Dialogue paru dans Philosophie magazine numéro 53, octobre 2011
Coupée du peuple et timorée dans ses résolutions… À l'heure où les primaires vont livrer leurs résultats, la maison socialiste paraît bien mal en point si l'on en croit l'intellectuel Pierre Rosanvallon. Face à lui, le candidat François Hollande saura-t-il écouter – voire reprendre à son compte – ses propositions ?
Propos recueillis par Alexandre Lacroix et Martin Legros / Photos Pierre-Emmanuel Rastoin
François Hollande
Né à Rouen en 1954, il a suivi un cursus classique : HEC, Sciences-Po, ENA, Cour des comptes. Conseiller de François Mitterrand dans les années 1980, il est élu député en 1988 et président du conseil général de Corrèze en 2008.Premier secrétaire du Parti socialiste de 1997 à 2008, il est candidat à la primaire socialiste pour les élections présidentielles. Il vient de publier Le Rêve français (Privat).
Pierre Rosanvallon
Né à Blois en 1948, il travaille principalement sur l'histoire de la démocratie. Professeur au Collège de France, il a été permanent syndical au sein de la CFDT avant de rejoindre le monde intellectuel. Défenseur de l'autogestion dans les années 1970, il a été l'un des théoriciens de la deuxième gauche antitotalitaire et social-démocrate, aux côtés de Michel Rocard. Il dirige La République des Idées, un think tank influent et le site La Vie des idées (www.laviedesidees.fr). Il publie La Société des égaux
(Seuil, lire la critique, p. 80).
Quelque chose d'inattendu s'est produit lors de cette rencontre entre François Hollande, candidat à la primaire socialiste et favori des sondages pour l'élection présidentielle de 2012, et Pierre Rosanvallon, grand manitou de la gauche intellectuelle, professeur au Collège de France et directeur de la République des Idées, à la fois think tank social-démocrate et collection au Seuil. D'abord, contrairement aux usages, ce n'est pas l'intellectuel qui s'est rendu auprès du Prince dans un des palais de la République, c'est le candidat à la fonction suprême qui s'est déplacé dans un des temples du savoir, le Collège de France. Et, alors que Pierre Rosanvallon nous accueillait avec son attachée de presse dans ses bureaux et nous parlait de son intention de peser sur la vie politique, notamment grâce à son récent La Société des égaux (Seuil, lire la critique p. 80), François Hollande, lui, arrivait seul, sans fiches ni bouquins. Quand Pierre Rosanvallon faisait le constat très sombre d'une primaire coupée des idées et d'un Parti socialiste incapable de faire résonner l'expérience vécue des classes populaires, l'ex-premier secrétaire refusait d'endosser la responsabilité d'un collectif partisan et se montrait plutôt d'accord avec cet état de fait. Tandis que Pierre Rosanvallon s'inquiétait du risque d'éclatement de la société sous le coup de l'explosion des inégalités, François Hollande reprenait à son compte cette donnée comme on prend acte d'une information nouvelle. Alors que Pierre Rosanvallon proposait de limiter les revenus outrageants pour le commun et de lancer une révolution fiscale, François Hollande s'en remettait plus prudemment aux entreprises et à la fiscalité sur les successions…
Le candidat socialiste se présentait ainsi en adoptant une attitude aux antipodes des clichés sur l'homme politique qui a tout vu, tout compris et a une solution qui va régler tous les problèmes. Déroutant. Mais peut-être avons-nous assisté à la mue du politique en… homme normal !
Pierre Rosanvallon : On a un peu le sentiment, à l'heure de la primaire socialiste, qu'il y a un affrontement de personnes dissocié du débat d'idées. Comme si votre parti était réduit à une machine à choisir les candidats. Qu'en pensez-vous ?
François Hollande : Je ne suis pas l'avocat du PS…
P. R. : Et je ne suis pas procureur !
F. H. : La sélection des dirigeants est une fonction essentielle des partis. Je me réjouis que les socialistes aient décidé, grâce à des primaires ouvertes, d'associer le plus grand nombre de citoyens à cet exercice. C'était jusqu'ici la propriété ontologique des militants. C'est désormais un choix sur lequel tous les électeurs de gauche vont pouvoir peser.
P. R. : La droite ne voit pas ce dispositif d'un très bon oeil…
F. H. : Parce que cette procédure démocratique fracasse le préjugé du monopole partisan ou de la cooptation par une élite du supposé « meilleur ». Mais un parti n'est pas seulement un réservoir de candidats, il doit aussi être capable de mobiliser la société sur des causes et de renouveler ses idées.
P. R. : Une force politique a deux grandes fonctions, animer la scène politique, participer à la vie des institutions, d'une part, et éclairer l'avenir, donner sens à un projet d'émancipation, d'autre part. Les partis remplissent plutôt bien la première fonction. En revanche, ils sont à la peine avec la seconde. Un des premiers buts de la politique c'est pourtant de donner un langage à ce que vivent et attendent les gens, pour en faire des citoyens plus lucides et plus actifs. Or, le langage politique, à gauche en particulier, tourne à vide, ne donne pas de chair sensible à l'existence des gens. Si vous prenez des livres sur la société française qui ont rencontré le succès – Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas ou Les Tribulations d'une caissière d'Anna Sam –, vous voyez la différence. Ces livres sur la précarité résonnent avec le vécu de la société. Si on se contente de dire « il faut lutter contre la précarité et l'exploitation », « développer plus de solidarité », on dit des phrases justes, mais abstraites, à la surface des choses, coupées de l'expérience quotidienne. Il est à mes yeux urgent d'inventer en politique une conceptualisation « sensible » sur laquelle fonder un nouveau langage. D'autant qu'il y a de la concurrence : la phraséologie populiste qui repose sur une conceptualisation simplificatrice et une vision magique de la volonté politique. Elle ne donne consistance au « peuple » qu'en l'opposant par en haut aux élites et par en bas aux immigrés… Le défi pour la gauche dans cette campagne, c'est de trouver un langage où chacun sente que son histoire est prise en charge.
F. H. : Je m'amuse de l'inversion des rôles. Vous êtes le philosophe, je suis le politique, et vous me mettez, à juste titre, en garde contre la conceptualisation et le risque d'une trop grande abstraction des discours politiques. Le danger, en effet, est grand d'oublier de nommer les choses et les gens. Le langage politique cherche, et c'est son honneur, des solutions. Mais il fait comme si les problèmes étaient déconnectés des individus, comme si tout était global et rien n'était personnel, voire charnel, ce qui fait que l'écoute est perdue. La première condition de la crédibilité politique est de partir des situations vécues, de les reconnaître avant même de chercher une issue pour les régler. Il ne s'agit pas de se mettre à la place de chaque individu – la caissière ou l'ouvrier –, mais de parler en leur nom, d'arriver à une proposition politique donnant une perspective à toutes ces expériences singulières.
P. R. : J'ai une question pour vous, élu local et responsable politique national. Les politiques sont accusés d'être loin de la société. Or, ils passent des heures dans leurs permanences à écouter des gens parlant de leurs difficultés concrètes. Comment se fait-il qu'ils soient alors incapables de traduire dans leur discours, de façon charnelle, ces difficultés ?
F. H. : La hiérarchie selon laquelle l'élu en savait plus que le citoyen s'est effondrée. Avec la télévision, les nouveaux moyens de communication, les progrès de l'éducation, le rapport à l'information s'est inversé. Très souvent, le citoyen en connaît autant, voire davantage, que l'élu qui lui parle. En revanche, c'est dans l'explication, la compréhension, la solution que le responsable doit reprendre l'avantage. Mais cela exige du temps. Or, les politiques n'en ont plus. Ils ne font plus de discours mais délivrent des messages, d'où le recours à la simplification, au bon sens et à l'émotion. La raison n'est pas la meilleure arme face à la facilité de l'image, au raccourci de la pensée, à l'outrance de la démagogie. Les populistes n'ont pas de précautions de langage. Tout leur est permis, puisque tout peut se dire, tout peut s'entendre. D'où l'importance d'en revenir aux sources de la République si l'on veut donner forme aux passions démocratiques.
P. R. : Les deux passions dominantes aujourd'hui sont la colère et le sentiment d'impuissance. N'est-ce pas un défi pour la gauche si elle veut retrouver l'électorat populaire ? Montrer que la colère peut se métamorphoser en puissance ?
F. H. : Comment retrouver le peuple perdu ? D'abord, en prenant le peuple dans son entier, au lieu de le segmenter en catégories. Il faut trouver un thème qui fédère aussi bien les salariés victimes des délocalisations que ceux qui travaillent dans les nouvelles technologies. C'est le sens de mon appel à reformuler la promesse républicaine, en particulier auprès des jeunes qui doivent avoir de nouveau la garantie de vivre mieux que leurs parents. Notre devoir à l'égard de la génération qui vient, c'est d'investir sur l'école, rehausser les parcours universitaires, faciliter l'accès au logement et l'entrée dans la vie active, lutter contre les discriminations qui frappent d'abord les plus jeunes dans les quartiers de nos villes.
P. R. : Avant, les gens étaient définis par leur condition : ils étaient ouvriers, enseignants, fonctionnaires et le restaient. Aujourd'hui, la vie sociale est définie par des situations, des histoires forgées par des épreuves et des ruptures. Parler de la société, c'est parler de ces tensions. Les classes moyennes n'occupent plus simplement une place intermédiaire, elles sont traversées par un mouvement de tension : elles ont l'impression d'être à une distance qu'elles ne combleront jamais avec le haut de la société et se sentent menacées de retomber du côté des plus mal lotis. Elles vivent dans une tension et non plus dans une condition. Ce que le sociologue Éric Maurin appelle la « peur du déclassement ». Vous ne pourrez pas reconquérir le peuple si vous ne prenez pas en charge cette peur. Et vous ne refonderez le pacte républicain qu'en faisant la preuve que l'école, la Sécu ou la politique de la ville permettent à cette société démembrée de refaire du commun.
F. H. : Pourquoi la France donne-t-elle l'impression de vivre une crise profonde – et pas que dans les classes populaires ? Le sentiment est partagé que nous sommes mis individuellement et collectivement à l'arrêt. Le collectif n'apparaît plus comme un facteur d'épanouissement individuel. L'enjeu de la politique progressiste est de remettre la France en mouvement en montrant qu'il n'y a pas de contradiction entre le commun – la réussite de tous – et la possibilité d'accomplissement de chacun. Quand la gauche parvient à concilier ces deux logiques, elle peut être majoritaire dans le pays.
P. R. : Mais, pour construire une majorité, il faut d'abord porter un diagnostic précis sur ce qui travaille la société. Le problème clé aujourd'hui, c'est la panne de l'idée d'égalité. Il y a un niveau d'inégalité considérable : 1 % des plus riches possède 24 % des richesses nationales, et 10 % possèdent 62 % de la richesse totale. Ces écarts font scandale, mais on accepte implicitement les mécanismes qui les produisent. On accepte de fait une économie gouvernée par la concurrence, considérant qu'elle est source d'efficacité ; on pense que les disparités liées au mérite sont normales ; on ne voit pas au-delà de la notion d'égalité des chances. C'est ce que j'appelle l'effet « Bossuet » : les hommes déplorent en général ce à quoi ils consentent en particulier. On déplore les conséquences d'un système dont on a renoncé à combattre les causes profondes. Ce divorce entre indignation et inaction caractérise la situation présente. Si l'on considère qu'il est juste que le mérite construise des différences légitimes, il est alors normal que de grandes différences de mérite construisent de grandes inégalités. Les théories de la justice, comme celle de John Rawls, sont des théories de la distribution de l'inégalité : elles se demandent quelles sont les inégalités tolérables compte tenu des principes égalitaires de base. Mais elles sont démunies face à l'explosion des inégalités que produit la société libérale. Ce n'est pas une théorie de la justice qu'il nous faut, c'est une conception de l'égalité qui mette au premier plan le rapport social entre les gens. Une dimension que nous avons oubliée, mais qui était au coeur des révolutions française et américaine : le projet de former une société de semblables, d'hommes fiers ne connaissant pas de dénivelés qui les séparent et les humilient. Si la gauche veut reconstruire un monde plus solidaire, cela passera par un prélèvement fiscal revu à la hausse, par plus de redistribution sociale, mais cela ne pourra se faire que s'il y a un sens du commun renforcé. L'État providence s'est construit sur le sentiment que la société faisait corps, après notamment des épreuves vécues en commun, comme les guerres mondiales. Quand, aux États-Unis, les impôts ont grimpé en flèche lors de la Seconde Guerre mondiale, on disait qu'il fallait « que les dollars meurent pour la patrie ». Le problème de la société contemporaine, c'est le séparatisme. Dans son roman Sibyl ou les deux nations, Benjamin Disraeli écrivait en 1845 : « Il n'y a plus de peuple anglais, il y a désormais deux nations hostiles et séparées qui vivent côte à côte. » Nous y sommes revenus…
F. H. : La distribution des revenus et celle des patrimoines ces dernières années se sont considérablement déformées. Depuis 1945, la hiérarchie des revenus s'était largement resserrée. L'écart entre les plus riches et les plus pauvres étaient de un à quatre. Mais avec la financiarisation du capitalisme, les nouveaux modes de gouvernance des entreprises, et le moins disant fiscal, un bouleversement s'est produit entre les 1 % les plus riches de la population et tous les autres.
P. R. : C'est le résultat en terme de décomposition sociale qu'il faut mesurer. Le problème, ce n'est pas seulement qu'il y a des gens beaucoup plus aisés que d'autres. C'est que cela produit des sociétés disloquées, décomposées, des mondes hostiles, que cela détruit le commun.
F. H. : Les très riches se sont totalement émancipés de leurs territoires. Ils habitent en France – et encore, pas toujours –, possèdent en France – et encore, pas seulement –, éduquent leurs enfants en France – souvent, de moins en moins –, se soignent encore en France – parce que c'est le meilleur système – et paient de moins en moins d'impôt dans le pays qui les a formés et parfois nommés. Ils se considèrent encore Français, tout en parlant de plus en plus anglais, mais ils ont un horizon culturel qui n'est plus celui du destin de la Nation. On trouve à l'autre extrémité de l'échelle sociale une partie des habitants de nos banlieues qui, tout en étant citoyens, ne se vivent pas comme français. Ils considèrent qu'il y a d'un côté les Français et de l'autre eux. La nation s'en trouve, là, mise en cause. Les inégalités sont destructrices des valeurs de cohésion. La gauche a sans doute sa part de responsabilité, mais c'est la droite qui a cautionné cette transformation menaçante pour notre avenir : par l'aggravation des inégalités, par la contestation de l'impôt, par la multiplication des antagonismes sociaux. Nicolas Sarkozy a fait campagne en 2007 sur l'idée que chacun pouvait se débrouiller seul et que l'unique rôle de l'État était de favoriser le mérite personnel. D'où les baisses d'impôts. Derrière, il y a l'idée qu'il n'est pas nécessaire d'être en société, que les individus peuvent vivre les uns à côté des autres, spatialement, géographiquement, mais aussi selon des modes de vie distincts. Dans cette société de la juxtaposition, de l'indifférence, de l'éclatement, le seul lien qui demeure est celui d'une culture minimale autour du sport, des spectacles, de la télévision.
P. R. : Il y a des morceaux de société qui deviennent comme invisibles, des gens qui comptent pour rien, dont on ne parle pas, des oubliés de la représentation, des exclus économiques, des relégués territoriaux. Chez les fondateurs du socialisme au XIXe siècle, il y avait l'idée de raconter et de donner de l'importance à ces vies minuscules, mises de côté. Cela pourrait être un très bel engagement pour les socialistes au XXIe siècle de renouer avec cette ambition…
F. H. : Nous ne sommes pas là uniquement pour aller chercher les oubliés – cela ne fait pas une majorité, les oubliés. La mission des socialistes c'est d'emmener tout le monde vers le progrès et l'égalité. La politique, c'est permettre la vie ensemble, offrir la solidarité dans les réussites comme dans les échecs. C'est assurer le développement du pays et sa démocratisation, faire que chacun se reconnaisse comme citoyen au lieu de se sentir en exil dans son propre pays, en invisibilité pour les autres. Il faut donc redéfinir un pacte commun qui concerne autant la production que la redistribution, l'éducation ou l'écologie. Un des instruments pour y parvenir reste la fiscalité. Il y a des limites aux prélèvements : nous sommes dans une société ouverte, avec la menace permanente de l'évasion. Il faut alors en appeler non à une vision punitive de l'impôt, mais à une conception utile, morale et patriotique de l'impôt – vous avez utilisé le mot pour les États-Unis. Chacun est comptable du destin de la France, chacun a donc le devoir de lui rendre ce qu'elle nous a permis d'avoir.
P. R. : Dans les années 1970, en Angleterre, aux États-Unis ou en France, le taux marginal supérieur dépassait 60 %. C'était socialement accepté parce qu'il y avait le sentiment d'une obligation ou la peur de l'explosion… Aujourd'hui, en Europe, quand on se déclare prêt à dépasser le taux de 40 %, on accuse l'État d'être un « kleptocrate », pour citer Peter Sloterdijk. C'est dans les années 1990 que la contre-révolution néolibérale s'est mise en place. Les socialistes y ont une responsabilité. J'ai vu cela de très près, à l'époque du gouvernement Bérégovoy. Au lendemain de la chute du Mur, le socialisme semblait essoufflé, et certains ont cru qu'il était possible de mobiliser la société autour de l'utopie de la dérégulation. Peter Mandelson, l'un des artisans du New Labour aux côtés de Tony Blair en Angleterre, avait eu cette formule, saisissante : « Nous sommes parfaitement à l'aise avec les gens qui deviennent outrageusement riches du moment qu'ils paient l'impôt. » Est-ce que vous, vous imaginez des maxima pour les revenus trop « outrageux » qui rompent ce commun que vous voulez défendre ?
F. H. : Les entreprises doivent poser des règles de rémunération compatibles avec leur productivité, mais aussi avec les valeurs et l'intérêt de la société. Une responsabilité qu'elles n'assument plus depuis que les dirigeants se sont octroyé des avantages n'ayant plus rien à voir avec le mérite. Dans le secteur public, l'État peut fixer un revenu maximal. Dans le privé, il pourrait être exigé qu'aucune rémunération variable ne soit supérieure au salaire fixe, et les stock-options pourraient même être supprimées. Pour le reste, c'est à la fiscalité de faire son oeuvre. Rien n'empêche de rémunérer outrageusement un certain nombre de dirigeants, tant que l'État arrive à récupérer ces largesses sur le plan fiscal. Les riches ont le droit d'être riches, mais ils ont aussi des devoirs.
P. R. : Ne serait-il pas plus percutant de dire : « Les riches ont le droit d'être momentanément riches. » Au XIXe siècle, les socialistes n'acceptaient pas une richesse « outrageante » qui crée des différences statutaires dans la société. Le capitalisme ne produit pas seulement un enrichissement des entrepreneurs, il fait que leurs descendants deviennent des rentiers.
F. H. : Le pire, c'est quand la richesse se reproduit dans la durée, sans autre prétexte que l'avantage lié à la naissance. L'impôt sur les successions doit être la clé de la redistribution.
P. R. : Aux États-Unis, des milliardaires proclament que la faiblesse de l'impôt sur les successions a quelque chose d'immoral. En France, on ne les entend pas. Ne doit-on pas rétablir la centralité de l'impôt sur les successions ?
F. H. : La vraie réforme de l'imposition du patrimoine passe par les droits de succession. C'est par là que l'on peut limiter la fatalité de la transmission de la fortune. Il ne s'agit pas d'empêcher les parents qui ont travaillé toute leur vie de léguer à leurs enfants le produit de leurs économies. Mais aujourd'hui, 90 % des successions sont exonérées de tout impôt, et les plus fortunés y échappent par de multiples biais. Je ne vais pas gagner la présidentielle en faisant campagne sur l'envie qu'auraient nos concitoyens de payer plus d'impôts. Mais il se trouve que nous sommes sur des niveaux de dettes et de déficits qui obligeront après 2012 à solliciter un effort. C'est une chose de demander un impôt supplémentaire à tous les Français, après avoir accordé des allégements fiscaux aux plus favorisés, une autre est de demander une contribution supplémentaire aux revenus les plus importants, aux patrimoines les plus élevés. On ne peut affirmer une légitimité de l'impôt que s'il y a une justification autour d'un enjeu majeur – l'avenir du pays et la solidarité nationale – et d'une règle partagée, l'équité fiscale. Qu'est-ce qui fera que nous accepterons collectivement de payer une contribution supplémentaire ? C'est la garantie que cette recette sera utile à chacun et qu'elle sera juste dans son prélèvement.
P. R. : Les qualités requises pour être un bon candidat ne sont pas les mêmes que celles d'un bon Président. Pour être un bon candidat, il faut savoir séduire, instaurer un rapport d'identification avec les électeurs ; c'est le moment de l'exaltation du possible. Le bon Président, au contraire, est celui qui est au-dessus de la mêlée, qui représente l'autorité, apparaît capable de gouverner et parle un langage de la responsabilité, mettant l'accent sur les contraintes. Ce n'est plus le copain, mais le chef. Tout se passe comme si ces deux « figures » s'étaient scindées. Pensez à Obama, candidat exceptionnel, mais Président moyen. Il n'est pas toujours nécessaire d'avoir les deux qualités : on ne gagne pas une élection que sur la base de ses vertus personnelles, mais aussi sur les fautes de l'adversaire. Pourtant, ce divorce demeure, et il est à la racine du désenchantement démocratique.
F. H. : À moi de rendre cette équation possible ! Nicolas Sarkozy va nous y aider. Il a été un… un bon candidat. Il s'est révélé mauvais Président. Rien ne servirait de faire la même campagne que lui en 2007, axée sur la transgression et le mensonge. C'est déjà douteux en campagne. Élevé en principe de gouvernement, c'est insupportable. Un Président doit être dans le respect, la responsabilité, le rassemblement. L'élection de 2012 différera de celle de 2007. Elle se déroulera dans un contexte de crise économique, de fragmentation sociale et d'exigence morale. Le pays a pris la mesure de l'importance du collectif. Mais je ne compte pas que sur les faiblesses du candidat de la droite et de son bilan comme Président. Mais aussi sur les vertus d'un discours de vérité et de volonté.
P. R. : En 2007, Nicolas Sarkozy est apparu comme celui qui disait tout haut ce que les gens ressentaient tout bas. Pour vous, cela reviendrait à quoi ?
F. H. : C'est répondre à l'aspiration de dignité, de considération et de reconnaissance. Tout ce qui a manqué pendant cinq ans.
P. R. : Y a-t-il une déclinaison du bon Président de gauche ?
F. H. : C'est réussir à être Président et à rester de gauche.
P. R. : Ne croyez-vous pas qu'un bon pouvoir doit accepter des formes de vulnérabilité pour être véritablement fort ? Nous entrons dans des sociétés qui ont besoin que le pouvoir rende des comptes, qu'il accepte d'être sous surveillance.
F. H. : L'expérience vient d'être faite. Un homme seul ne peut pas changer un pays comme la France, aussi forte soit sa légitimité. La réussite suppose que celui qui dispose du pouvoir puisse mobiliser tous les autres leviers – le Parlement, les collectivités locales, les partenaires sociaux, les citoyens. S'il y parvient, il se protège et se renforce. Un bon Président fait travailler à l'oeuvre commune toute la société.
P. R. : C'est cela le Président normal ?
F. H. : Oui. C'est celui qui est capable d'avoir la hauteur de vue nécessaire et la proximité indispensable.
P. R. : Dans la première campagne pour l'élection d'un président de la République au suffrage universel, Émile de Girardin disait en 1851 : « Le nom idéal d'un candidat républicain serait “je m'appelle multitude”. »
F. H. : En 1848, ce n'est pas M. Multitude qui a été élu, mais Louis-Napoléon Bonaparte. L'Histoire ne se répétera pas…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.