Utiliser la musique pour parler de lui et de ce qui le touche sans en parler vraiment. Pour laisser place à ses émotions et se confronter à celles d’autrui. Ou encore, pour s’exprimer autrement qu’avec des mots qui ont tant de mal à trouver la sortie… Voilà autant de bonnes raisons d’orienter un ado en difficulté vers la musicothérapie.
L’un a travaillé en hôpital psychiatrique, l’autre en foyer pour jeunes, mais tous deux ont expérimenté la musicothérapie dans leur pratique auprès d’adolescents. Des ateliers qu’ils ont menés sur plusieurs mois, parfois plusieurs années, et durant lesquelles ils ont pratiqué à la fois la musicothérapie dite réceptive, fondée sur l’écoute d’extraits musicaux, mais aussi, et surtout, la musicothérapie active, basée sur l’utilisation d’instruments et de la voix. Le psychanalyste Olivier Douville et la psychologue Gabrielle Fruchard nous expliquent en quoi cette prise en charge correspond particulièrement à cet âge charnière de la vie qu’est l’adolescence.
Une thérapie à médiation
La plupart des thérapies classiques reposent sur le même principe : elles utilisent la parole et la communication. Or, à l’adolescence, dire son mal-être, ou son malaise, peut être d’autant plus difficile que l’on se trouve souvent dans une phase de rejet. Le jeune patient n’arrive pas à verbaliser ses difficultés, et dans bien des cas, il n’en n’a de toute façon pas envie ! S’asseoir une heure durant face à son thérapeute et tenter, tant bien que mal, d’échanger sur ses émotions et son fort intérieur : très peu pour lui. « Il nous faut donc chercher des modalités de communication, de prise en charge et de soutien d’un autre type, explique la psychologue Gabrielle Fruchard. La médiation, c’est-à-dire le fait d’utiliser un média pour cela, permet au patient de parler de la musique, que ce soit celle qu’il vient d’écouter, ou celle qu’il vient de produire, avec le sentiment de parler de quelque chose d’extérieur. C’est toute la question de la stratégie du détour, qui permet de parler de ce qui nous touche sans en parler directement, sans s’en rendre compte. » Utiliser la musique avec les ados revient en fait à utiliser le jeu ou le dessin avec les enfants.
L’adolescent et le sonore
Et si c’est justement la musique que certains psys choisissent d’utiliser à destination des ados, c’est qu’il s’agit d’un média bien plus pertinent à cet âge que le jeu ou le dessin. « En effet, précise Oliver Douville, l’adolescence est une époque où le rapport des jeunes au sonore se transforme. La voix par exemple, et en particulier celle des garçons, change, elle mue. Et devient ainsi un objet pulsionnel très privilégié à cet âge-là. Le cri aussi. Mais à l’adolescence s’opère également un changement de langue : on ne parle plus la langue familiale, ni la langue maternelle. Les ados ont besoin d’attaquer les figures conventionnelles. Avec la musicothérapie, nous essayons de comprendre comment ce passage d’un corps à un autre, d’une voix à une autre, d’un environnement sonore à un autre, d’une langue à une autre, peut donner lieu à des expériences qui n’enferment pas le sujet dans ses énigmes, dans ses inquiétudes. Au contraire, il s’agit de l’aider à s’ouvrir à un autre monde, que l’on peut considérer ici comme un monde esthétique. »
Se confronter aux émotions
Colère, tristesse, nostalgie, enthousiasme… La musique laisse rarement place à l’indifférence. La musicothérapie est donc l’occasion, que ce soit par l’écoute ou le jeu, de se confronter à ses émotions. Mais à l’adolescence s’ajoute en plus la relation triangulaire entre les parents, le jeune et la musique. « Lorsque je demande aux ados de parler de leur rapport à la musique, nombreux sont ceux qui confient s’endormir avec la chaîne-hifi allumée ou les écouteurs dans les oreilles, ce qui peut être interprété comme la recherche d’une berceuse, loin de la voix de la mère. Il y a aussi ceux qui expriment de la frustration, si leurs parents les empêchent d’écouter la musique qu’ils aiment. Ou encore ceux qui en sont dégoutés, parce qu’ils ont été contraints d’apprendre le solfège. » Ecouter de la musique, en jouer, en parler… Trois façons d’accéder à leurs émotions enfouies, et de leur permettre de s’exprimer. « De plus, ajoute Olivier Douville, faire de la musique avec quelqu’un nécessite à la fois de se soumettre à son regard, mais aussi de se confronter à ses émotions. Grâce à la musique, et à la possibilité qui lui est donnée de répondre, l’ado apprend à accueillir l’émotion d’un tiers sans la vivre comme une intrusion. »
Créer ne signifie pas maîtriser
Il n’est pas nécessaire de savoir jouer d’un instrument pour faire de la musicothérapie. Le but de cet atelier n’est pas de maîtriser ou d’être amené à maîtriser la musique, au contraire. Être musicien peut même nuire à la réussite d’un tel travail sur soi, car c’est prendre le risque de se réfugier dans la technique ou la performance, plutôt que d’essayer vraiment d’accéder à ses émotions. « Il s’agit d’un travail de communication interpersonnelle, d’expression de soi, et de quelque chose de l’ordre de la création. Mais pas de la création artistique, insiste Gabrielle Fruchard. D’ailleurs, je privilégie personnellement des instruments peu connus, et donc forcément, non maîtrisés. Car l’objectif, c’est de faire de la création pour soi. » Trouver dans la musique un espace personnel d’expression, tel est avant tout l’objectif de la musicothérapie.
Evoluer à travers l’atelier
Mais alors, si la technique et la maîtrise ne comptent pas, quelle possibilité d’évolution offre une telle thérapie ? « C’est l’évolution de l’expression musicale du patient que l’on peut interpréter, explique Olivier Douville. Comme cet ado qui tapait comme un forcené sur les tambours au début et qui a progressivement appris à laisser de la place aux autres. Ou ce jeune patient qui se contentait le premier jour de faire timidement tinter une cymbale et qui est parvenu à composer des séquences entières. » Mais c’est aussi la capacité des patients à laisser place à leurs émotions, et surtout, à ramener en eux les enseignements de la thérapie. « Je me rappelle d’un patient qui était très bavard, se souvient la psychologue. Il nous saoulait de paroles, mais ne disait que des choses très superficielles, ce qui lui permettait en réalité de ne rien exprimer. Après un an de musicothérapie, il m’a avoué avoir trouvé dans la musique un engagement bien plus fort que dans la parole, tant au niveau émotionnel qu’affectif. Lors de la dernière séance, il avait conclu en disant : ”Maintenant, je me rends compte qu’il faut que je sois différent. Et je vais le montrer avec mes notes, pas avec mes mots.” Grâce à la musique, il avait tout compris, de lui. »
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