confiance aux forces d’évolution qui les traversent et les
animent. Ici on doit se fier à sa propre expérience de transcendance, un
fil d’Ariane qui nous guide depuis le fond du dédale, là, à
l’intérieur, alors que tout démontre l’impossibilité de chaque pas.
J’ai beaucoup de gratitude pour cette amie — et pour tous mes amis
pionniers — pour la dévotion qu’ils portent en eux, pour ces batailles
qu’ils mènent dans ces vieux corps collectifs (entreprises, écoles,
administrations, gouvernements…) à intelligence collective pyramidale
mus par l’économie de la rareté.
Méditons, posons-nous. Que l’immobilité intérieure dirige nos pas.
Laissons les forces d’évolution nous imprégner. Elles nous offrent
compassion et patience. Comme l’eau, elles taillent les rochers.
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