jeudi 3 octobre 2013

Le courage est l'outil majeur de gouvernance d'entreprise

Ni inconscience, ni aveuglement, ni témérité, le courage ne s'envisage pas sans prise de risque. Il se doit de toucher toute la chaîne hiérarchique pour un meilleur fonctionnement collectif.

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Crédits photo : Martin Jarrie pour « Les Echos »
Le courage de dire " non" à son supérieur peut lui éviter des erreurs.

En dépit de la prolifération des peurs liées à l'incertitude économique, qui favorisent les comportements de repli, de fuite ou de paralysie, le courage garde plus que jamais sa place en entreprise. Il y a peu, dans les colonnes des « Echos », Xavier Fontanet partageait en filigrane cet avis. Désormais professeur de stratégie à HEC, l'ancien PDG d'Essilor en appelait même à Jaurès, définissant le courage comme « l'esprit d'entreprise » : « Est chef celui qui procure la sécurité en prenant sur lui tous les risques de l'entreprise. »
 
Le courage, qui n'est ni inconscience ni aveuglement, ne saurait en effet s'envisager sans prise de risque. C'est en substance le credo qu'a développé, fin août, sur les terres du Château Smith Haut Laffite, près de Bordeaux, la 19e édition de l'Université hommes-entreprises. Chefs d'entreprise, managers, professeurs, témoins et personnalités (Luc Ferry, Fabrice Hadjadj, Pierre Rabhi, etc.) se sont penchés deux jours durant sur ce « juste milieu entre témérité et lâcheté », auquel Aristote attribuait « la première des qualités humaines car elle garantit toutes les autres. » Des perspectives prometteuses pour l'entreprise, qui ne tire pas assez avantage du courage, cet « outil pourtant majeur de la gouvernance d'entreprise », comme l'a rappelé la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury.

Le courage de la dissidence envers son chef

En climat tendu de crise, il n'est guère facile pour un chef d'entreprise - en ces circonstances, dépourvu de filet de sécurité - de tenir tête à des actionnaires ou d'expliquer à la base une décision difficile. Rares aussi sont les dirigeants, à l'instar de Jay Nirsimloo, le nouveau président de KPMG France et Afrique francophone, à déclarer vouloir encourager le débat contradictoire en interne pour plus d'efficacité opérationnelle. Prendre le temps de débattre ne serait pourtant pas du temps perdu, au contraire… Mais le plus souvent, un numéro deux, un manager intermédiaire ou un simple collaborateur préfère renoncer à s'exposer - de peur d'être sacrifié par « le système » - plutôt qu'oser exprimer une opinion non conforme à la doxa hiérarchique. « Ce type de courage est pourtant indispensable », assure Frédéric Fréry, professeur de stratégie à ESCP Europe.
 
Dans son ouvrage Les Décisions absurdes, sociologie des erreurs radicales et persistantes, Christian Morel en fait la savante démonstration, observant, par exemple, qu'il y a davantage d'accidents quand le commandant pilote l'avion que lorsque c'est le numéro deux qui se retrouve aux commandes. « La raison vient de la difficulté à dire au commandant qu'il se trompe, alors que l'inverse est plus aisé », explique le sociologue. Une situation préjudiciable au collectif de travail.

Déléguer ou le risque de faire confiance

Le courage s'exprime nécessairement dans un rapport aux autres, y compris en situation de délégation. Déléguer revient à prendre le risque de faire confiance. Un pas difficile à franchir par le délégataire, qui sera jugé sur ce que d'autres auront fait. En chirurgie, rappelle Christian Morel, un bloc démocratique, où une infirmière peut dire au chirurgien qu'il y a un problème, parvient à un taux de mortalité inférieur à un autre où on jugerait inconcevable de l'autoriser à parler. Idem sur une base aérienne, où l'officier de sécurité - qui n'est pas le plus gradé - peut pourtant décider d'annuler un plan de vol. Pourquoi ce qui se passe dans une salle d'opération ou sur une base aérienne ne pourrait être appliqué le long d'une chaîne hiérarchique d'entreprise ? « Les résistances sont fortes », reconnaît un banquier d'affaires. « Débutant, j'ai souffert, sans broncher, des nuits blanches à répétition… Aujourd'hui devenu " director", je les impose à mes équipes, conscient qu'elles ne sont pas toutes nécessaires… Mais c'est comme ça que nous fonctionnons ! », confie-t-il. Pas facile de proposer un changement de règles.
 
Personne ne détiendrait « le monopole de la régulation en entreprise », selon Cynthia Fleury. « Tout le monde est responsable de la non-perversion du système et des dysfonctionnements répétés », précise-t-elle. L'entreprise a tout à gagner de l'effort fourni par chacun pour surmonter sa peur d'agir différemment ou encore tout bonnement celle de sortir de son bureau - donc d'une relative tranquillité - pour ne plus esquiver un conflit larvé mais préjudiciable au collectif de travail.
 
Les éléments qui dopent la prise de risques
- Le droit à l'expression de la contradiction, des émotions et des peurs.
- Une claire définition des objectifs et un droit à l'échec.
- Une politique de formation active.
- La récompense du comportement et non du seul résultat.
- L'incitation à tirer des leçons des « feedbacks » et du passé.
- Le sens de la coopération.
- Le désir d'apprendre des autres.
 

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