vendredi 3 février 2012

Lost in Management


Lost in management  -  La vie quotidienne des entreprises au XXI siècle /  François Dupuy

Résumé

Cet essai examine la diffusion du pouvoir exécutif dans les entreprises, au niveau des intermédiaires ou des exécutants, qui bouleverse la péréquation entre décision et responsabilité. 18 analyses de cas illustrent les tentatives des entreprises pour reconstruire une maîtrise minimale de la direction sur l'organisation et ses personnels.


Quatrième de couverture

L'entreprise serait, dit-on, le lieu de l'autorité, du pouvoir et du commandement vertical. La réalité, telle que peut l'observer le sociologue de terrain, est le plus souvent très éloignée de cette supposée dictature. S'appuyant sur dix-huit enquêtes et près de huit cents interviews, François Dupuy montre que les entreprises sont en passe de perdre le contrôle d'elles-mêmes : le pouvoir est descendu d'un ou plusieurs crans pour se disperser à la base, au niveau des intermédiaires et des exécutants. Et lorsque, poussés par une compétition grandissante, les dirigeants tentent de reprendre le contrôle par la mise en oeuvre de « process » et de « reportings », le résultat est à l'inverse de l'effet escompté : plus les décisions se multiplient, moins le contrôle est grand... Dans de nombreuses entreprises, le problème est aujourd'hui de reconstruire une maîtrise minimale de la direction et de ses managers sur l'organisation et ses personnels en redécouvrant les vertus de la confiance et de la simplicité.


Vous affirmez dans votre ouvrage, Lost in Management, qu'on a laissé "filer le travail". Qu'entendez-vous par là?

Lorsque la Cour des comptes rapporte que les grutiers ou les aiguilleurs du ciel ne font que douze heures de travail effectif, tout le monde s'offusque. Mais ce constat peut également être fait dans de nombreux secteurs d'activité, aussi bien dans le privé que dans le public. J'ai observé au cours de mon enquête, que le temps de travail réel est en moyenne inférieur de 55 à 60% à ce qui est annoncé dans le contrat. Ces poches de sous-activité se sont développées après le premier choc pétrolier: le marché était porteur, les marges importantes. Les managers ne se souciaient que d'une chose: livrer le client à temps. Ils n'ont pas cherché à repenser leurs méthodes de management alors que le monde du travail évoluait. Aujourd'hui, les entreprises sont conscientes de ce problème: la plupart le prennent même en compte dans leur rapport. Mais cela reste des données gardées secrètes car très taboues. Ceux qui dénoncent ce sous-travail sont considérés comme des traitres. Il n'y a qu'à se souvenir de l'accueil reçu par Zoé Shépard lors de la sortie de son livre, "Absolument Dé-bor-dée". Tout le monde a crié au scandale, l'a traînée dans la boue alors qu'au fond elle dénonçait une situation que de nombreux salariés constatent au quotidien.

Le management ne peut-il pas remédier à ce sous-travail?

Non, car le haut management ne contrôle absolument plus ce qui se passe dans sa propre entreprise. A la fin du taylorisme, les entreprises ont mis en place ce que j'appelle le "trio infernal" - process, système de reporting et indicateurs de performance - pour contrôler leurs salariés. Or, ceux-ci se sont vite rendus compte que s'ils appliquaient toutes ces règles et essayaient de rentrer dans les critères établis par leur hiérarchie, ils ne parviendraient pas à remplir leur tâche. Ils ont donc commencé à choisir ce qu'ils voulaient/pouvaient mettre en oeuvre, sans rendre de comptes précis à leur direction. En 30 ans, cette "grève du zèle" a créé une véritable rupture dans l'entreprise.

L'évolution de ces structures de travail est-elle l'une des causes du mal-être des salariés?

On peut, en effet, dater la naissance des risques psycho-sociaux du moment où les organisations du travail ont commencé à évoluer. Il y a trente ans, le mal-être était avant tout physique, aujourd'hui le travail use psychologiquement. Le mode projet, le travail plus transversal qui sont apparus à la fin du taylorisme ont créé des situations de dépendance entre salariés, génératrices du stress. Travailler avec tout le monde signifie également qu'on dépend de tout le monde et qu'on doit composer avec les envies de chacun. La confrontation est bien plus forte que dans les années 1970-80. D'autant que les salariés ont un tas d'objectifs de performance et d'indicateurs à atteindre souvent irréalisables. Ils ont également l'impression, à cause de ces critères, que leur hiérarchie ne leur fait pas confiance.

Qui sont les plus touchés ?

Les managers de proximité sont en première ligne : ils essayent de faire barrière entre le haut management et leurs équipes qu'ils doivent protéger au maximum pour leur offrir les meilleures conditions de travail possible.

Que faire pour endiguer ce phénomène ?

Les entreprises qui fonctionnent le mieux sont celles qui s'appuient sur la confiance des salariés. Elles mettent en place des communautés d'intérêts afin de fédérer les employés et de créer une réelle émulation dans l'équipe. La plupart du temps cela se passe dans les entreprises anglo-saxonnes à l'image de Rolls Royce, Cisco... En France, nous avons une tradition de rigidité alors que nos voisins réfléchissent beaucoup plus facilement à de nouvelles organisations du travail.



L'Afci a organisé le 25 octobre dernier un dîner-débat avec François Dupuy, sociologue, sur le thème "management : à la recherche du sens perdu".

La remise en cause d'un management centré sur les procédures
Dans son dernier ouvrage, Lost in management (Seuil, 2011), François Dupuy s’appuie sur des cas concrets d’entreprises pour montrer qu‘au fil des années, le management des entreprises s’est dilué, les prises de décision se sont dispersées, provoquant un éloignement avec le « travail réel ». Les tentatives menées pour reprendre le contrôle via la mise en œuvre de procédures et de reportings n’ont fait qu’accentuer la dilution de la responsabilité, générant des phénomènes de sous-travail voire une réelle souffrance chez les salariés. Il est donc urgent aujourd’hui de reconstruire une maîtrise minimale de la direction et de ses managers sur l’organisation, en redécouvrant les vertus de la confiance, de la simplicité et de la proximité.

Le lien avec la communication interne
Après une présentation des thèmes abordés dans son ouvrage, nous avons échangé avec François Dupuy sur les voies possibles d’évolution du management, et notamment sur la nécessité de recréer les conditions de la confiance, du dialogue, de la coopération, de l’engagement. Nous l’avons interrogé sur le rôle de la communication dans cette réflexion sur le management et avons cherché à comprendre comment redonner du sens au travail.

François Dupuy est sociologue des organisations. Il enseigne à l'INSEAD et dans de nombreuses business schools à travers le monde. Il a publié plusieurs ouvrages dont La Fatigue des élites (Seuil/La République des Idées, 2005).

François Dupuy est sociologue, consultant auprès de nombreux chefs d’entreprise en France et en Europe. Auteur, en 2008, d’un livre remarqué, « La Fatigue des élites » il vient de publier un nouvel ouvrage, « Lost in management », en librairie depuis le 3 février. Sa thèse : les entreprises françaises sont en train de perdre le contrôle de leurs salariés.

Vous lancez dans votre livre un avertissement surprenant : selon vous, les chefs d’entreprise ne contrôlent plus leurs organisations. Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer ?

Ce livre est le fruit d’une vingtaine de missions de terrain et de 800 entretiens que j’ai menés dans des secteurs d’activité très différents. Au terme de ce travail, un constat s’est imposé à moi : l’entreprise multiplie les processus envahissants, comme les systèmes de reporting ou d’évaluation, afin d’obtenir de ses salariés des comportements conformes aux objectifs. Or cette frénésie de contrôle a dégénéré en rituels qui n’ont plus grand-chose à voir avec des outils de gestion. A force, leur multiplication a produit le contraire de ce qui était recherché. Car les salariés ont fini par s’adapter à cette forme de suradministration, qui finit par donner des ordres contradictoires. On aboutit à une organisation en miettes dans laquelle chacun finit par faire ce qu’il veut.

Vous parlez d’un « taylorisme relooké ». De quoi s’agit-il ?

Il faut refaire un point d’histoire. Pendant les Trente Glorieuses, on a laissé filer l’encadrement du travail dans les entreprises. A l’époque, le client n’avait pas beaucoup le choix. On pouvait lui faire payer un certain laxisme dans la productivité, en pratiquant des prix élevés. On a en quelque sorte externalisé le confort que l’on s’autorisait dans l’entreprise. Puis la situation a changé dans les années 1980. Les conditions de concurrence se sont durcies. Il a fallu reprendre le contrôle de l’entreprise pour maîtriser ses coûts ou la qualité de ses produits. Ce retard à rattraper par rapport aux habitudes de confort prises est à l’origine du formidable durcissement des conditions de travail que l’on observe aujourd’hui. Avec un risque : celui du désinvestissement. D’où le « taylorisme relooké ». Il y a trente ans, on a laissé filer le travail. Aujourd’hui, on n’a plus confiance en lui. Alors on a recours à la contrainte.

Dans notre pays, l’opinion a pourtant tendance à voir dans l’entreprise l’une des représentations de l’autorité…

C’est parce que les chefs d’entreprise entretiennent l’illusion du dirigeant qui sait tout, qui contrôle tout. Du coup, ils se tournent vers une forme de micromanagement qui pousse à créer des systèmes de non-confiance envers leurs collaborateurs, leurs salariés. Dans les entreprises, on vit dans un mythe : « Puisque le chef l’a dit, ce sera fait. De toute façon, on a mis en place les procédures pour le vérifier. » Le problème est que ces processus produisent du découragement, du sous-investissement dans le travail et, au bout du compte, annihilent toute forme d’action collective.

La dérive que vous décrivez est-elle propre à la France ?

Je le pense. Dans notre pays, le travail est un problème. Compte tenu du laxisme d’après-guerre dont j’ai parlé, on se méfie de lui. Tout le comportement des chefs d’entreprise consiste à réduire comme ils le peuvent leur dépendance au travail national. Ils disposent pour cela de deux moyens, qu’ils ne se privent guère d’employer. L’un, c’est l’automatisation à outrance. On crée des métros automatiques, on ne veut plus de caissières dans les hypermarchés… L’autre, c’est la délocalisation : on va chercher ailleurs une forme de travail dont on ne dispose pas en France. J’ai travaillé aux Etats-Unis. Je n’y ai pas observé la même méfiance à l’égard du travail. Les entreprises sont beaucoup plus tournées vers le service, ce qui nécessite du monde. Dans un supermarché, il y a toujours quelqu’un pour vous aider à porter vos courses jusqu’à votre voiture.

Le cas français est-il désespéré ou existe-t-il des solutions ?

Je rencontre de plus en plus de patrons qui se posent de bonnes questions. L’idée que j’essaie de faire passer est qu’il faut en finir avec la standardisation de la gestion et travailler plutôt à rétablir une société de confiance.


Hope in management ? Peut-on repenser le management ?




Hope in management ? Peut-on repenser le management ?

Sous la pression du client, de la concurrence, de la finance, de la qualité et en même temps de
réduction des coûts, le management est devenu coercitif via les process, le reporting et les indicateurs de toutes sortes.
L'organisation du travail est devenue une variable d'ajustement et les conditions du
travail se sont profondément dégradées. C’est chez les cadres que la mutation est la plus sensible.

Sans disposer d’autonomie réelle ni de modes d’élaboration collective, ils sont soumis aux injonctions de « coopérer » dans des situations de dépendance accrues, de travail plus stressant et exigeant.

François Dupuy qualifie cette évolution « d’effarant bond en arrière du management », qui a produit confusion et perte de contrôle plutôt que clarté et amélioration du pilotage.

Comment alors maintenir l’investissement des salariés au sein d’organisations aussi complexes ?
Comment repenser la coopération ? Comment mettre en oeuvre de véritables mécanismes de
confrontation féconde ? Comment prendre en compte les attentes du client ?

Cinq ans après La Fatigue des élites, François Dupuy repose les termes du deal cadres-entreprise. Et si l’entreprise faisait confiance à son management intermédiaire et de proximité ? Et si l’entreprise prenait en compte la personne dans sa globalité ?

Ce dernier séminaire de l’année 2011 nous fait revenir sur la question du management du travail et des personnes, à travers les réflexions de François Dupuy et son analyse de nombreuses entreprises en France et dans le monde.

Avec :

François Dupuy, sociologue, auteur de plusieurs livres (dont en 2004 « Sociologie du changement », Prix 2005 du meilleur ouvrage de management, en 2005 la « Fatigue des élites » et en 2011 « Lost in Management : la vie quotidienne des entreprises au XXIème siècle ») et de nombreux articles. Il a enseigné à l’université de l’Indiana, à l’INSEAD, et a analysé les difficultés de mise en oeuvre du changement dans de nombreuses entreprises dans le monde.

Soraya Duboc, ingénieure agro-alimentaire, qui a occupé différents postes de management
au sein d’une grande entreprise multinationale ; elle est secrétaire fédérale de la Fédération
Générale Agroalimentaire, FGA-CFDT.

Hope in management ? Peut-on repenser le management ?

Séminaire Observatoire des cadres

Vendredi 02 décembre 2011
9H00 – 12H00
CFDT – salle CNC
2 bd de la Villette – 75019 Paris
Métro Belleville (lignes 2 et 11)
INSCRIPTION A RETOURNER AVANT LE 25 NOVEMBRE 2011
à Sylvie De Boyer et Lynda Ouzegdouh
Mail : odc@cadres.cfdt.fr
Fax : 01 56 41 55 01
Observatoire des Cadres
12, rue des Dunes, 75019 PARIS

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.