14/12/2011 | Mise a jour : 16:00
L'utilisation permanente des différents moyens de communication entraîne des changements tangibles dans la vie psychique des jeunes.
Martine, maman de Léonard, 16 ans, n'en revient pas: «il est censé faire ses devoirs, s'installe devant l'ordinateur et j'entends sa messagerie SMS vibrer toutes les deux minutes. Puis je m'approche de l'écran et vois dans la colonne de droite ses amis Facebook qui chattent avec lui... Comment parvient-il à se concentrer sur ses révisions d'histoire?» Son étonnement est partagé par une majorité de parents qui observent, incrédules, les agissements numériques de leurs rejetons: purs produits de la génération Internet ceux-ci sont en effet experts dans l'art digital de jongler instantanément entre différents plans: virtuel-réel, ici-ailleurs, moi-les autres... et surtout différentes connexions: portable, écran, MP3...
Quels changements tangibles de leur vie psychique via cette «greffe» permanente de médias peut-on déjà observer? «Concernant le multitasking (faire plusieurs tâches en même temps*), il reste évident que cette pratique ralentit la concentration en obligeant le jeune à sans cesse se débrancher puis se rebrancher sur un objet d'attention, confirme Yann Leroux, docteur en psychologie, psychologue en CMPP à Périgueux et lui-même gamer. Les ados doivent aujourd'hui comme hier apprendre à se mettre dans un environnement de travail, et pour cela il leur faut des moments où ils savent s'isoler.»
Pour le reste, «ils maîtrisent», comme le répètent Léonard et ses copains à leurs parents. «Les adultes leur renvoient souvent une image diabolisée des outils technologiques, alors que ces jeunes se sentent juste de plain-pied dans l'évolution actuelle, explique Dominique Texier, pédopsychiatre-psychanalyste, auteur d'Adolescences contemporaines (Éd. Eres) qui vient de diriger le colloque «L'enfant connecté» (1). Ce qu'ils revendiquent est juste: le monde entier est actuellement soumis à une nouvelle interface entre l'homme et la machine, ajoute-t-elle. Et nous sommes tous pris dans ce monde. Il est important que les adultes ne l'oublient pas.»
Modification du lien social
Hors pathologie avérée, ces jeunes savent parfaitement faire le distinguo entre réel et virtuel, et les professionnels en tiennent compte dans leur pratique clinique. Mieux, ces derniers semblent aujourd'hui relever davantage d'effets bénéfiques des nouveaux médias sur nos chères têtes blondes. «Beaucoup de jeunes qui, il y a quinze ans, auraient basculé dans la psychose trouvent, grâce à Internet, des réseaux de suppléance*, affirme Dominique Texier. Certains, mal partis, se reconstruisent devant leur écran.» Ainsi, une jeune fille obèse peut se faire passer pour une Lolita et trouver quantité de petits copains virtuels, ce qui lui sera bénéfique sur le moment en haussant sa confiance en soi. Et en l'aidant à se préparer à la vraie rencontre.
Meilleur apport de ces nouveaux médias: les liens variables de socialisation. «Les ados peuvent fonctionner» à l'opportunité*, explique Yann Leroux: organiser au tout dernier moment une sortie au cinéma entre copains, intensifier ou ralentir, voire arrêter une relation grâce aux messages qu'ils envoient, rendre public ce qui était privé... En utilisant tous ces outils, ils font donc un travail très intense de communication et de représentation de soi.» Si la possibilité de rencontre s'est donc démultipliée grâce aux outils numériques, ne s'est-elle pas aussi, d'une certaine manière, appauvrie? N'étant pas engagés corporellement dans la plupart de leurs «chats», et de plus en plus habitués à parler à un avatar, ils risquent de ne rencontrer qu'un «autre inconsistant». «C'est surtout dans la gestion des conflits que nous repérons cette faille, observe Dominique Texier. Comme ils peuvent choisir leurs clans, leurs amis, ils se confrontent de moins en moins à l'altérité et ne se connectent qu'avec un autre qui est»le même qu'eux*. Ils prennent donc moins de risques et cela se ressent dans leur manière d'exprimer leur agressivité, ce qu'ils font de moins en moins par la parole.»
Pratique sans doute née de cette déresponsabilisation, le cyberbulling, création d'un réseau pour ostraciser celui avec qui on n'est pas d'accord, et qu'on exclue donc de sa liste d'amis..., sans être engagé dans aucune parole. Cette modification radicale du lien social est sans doute l'aspect le plus prégnant des nouveaux comportements chez les jeunes et elle affecte aussi la représentation de soi. Dès qu'ils vivent une situation et la mettent en ligne, les ados numérisés attendent un «j'aime-j'aime pas» comme réaction de la part de l'autre. Tout rapport social est traité comme une information. Ils attendent aussi un retour sur des extraits de leur journal intime, ce qui interpelle Dominique Texier: «l'individu ne se construit pas seulement dans le narcissisme, rappelle-t-elle, avant de préciser: mais il en est ainsi du monde que nous, adultes, sommes en train de fabriquer sans toujours nous en rendre compte. Et ce sont les adolescents qui viennent nous le révéler».
(1) «L'enfant connecté», journées d'études organisées par la fédération des CMPP les 1er, 2 et 3 décembre 2011 à Paris (http://www.fdcmpp.fr/journees-d-etude-2011-l-enfant.html).
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