Le cloud signe la fin des marchés « pré-carrés » pour HP et Cisco
Hier partenaires symbiotiques pour la construction des centres de données, les deux marques s'affrontent aujourd'hui sur le marché emblématique des infrastructures de la virtualisation (serveurs blades et équipements de réseau associés). Au delà de la guerre des mots, ce conflit marque la fin d'une époque.
La guerre des mots que se livrent HP et Cisco depuis près de deux ans met leurs partenaires de la distribution IT dans une position délicate. Lorsqu'on les interroge sur les conséquences de la compétition que se livrent les deux marques sur le marché des centres de données (datacenters), la plupart des distributeurs et VARS français préfèrent garder le silence et déclinent la demande d'interv iew. « Les partenaires, surtout ceux qui distribuent les deux marques, sont un peu pris entre deux feux et attendent de voir », confirme Yann Plétan, Directeur commercial Infrastructures du VAD Altimate Group. Mais pour lui, il y a bien plus important que les effets d'annonce. « Cette confrontation marque l'accélération d'une évolution majeure du marché qui va concerner autant les clients que les revendeurs », poursuit-il.
Un marché en forte croissance
Au tournant de l'année 2009, Cisco et HP entretenaient une relation commerciale presque symbiotique. De nombreux clients allaient chercher chez l'un les équipements de réseau et chez le second les serveurs et le stockage. Depuis, les deux marques, même lorsqu'elles s'en défendent, se comportent en frères ennemis. Pour certains, c'est HP qui a commencé en baissant les prix de ses équipements de réseau ProCurve pour prendre des parts de marché à Cisco. Pour d'autres, c'est bien à l'équipementier de réseau que l'on doit l'ouverture des hostilités. En annonçant, en 2009, son offre Unified Computing System (UCS), Cisco est entré de plain-pied dans l'un des pré-carrés les mieux gardés de son partenaire commercial, le marché des serveurs blade. Le coup de canif dans le pacte de non agression entre les deux marques a été d'autant plus mal accueilli chez HP que les ventes de serveurs lames sont littéralement en train d'exploser. IDC enregistre une croissance des ventes de 26,9% au 2ème trimestre 2011, contre seulement 17,9% de croissance pour l'ensemble du marché des serveurs. En 2011, un serveur sur cinq vendu dans le monde est un serveur lame.
Guerre des chiffres
Dans les tableaux de bord d'HP, Cisco a droit à une couleur à part pour le différencier du reste de la concurrence. Et lorsque l'on interroge le constructeur de Palo Alto sur les 11,3% de parts en valeur du marché des serveurs blade revendiqués par Cisco, la réponse ne se fait pas attendre. « Il y a une différence dans la façon dont nous et notre concurrent calculons nos parts de marché en valeur. Ils y intègrent les équipements de commutation réseau alors que nous ne comptons que les serveurs », avance Olivier Petit, chef de produits Blade chez HP. Une façon comme une autre de souligner que Cisco est un nouvel entrant sur le marché des serveurs. L'équipementier de réseau, de son côté, ne manque pas de faire remarquer qu'il est présent depuis longtemps dans les centres de données. Et cette longue expérience lui permettrait d'apporter sur le sujet un regard neuf. « Avec la virtualisation, il faut simplifier l'infrastructure physique, explique Bruno Dutriaux, chargé du développement partenaires pour la division Datacenter et virtualisation chez Cisco. Et cette simplification se joue essentiellement dans la réduction de la complexité de connexion et de configuration des éléments de réseau ». La simplicité, c'est aussi l'argument numéro un avancé par le concurrent. « Ce qui distingue l'offre HP, c'est le respect des standards, souligne Jean-Pierre Bondu, responsable des produits réseau pour HP en Europe. Cela nous permet d'apporter à nos clients un point unique d'administration et de configuration pour tous les éléments du datacenter, y compris ceux des concurrents ».
Une nouvelle époque...
« Je comprends que les clients puissent se sentir perdus, lâche Guy Lefebvre, directeur de la division Stockage chez le grossiste Adstore. Pour les revendeurs, les offres des deux constructeurs ont en commun de répondre à l'enjeu d'industrialisation de la virtualisation sous la forme de clouds privés. Mais ce concept est encore un peu flou pour nombre de clients.
« Ajoutez à cela le fait que la grande diversité des offres et des visions technologiques désoriente les clients », poursuit Guy Lefebvre. Dans la pratique, et sur un marché d'infrastructure datacenter où se combinent les technologies de réseau, de serveur et de stockage, HP conserve pour l'instant un avantage indiscutable. « Quand vous avez gagné une affaire, vous allez voir en premier le constructeur qui peut vous fournir toutes les briques de l'infrastructure. Cela réduit les problèmes et fait gagner du temps », poursuit Guy Lefebvre. Fort de cette position dominante, HP se veut l'artisan d'une véritable révolution de marché, au nom de la convergence des technologies rendue nécessaire par la virtualisation. « C'est une nouvelle époque qui s'annonce, martèle Olivier Petit, chef de produits Blade chez HP. L'ère des monopoles sur telle ou telle discipline technologique est terminée ». Nouvelle époque, ou nouvelle guerre de cent ans ? Cisco vient d'annoncer la mise sur pied d'une nouvelle division baptisée Cloud and Systems Management Technology Group (CSMTG). Elle aura notamment pour objectif de renforcer les relations avec EMC et sa filiale VMWare, NetApp ou Oracle. Des sociétés qui ont toutes en point commun d'être concurrentes d'HP. Pour Yann Plétan d'Altimate, le cloud est annonciateur de nuages. « C'est une guerre de mastodontes qui commence, souligne-t'il. Nous allons être entre le marteau et l'enclume avec une mission difficile mais indispensable, mettre de l'huile dans les rouages pour que nos clients puissent réussir leurs projets.»
Redistribution des cartes pour les VARS et les VAD
Dans le conflit qui oppose Cisco et HP pour la prise de contrôle du marché des infrastructures de datacenters, les VARS et VAD sont eux aussi un enjeu. Plus encore que les clients, ils se voient proposer deux visions bien différentes de leur avenir.
Pour la plupart, c'est en silence que les VARS et les VAD regardent les deux amis d'hier fourbirent leurs armes l'un contre l'autre. C'est que pour les uns et les autres, le match que se livrent HP et Cisco pour prendre le contrôle du marché de l'infrastructure des Datacenter est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. « A chaque fois qu'il y a un mouvement de ce type sur le marché, les clients sont plus exigeants car ils savent qu'ils seront les premiers à payer les pots cassés de la stratégie des constructeurs », relève Guy Lefebvre, directeur de la division Stockage chez le VAD Adstore. Une exigence accrue qui serait bonne pour le business, puisque le conseil des VARS, dans ce contexte, devient crucial pour faire le bon choix. « A condition bien sûr de recevoir les formations et informations dont ils ont besoin », poursuit Guy Lefebvre. Pour ce distributeur, les marques ne sont pas assez présentes là où on a le plus besoin d'elles, auprès des VARS de petite taille, ceux qui offriraient à leurs clients plus de compétence et de proximité que les grandes enseignes.
Plus de travail, moins de marges
En même temps qu'une concentration évidente du marché, les VARS sont en effet confrontée à une diversification croissante de l'offre chez chaque constructeur. « C'est un système de briques préconfigurées et prêtes à l'emploi, résume Yann Plétan, directeur commercial Infrastructures chez le VAD Altimate. Mais la difficulté pour le revendeur consiste justement à choisir les bonnes briques pour réaliser le projet d'ensemble du client ». Dans ce nouveau schéma, l'expertise et la connaissance du client des VARS ont encore toute leur place, martèle t'on chez HP et Cisco. « Les constructeurs se sont en réalités placés au dessus de la mêlée qu'ils provoquent, poursuit Yann Plétan. C'est à nous, les distributeurs à valeur ajoutée, qu'il revient de faire l'essentiel du travail d'évangélisation du marché et de soutien technique aux revendeurs ». Les rares VARS et VAD qui ont accepté de s'exprimer sur le sujet se retrouvent sur ce constat. La marche forcée vers le Cloud lancée par Cisco et HP se traduit par plus de travail et d'investissement en formation. Dans le même temps, les VAD ne peuvent que constater la diminution générale des encours. Jusqu'à craindre désormais ouvertement pour leurs marges.
Cisco mise sur ses VAR...
Chez Cisco, on rappelle que, contrairement au concurrent, l'équipementier de réseau maintient une stratégie 100% indirecte et ce quelle que soit l'envergure ou la complexité du projet. « C'est sous cet angle qu'il faut analyser notre part de marché de 11,3% en valeur », reprend Bruno Dutriaux, chargé du développement partenaires pour la division Datacenter et virtualisation chez Cisco. Si le message de Cisco porte sur le marché, c'est peut-être parce qu'il offre une porte de sortie aux VARS et VAD qui ont investi ces dernières années dans l'expertise réseau. « L'expertise d'intégration des VARS ne disparaît pas, elle se déplace vers l'environnement virtuel et l'industrialisation, c'est à dire l'automatisation de celui-ci, poursuit Bruno Dutriaux, c'est vers cela qu'il nous faut accompagner les revendeurs ». Comme en écho à cette vision de l'avenir, Cisco vient d'annoncer la création du Cloud and Systems Management Technology Group (CSMTG) une nouvelle division entièrement dédiée à l'administration, la mise en réseau et l'automatisation des infrastructures de virtualisation.
HP fixe le cap pour les siens
Le concurrent HP invite aussi ses VARS et VAD à regarder loin devant plutôt que le compteur. « Notre point de départ, ce sont les besoins applicatifs de nos clients. C'est cela notre métier », annonce Jean-Pierre Bondu, responsable des produits réseau pour HP en Europe. En leader, HP fixe le cap pour ses troupes : « Ce que nous demandons à nos revendeurs, c'est de faire passer le message de la convergence des disciplines réseau, stockage et serveur dans les futurs clouds privés », poursuit Jean-Pierre Bondu. Pour les convaincre, HP mise essentiellement sur son offre très étendue et sur des prix plus attractifs pour le client final. Pour le géant de Palo Alto, les VAR et VAD sont appelés à devenir de plus en plus des prescripteurs de solutions, mais qui devront répondre à des demandes clients plus complexes qu'auparavant. « La dimension technique de nos partenaires reste, explique Philippe Rullaud, directeur de la division serveurs x86 pour la France chez HP. Mais elle va s'exprimer de plus en plus dans une fonction de conseil, de tiers de confiance, au service du besoin du client. C'est d'ailleurs dans cet esprit que nous avons conçu le programme de certification autour de l'offre Virtual Connect ».
Vers un nuage en briques
Avec l'annonce par Cisco d'une nouvelle division consacrée exclusivement aux clouds, l'affrontement entre l'équipementier de réseau et le géant HP vient d'entrer dans une nouvelle phase. A travers ce conflit, ce sont deux visions de l'évolution de l'informatique qui s'opposent.
Désormais ouvertement adversaires sur le marché des infrastructures des centres de données, l'équipementier de réseau Cisco et le géant des serveurs et du stockage HP sont au moins d'accord sur une chose : tout a commencé avec le lent décollage de la virtualisation. « A l'enthousiasme des premières années succède aujourd'hui la volonté d'industrialiser la virtualisation », commente Bruno Dutriaux, chargé du développement partenaires pour la division Datacenter et virtualisation chez Cisco. C'est aussi au nom de l'industrialisation de la virtualisation qu'HP a déterré la hache de guerre : « la crise de 2008 a poussé le marché vers le cloud et donc vers l'industrialisation de l'infrastructure, commence Philippe Rullaud, directeur de la division serveurs x86 pour la France chez HP. Un même constat, mais dont les deux constructeurs tirent des leçons bien différentes.
Les briques pour simplifier l'infrastructure
« C'est une affaire de point d'observation », risque Guy Lefebvre, directeur de la division Stockage chez Adstore, avant de remarquer qu'HP dispose dans son portefeuille des trois grandes briques technologiques de la future informatique en nuage, le réseau, le stockage et les serveurs, alors que Cisco, lui, doit compter sur des partenaires. Chez HP, l'argumentation développée pourrait se résumer à un seul mot, la convergence. Les infrastructures informatiques seraient appelées à devenir des boîtes noires, des briques préconfigurées au fonctionnement le plus standard possible, la complexité étant gérée au plus près des applications, dans les couches logicielles virtualisées. « Pour réaliser cela, il faut simplifier, il faut pouvoir faire évoluer à la même vitesse les composantes serveur, stockage et réseau de l'infrastructure », explique Olivier Petit, chef de produits Blade chez HP. La marque dresse volontiers une vision d'ensemble de l'évolution de l'informatique, et se voit bien jouer le rôle du chef de file. Pour l'équipementier de réseau, la vision de l'avenir s'inspire des problèmes rencontrés par les entreprises au présent. « Plus vous ajoutez de serveurs en lame, plus votre réseau se complexifie. Si l'on veut réussir le cloud, il faut simplifier », explique Bruno Dutriaux.
Des approches techniques difficiles à différentier
Là encore, les deux frères ennemis sont à l'unisson. Et d'un point de vue purement technique, il reste difficile pour un non spécialiste de différentier clairement les deux offres. Virtual Connect de HP et Unified Computing System de Cisco ont en effet de nombreux points communs. Toutes deux utilisent un couple de commutateurs de coeur de réseau qui embarque toute l'intelligence de configuration des connexions LAN et SAN. Toutes deux proposent de concentrer les serveurs lames dans des châssis qui seront connectés aux commutateurs de coeur de réseau. Toutes deux poursuivent le même objectif, éliminer les câbles et apporter plus de flexibilité. Avec son offre Virtual Connect, HP revendique jusqu'à 95% de câbles et d'équipements de réseau en moins dans le data center. De son côté, Cisco explique que son offre Unified Computing System permet de réduire à une petite demi-heure le délai de mise en production d'un nouveau serveur lame, là où la concurrence mettrait plusieurs jours ou semaines.
Comme dans l'industrie automobile...
D'accords sur l'analyse du besoin, d'accords sur les solutions techniques, les frères ennemis du datacenter ne s'affrontent en réalité que sur un seul terrain, leur propre survie dans ce grand chambardement du marché. « Derrière ces grandes manoeuvres, nous assistons à un mouvement de fond visant la simplification des offres, décrypte Yann Plétan d'Altimate. Stockage, réseau ou puissance de calcul, chaque brique des futurs cloud ne représentera plus à terme qu'une seule référence incluant le matériel et le logiciel. L'ère des bundles composés à la main par les revendeurs est en train de s'achever ». Même son de cloche chez les constructeurs qui, là encore, utilisent la même référence à l'industrie automobile pour insister sur ce qui les différentient : « Hier, un constructeur assemblait dans son atelier toutes les pièces de chaque véhicule, rappelle Bruno Dutriaux. Aujourd'hui, il fait appel à des ensembliers. Il est en train de se passer la même chose dans l'industrie informatique ».
Le réveil d'un vieux démon
A ceci près que dans ce match de titans, la plupart des coups risquent de s'échanger en dessous de la ceinture. « HP couvre déjà la totalité de l'offre alors que Cisco doit encore convaincre sur ce point », remarque Guy Lefebvre. Conscient des enjeux, HP pousse son avantage. Dans l'argumentation commerciale qu'il destine à ses partenaires, il n'hésite pas à enfoncer le clou et à insister sur le caractère disparate, lourd, peu intégré, de l'offre concurrente. La convergence, chez HP, se raconte en quelques chiffres : 2 composants au coeur de l'architecture cloud d'HP contre une trentaine requis par l'offre concurrente, et 95% de câbles en moins. Mais par rapport à quoi exactement ? A force de vouloir convaincre, le géant risque de finir par réveiller une inquiétude aussi vieille que l'informatique, celle du monopole absolu. Pour aussi séduisant et pratique qu'il soit, le « one stop shopping » ou interlocuteur unique proposé par HP laisse toujours le sentiment d'avoir perdu une certaine liberté de choix. Et cela d'autant plus que, d'annonce en annonce, le géant de Palo Alto confirme son intention de capter un à un tous les marchés de ses concurrents. Dernier en date, le 23 novembre, le marché de la consolidation des applications Unix sur des infrastructures blades x86. En face, chaque mouvement du géant rapproche des ténors de l'informatique qui n'auraient pas imaginé s'allier auparavant. « Il faut regarder au delà de cette bataille d'acteurs pour voir où se dirige vraiment le marché, tempère Yann Plétan d'Altimate. Si on fait cela, on se rend compte que ce n'est pas seulement l'offre des constructeurs qui évolue, mais que nos métiers sont aussi en train de changer en conséquence ».
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