dimanche 22 janvier 2012

La honte

« La honte n'a pas pour fondement une faute que nous aurions commise, mais l'humiliation que nous éprouvons à être ce que nous sommes sans l'avoir choisi, et la sensation insupportable que cette humiliation est visible de partout. » Kundera dans L'Immortalité



La honte est une émotion complexe. À la différence des autres émotions, elle se distingue par sa dimension sociale, secrète, narcissique, corporelle et spirituelle. La honte a des aspects positifs et négatifs. Elle est différente de la culpabilité (même si elle est parfois définie comme la version sociale de la culpabilité) et de la peur (même si elle apparaît dans la phobie sociale).

La honte est une émotion mixte, c'est-à-dire un mélange d'émotions simples (peur, colère, tristesse) et de sentiments (impuissance, rage retenue, désespoir triste, vide...).

Il s'agit d'une émotion plus archaïque que la culpabilité au sens où elle est souvent moins verbale et plus sensorielle que cette dernière. Elle se manifeste émotionnellement (gêne, malaise, peur,...ou exubérance, agressivité...), corporellement (yeux baissés, tête basse, rougissement... ou tête haute...), cognitivement (discours interne dévalorisant ou agressif...) et comportementalement (inhibition, paralysie ou ambition, exhibitionnisme...).

  • Humiliation : déshonneur, ignominie, infamie, opprobre, turpitude, affront, flétrissure, abjection, bassesse ;
  • Remords : embarras, gêne, culpabilité, repentir, regret, vergogne, pudeur, scrupule.

Les aspects positifs de la honte sont de l'ordre de l'éducation, de l'apprentissage de la vie sociale, de l'humanisme. La honte régule les relations sociales. Elle protège chacun en signalant les bonnes limites à ne pas dépasser. Les esquimaux utilisent par exemple la honte pour apprendre aux enfants à ne pas traverser la banquise, risque mortel pour eux. Quand un enfant traverse la glace pour la première fois, les esquimaux lui font honte pour lui apprendre à faire attention à ce danger qui peut lui coûter la vie.

Selon l'anthropologue Ruth Benedict, les cultures peuvent être classées en fonction de l'importance de l'utilisation de la honte ou de la culpabilité pour réguler socialement les activités de leurs membres. Les cultures asiatiques, comme par exemple la Chine ou le Japon, sont considérées comme des cultures de la honte. Les cultures européennes et américaines modernes sont considérées comme des cultures de la culpabilité. La société japonaise traditionnelle et celle des Grecs Anciens sont parfois plutôt considérées comme basées plus sur la honte que sur la culpabilité car les conséquences sociales d'« être attrapé » sont vues comme plus importantes que les sentiments individuels. Néanmoins aucune culture ne se base que sur un seul de ces sentiments. Les anthropologues rejettent de nos jours ce type de classification des cultures générales.

La honte, en tant qu'inhibition, est positive quand elle limite nos comportements sans altérer notre identité. Comme toutes les émotions, elle nous informe sur nous, et nous invite à ne nous placer ni en « sous-homme » (soumission, position de victime) ni en « sur-homme » (domination, position de sauveur ou persécuteur). Excès de honte et absence de honte sont préjudiciables : « comment, tu n'as pas honte ? » peut s'entendre dire d'une personne qui est choquée du comportement d'autrui sans qu'il manifeste aucun signe de repentence.

La honte est également vue comme positive car elle peut éviter aux victimes d'humiliations et de violences de sombrer à leur tour dans la barbarie et le chaos. De nombreuses personnes humiliées ou méprisées ont raconté qu'elles sont restées profondément humaines grâce à leur honte qui les a retenues du côté des Hommes, les empêchant de tomber dans la violence animale. Elle inhibe ici toute pulsion de violence sans empêcher de ressentir ce desir de violence. Une honte qui limite l'expression de la colère peut aussi favoriser le développement d'une névrose.

La honte a des aspects négatifs quand elle est excessive chez un individu. Elle est alors source de souffrance individuelle.... Elle amène a des conduites d'évitement, une phobie sociale, une anxiété liée à un sentiment d'insécurité et d'appartenance, de l'inhibition,... Un isolement social peut alors s'ensuivre. Émotion liée au silence et à la solitude1.

Les excès de honte proviennent des humiliations, du mépris, des moqueries, de l'illégitimité, des secrets, de la régression sociale, de la rivalité, du mensonge,... ou des messages d'orgueil, d'ambition, de désir...que l'individu reçoit des autres (les expressions « faire honte », « porter la honte » montrent que la honte est externe au sujet au départ). La honte passe parfois d'abord par les comportements pour ensuite fragiliser et endommager l'Être. Elle creuse son sillon dans la personnalité par passages successifs. Elle fonctionne en spirale en poussant le sujet à la fois vers le bas (« ego » brisé, déficit narcissique, forme de soumission) ou vers le haut (« ego » surdimensionné, excès narcissique, forme de domination, forme réactionnelle et défensive).

La honte ne s'enracine pas dans la conscience d'avoir mal agi (il s'agit là de culpabilité), mais dans le sentiment d'être indigne, comme être humain dans un contexte social. Une fois installée et enkystée dans la personnalité, la honte excessive mine l'ego (ou le surdimensionne par réaction défensive). Dans le film de David Lynch Elephant Man, le personnage principal (Elephant Man, enfant né avec une malformation physique, symbole du monstre), ne fait rien de mal, et pourtant il souffre de honte. Il vit caché, humilié, et il dit la souffrance de la honte quand il crie « Je ne suis pas un éléphant, je suis un être humain ». La honte amène le sujet à croire qu'il a quelque chose qui ne va pas, comme Gainsbourg qui chante « Je suis l'homme à tête de choux ». La honte peut engendrer une mauvaise estime de soi, et même une haine de soi.

  • La honte a une dimension corporelle. Elle est liée à la frontière corporelle, à la peau et à l'hygiène du corps. Elle est très souvent associée au thème de la sexualité et de l'image de soi par le corps. La honte modifie l'image corporelle et s'ancre parfois dans le faux sentiment d'être sale, laid, monstrueux, difforme...
  • La honte a une dimension visuelle. Elle survient lorsqu'on est visible dans un aspect de soi qu'on juge très négativement.

Cachée ou montrée dans l'excès, de forme soumise ou défensive, la honte signe une blessure narcissique profonde. Elle enveloppe corporellement le sujet comme une boule qui soit rougit, se vide, reste figée,.... soit se gonfle de façon défensive pour prendre toute la place comme la grenouille orgueilleuse de Jean de la Fontaine.

La honte est souvent associée à d'autres troubles: l'alcoolisme, les addictions, la dépression, la phobie sociale.... Un sentiment de honte persistant peut conduire à la dépression voire au suicide. En effet, une honte excessive engendre une perte importante d'énergie et un fort sentiment de désespoir. Dans un tel cas, sortir du retrait social et demander l'aide d'un professionnel de la santé est vital.

À ce propos, Michelle Larivey nous dit :

« On n'éprouve jamais de la honte seul face à soi-même. La honte est un sentiment qui est toujours vécu « devant » les autres et « par rapport » à leur jugement. La honte est composée d'une réaction d'humiliation devant le jugement de l'autre et du jugement négatif qu'on porte soi-même sur cet aspect. Elle permet de constater que nous n'assumons pas ce qui nous fait honte. Elle permet aussi d'identifier le jugement que nous portons nous-mêmes sur le sujet. (C'est justement ce jugement qui rend difficile de l'assumer). Enfin, elle nous informe de l'importance des personnes devant lesquelles nous vivons cette honte. »

La honte se propage facilement, elle se communique dans une logique verticale de supériorité-infériorité. Elle nous tombe dessus au contact des autres, et nous en sortons avec les autres.

La honte nous informe sur notre valeur et notre place d'Homme dans la communauté des Hommes. Elle renvoie à la dignité, à l'identité et à la justesse relationnelle de chacun dans la communauté humaine.

Dans la liste des émotions, la honte est souvent définie comme une émotion mixte, c'est à dire un mélange d'émotions simples. Pour de nombreux spécialistes, elle est un mélange de peur et de colère. Cependant, parmi les autres émotions, elle se distingue par sa complexité et ses dimensions multiples: sociale, narcissique (lié à l'ego et à l'identité), corporelle et spirituelle.

De façon simplifiée, la honte est un mélange de peur et de colère. On peut se la représenter comme un "court-circuit" en interne entre peur et colère face à une situation de souffrance sociale. D'un côté, le sujet honteux est dans la peur des autres car il a déjà souffert au contact des autres de moqueries, d'humiliations, de soumission ou d'exclusion. D'un autre côté, le sujet honteux bloque sa réaction de colère car il a peur de la réaction émotionnelle et comportementale qu'il imagine qu'il pourrait avoir s'il osait réagir à la soumission et aux humiliations. Bref, le sujet honteux est dans l'évitement des autres (externe et comportementale) et de lui-même (interne et émotionnelle).

La honte est un peu comme "un frein à main". Le sujet honteux ne sait pas gérer ses émotions car on ne lui a pas appris. Il ne fait pas la distinction entre colère (affirmation de soi) et violence (destruction). Il associe souvent émotion et comportement, et il a peur que s'il ose exprimer ses émotions, cela débouche sur un passage à l'acte, ce qui peut-être vrai. On pensera par exemple malheureusement aux massacres dans les universités américaines (exemple à Columbine) où souvent il s'agit de jeunes en difficultés qui passent violemment de la soumission (situation où ils sont jugés comme des "pollards" ou des "loosers" par leurs collègues) à la violence mortelle.

Le sujet honteux a également peur pour des raisons de sécurité et d'appartenance. Il a peur de la violence, mais aussi du rejet et de l'exclusion. Face à une figure d'autorité ou dominante, ou face à un groupe violent ou humiliant à son égard, il est en situation d'infériorité et d'insécurité, souvent seul et impuissant. Il baisse la tête, il ne bouge pas, il ne dit rien car il ne peut rien dire. Il est dans une situation qui ne lui permet pas de réagir aux violences psychologiques ou physiques qui lui sont faites. Il peut s'agir par exemple d'un enfant isolé dans sa famille ou à l'école, ou d'un adulte seul dans son entreprise ou sa communauté. L'âge, la pression du groupe et l'isolement sont souvent les facteurs explicatifs de cette impuissance normale et naturelle. On noteras à ce propos que le sujet honteux est souvent peu empathique avec lui-même par rapport à cette impuissance de fait, se trouvant des défaults ou des responsabilités qui vont alimenter sa culpabilité et ses croyances négatives sur lui-même.

De façon plus détaillée, la peur vient en premier dans l'expérience de la honte car elle alerte le sujet sur son état d'insécurité et d'isolement. Puis, la colère arrive, presque simultanément en réaction naturelle de défense aux attaques faites (NB: la colère est l'émotion normale et naturelle face aux injustices, aux frustrations et aux manques). La colère est alors bloquée par le sujet, soit parce qu'il est dans une situation où objectivement se défendre n'est pas possible pour lui du fait du rapport de force inégal, soit parce qu'il est dans une situation où réagir signifie renier une partie de lui-même ou de son groupe d'appartenance (notamment la famille). La colère qui permettrait de restaurer l'estime de soi est bloquée car elle est impossible. Le sujet honteux est dans une impuissance liée soit à un dilemme impossible, soit à un conflit impensable, soit à une situation d'impasse.

Avec le temps, ce schéma émotionnel simplifié (peur-colère) se repète et s'enrichit de jugements et de sentiments négatifs. La honte s'installe d'abord chez le sujet par la répétition et l'ancrage d'expériences douloureuses. La peur et la colère peuvent alors se décliner en terreur, rage, phobie, haine... selon l'intensité des violences subies par le sujet. La honte devient alors un mélange d'émotions et de sentiments plus larges que la simple expérience de base. Le sujet honteux développe en effet avec le temps de fausses croyances sur lui et les autres, où il ne manque pas de se critiquer et de se dévaloriser pour auto-renforcer inconsciemment sa vision du monde où il est le mauvais, le nul, le différent, l'inférieur ou le supérieur.

Quand elle est installée, la honte se vit comme une expérience d’anéantissement, de confusion et de vide. Au cours de son développement, le sujet n'a pu se construire les frontières et les ressources suffisantes pour gérer cette expérience de "court-circuit émotionnel" qui lui donne le sentiment que le monde se dérobe sous ses pieds.

Comme toutes les émotions, la honte nous informe. La honte nous renseigne sur la valeur que nous nous accordons aux yeux des autres et de nous-mêmes. Elle nous signale si nous prenons notre place dans la communauté des Hommes. Elle renvoie à la dignité et à l'estime de soi, à l'identité et à la justesse relationnelle de chacun en groupe. La honte n'est pas liée avant tout à la conscience d'avoir mal agi (il s'agit là de culpabilité), mais au sentiment d'être indigne (suis-je digne d'être aimé tel que je suis ?).

Sur ce dernier point, on notera que la honte est différente de la culpabilité pour deux raisons essentielles (même si elle est parfois définie comme la version sociale de la culpabilité). Tout d'abord, comme on vient de le voir, la honte est de l'ordre de l'"Être" et non du "Faire". On peut avoir honte sans avoir fait quelque chose de condamnable à la différence de la culpabilité: honte d'une partie de son corps, honte de sa famille,.... Ensuite, le sentiment de honte exclut le sujet de la communauté alors que la culpabilité participe à le ramener dans celle-ci en l'invitant à modifier son comportement.

La honte ne se limite pas à la peur ou à l'anxiété sociale même si elle apparaît dans la phobie sociale. Elle ressemble à la phobie sociale car elle entraîne parfois la mise en place de stratégies d'évitement semblables. A ce stade, il est important de distinguer deux grands types de personnes concernées par le vécu de la honte : celles qui ont intériorisé la honte et celles qui ont créé des aménagements à des vécus de honte. Leurs stratégies d'évitement et d'interruption du contact (avec eux, les autres et leur environnement) s’expriment d’une manière différente. Ces stratégies peuvent prendre les 3 formes de gestion du stress que tous les mammifères utilisent (que les anglo-saxons nomment les "3 F"): Fight (se battre, réagir contre), Fly (s'envoler, fuir), Freeze (se figer, s'immobiliser).

Comme toutes les émotions, la honte peut être dysfonctionnelle (schématiquement on peut dire que "le signal d'alarme" de l'émotion est perturbé, il n'est pas adapté à la réalité d'aujourd'hui mais à celle du passé). Dans ce cas, la honte a deux formes dysfonctionnelles sur le plan émotionnel. Suite aux humiliations, dévalorisations, secrets, fautes et autres désirs inavouables qui l'engendrent, elle peut avoir soit une forme dans "la soumission" soit une forme dans "la domination". La forme "soumise" de la honte est accompagnée de sentiments d'humiliation, de déchéance, de perte d'estime de soi. La forme dans "la domination" est une forme défensive et réactionnelle qui se manifeste par un excès d'ambition, d'orgueil et d'agressivité (manipulation, perversité, mépris....).

A propos de la honte dite dans la soumission, Michelle Larivey nous dit: "On n'éprouve jamais de la honte seul face à soi-même. La honte est un sentiment qui est toujours vécu "devant" les autres et "par rapport" à leur jugement. La honte est composée d'une réaction d'humiliation devant le jugement de l'autre et du jugement négatif qu'on porte soi-même sur cet aspect. Elle permet de constater que nous n'assumons pas ce qui nous fait honte. Elle permet aussi d'identifier le jugement que nous portons nous-même sur le sujet. (C'est justement ce jugement qui rend difficile de l'assumer). Enfin, elle nous informe de l'importance des personnes devant lesquelles nous vivons cette honte". Ici, on soulignera que, dans la honte, nous sommes au départ victime des autres (notamment, l'enfant impuissant), pour ensuite devenir inconsciemment bourreau de nous-mêmes (par répétition automatique du message enregistré).

La honte se manifeste émotionnellement (gêne, malaise, peur,...ou de façon réactionnelle par de l'exubérance, de l'agressivité défensive..), corporellement (yeux baissés, tête basse, rougissement,...ou au contraire une nouvelle fois par une tête haute,... ), cognitivement (discours interne dévalorisant ou défensif) et comportementalement (inhibition, paralysie... ou ambition, exhibitionnisme,...).

La honte est plus sensorielle, moins verbale que d'autres émotions au sens où elle engendre moins de discours interne. En ce sens, la honte est une émotion plus archaïque ou corporelle. De plus, la honte est plus de l’ordre de l’inconscient collectif au sens où elle est une émotion contagieuse, qui se transmet facilement sans mots, par exemple d'une génération à l'autre, sans vraiment savoir mais en ayant des impressions ou des doutes.

La honte renvoie à des expériences d’anéantissement, de confusion et de vide. Elle s'enracine dans le sentiment d'être indigne, "d'avoir quelque chose qui cloche", comme être humain dans un contexte social. Une fois installée et enkystée dans la personnalité, la honte excessive mine l'ego (ou le surdimensionne par réaction défensive).

Elle engendre les symptômes suivants chez le sujet honteux:

Le sentiment d'impuissance

Il s'agit du sentiment de ne pas pouvoir se défendre, de ne pas pouvoir changer la situation ("A quoi bon !?") , de ne pas y arriver, de gâcher sa vie, de ne pas arriver à construire sa vie. Le sujet honteux vit une impuissance car il n'assume pas son point faible, celui-ci devient son boulet. Le sujet honteux peut aller jusqu'à être persuadé que les autres ont raison de le persécuter ou de le juger durement. Il croit alors que les violences qui lui sont faites sont basées sur des faits réels selon lui. Le sujet honteux se focalise dans ce cas sur le contenu et les faits. Il va jusqu'à dire: "C'est comme ça, c'est la triste réalité, je suis comme ça !". Ce que le sujet occulte fondamentalement, c'est que, sur la forme, on ne traite pas un être humain de cette façon.

Ce sentiment d'impuissance se rapproche du sentiment d'impasse que l'on retrouve dans la dépression quand l'impuissance devient désespoir avec le temps. Ce sentiment d'impuissance est également présent chez ceux qui ont des difficultés à s'engager dans la vie.

L'inhibition de l'action et l'évitement

La honte bloque la capacité d'agir et de dire du sujet honteux. Elle va amener le sujet à se cacher, à se taire et à développer des stratégies d'évitement, par exemple pour ne pas prendre la parole en public ou en réunion.

L'inhibition de la honte est renforcée par les mécanismes inconscients de défense chez le sujet honteux. Souvent, le sujet honteux ne comprend pas ce qui lui arrive, il le cache à l'extérieur, et il se le cache intérieurement. La honte est ainsi une émotion où le sujet n'a accès facilement ni aux mots, ni aux ressentis.

Le sentiment de déchéance

Ce sentiment est lié à la chute sociale et économique dans une logique de réussite professionnelle et de classe sociale dominante. Le sentiment de déchéance chez le sujet va se rapporter aux questions d'argent et de place sociale qui apparaissent dans sa famille. Les histoires de décadence et de revanche à prendre sur l'échelle sociale sont ainsi fréquentes dans les familles des sujets honteux.

Plus concrètement, le sentiment de déchéance est souvent accompagné d’une problématique de statut ou place sociale. Le sujet honteux a une souffrance sociale qui apparaît dans la mesure où il a souvent du mal à prendre sa place dans la société ou à se sentir clairement appartenant à une classe sociale. Il peut être dans un « no-man's land » ethnique (voir les personnes fruit d’un métissage condamné par la société dans certains pays), ou un "entre-deux" social (à la fois d’origine modeste et bourgeoise, à la fois intellectuel et paysan, à la fois "catho" et "communiste …).

La perte du sentiment d'identité

Le sujet honteux a une identité fragile car il a le sentiment que quelque chose cloche dans ce qu'il est. Ce sentiment vient souvent d'un modèle parental défaillant (père alcoolique, absent ou violent....; mère folle, mère "salope"....) ou d'humiliations ou moqueries impossibles à rejeter (enfant sans défense, personne isolée, humiliation à partir d'un fait objectivement visible et réel). Au final, le sujet honteux introjecte une partie de lui qu'il juge négativement et qu'il est dans l'impossibilité de nier. Ceci fait qu'il n'aime pas complètement son identité, ce qu'il est. Se respecter, prendre soin de lui, être positivement fier de soi seront alors difficiles pour lui.

La perte de l'estime de soi

La honte est le résultat du sentiment qu’une partie vulnérable de soi est dangereusement exposée à autrui. Le sujet n'assume pas et juge cette partie de lui qui est montrée à autrui. Son estime de soi est atteinte, entraînant en défense le désir de se cacher ou de disparaître.

Cette perte de l'estime de soi est entraînée par la fragilisation dans le temps des frontières du sujet honteux. Le sujet honteux n'a pas les bonnes frontières pour se protéger. Son expérience de la honte lui donne le faux sentiment que les autres le regardent, le jugent et qu'ils peuvent voir son état intérieur.

Avec le temps, la mauvaise estime de soi peut devenir une haine de soi car le sujet va se faire le relai de ses honnisseurs. Il va passer du statut de victime des autres à celui de bourreau de lui-même de façon inconsciente: les messages de haine introjectés sont repris intérieurement par des parties de lui (le Surmoi, l'état du moi Parent, le Moi....selon les Ecoles).

Les troubles associés

La honte est souvent associée à d'autres troubles: l'alcoolisme, les addictions (troubles alimentaires, toxicomanie,...), la dépression, la phobie sociale.... Un sentiment de honte persistant peut conduire à la dépression voire au suicide. En effet, une honte excessive engendre une perte importante d'énergie et un fort sentiment de désespoir. Dans un tel cas, sortir du retrait social et demander l'aide d'un professionnel de la santé est vital.

Afin de compléter cette page sur les symptômes de la honte, notons que la honte peut se loger dans l'identité individuelle à de nombreux niveaux, c'est à dire de façon non exhaustive:

Sur le plan physique (corporel, racial, sexuel)

Honte d'être sale, d'être mal habillé, de sentir mauvais. Honte d'une partie de son corps, honte d'avoir un handicap. Honte d'être trop gros, trop grand ou trop petit. Honte d'être noir, jaune, blanc ou métisse. Honte d'être sourd, muet, borgne. Honte de dévoiler sa nudité, son impuissance, ses insatisfactions. Honte de se montrer, d'être vu. Honte de son sexe, honte de sa sexualité, honte de ses besoins corporels et sexuels.

Sur le plan affectif (familial et amical)

Honte de ses proches, de ceux qu’on aime, d’un parent, d’un frère, d’une soeur, d’un ami. Honte d'être le fils ou la fille de untel, honte d'être le "batard", honte d'être l'enfant du secret ou de la faute. Honte d’avoir honte de ceux qu’on aime et dont on a besoin d’être aimé. Honte de son infidélité ou de sa fidélité aux parents qu'on devrait honorer. Honte de ses besoins affectifs.

Sur le plan cognitif (intellectuel)

Honte de ne rien valoir, de ne rien savoir. Honte d'être un nul. Honte d'être analphabète. Honte d'être incompétent. Honte d'être un manuel, de ne pas avoir de diplôme. Honte d'être un intello, d'avoir trop de diplômes, honte d'être "une tronche" ou "une tête".

Sur le plan social et économique

Honte d’appartenir à un groupe, à une religion, à une entité économique, sociale, professionnelle: honte d'être un "prolo", d'être un bourgeois, d'être "catho" ou juif. Honte d'être pauvre, miséreux, chômeur, RMIste ou d'être parmi les exclus.

Sur le plan spirituel

Honte de n’avoir aucun sens à donner à sa vie, de ne pas être utile. Honte d’avoir perdu le désir d’exister. Honte d'être un pauvre type, d'être un paumé, un salaud ou mauvais. Honte d’être un homme confronté à l’inhumanité d’autres hommes.

Transmission de la honte

La honte est sociale. Il n'y a pas de honte sans l'existence d'autrui. Elle est un affect éminemment contagieux, qui se transmet de personne à personne dans une logique de verticalité. Le message complet est généralement inconscient, on peut le traduire ou le décoder ainsi dans sa globalité: "Il y a quelque chose qui cloche chez toi, tu dois en avoir honte !". On peut compléter le message ainsi: "Ce quelque chose fait que tu ne peux pas être O.K, tu ne peux pas être accepté ou aimé, tu n'es pas digne de cela, tu es moins bien que les autres".

Le quelque chose qui cloche est généralement visible, indiscutable ou inchangeable. La personne ne peut que se sentir en faute ou coincée au niveau du contenu, son honneur et sa dignité étant touchés.

La honte nécessite obligatoirement la présence d'un autre dans l'environnement: le tiers honnisseur. Le tiers honnisseur peut être singulier (un parent, un professeur...) ou pluriel (des camarades de classe, les parents, un groupe,...). L'honnisseur est celui qui fait honte, qui met la honte, qui rajoute parfois "T'as pas honte !". Le tiers honnisseur implique que, à terme, la présence de l’autre peut être dangereuse pour le sujet, car susceptible de réactiver le vécu douloureux de la honte.

Les expressions "Faire honte","Porter la honte" montrent que la honte est externe au sujet au départ pour ensuite intérioriser son Être. Elle passe parfois au départ par les comportements pour ensuite fragiliser et endommager l'identité. Elle creuse ainsi son sillon dans la personnalité par passages successifs. Elle fonctionne en spirale en poussant le sujet à la fois vers le bas ("ego" brisé, déficit narcissique, forme dans la soumission) ou vers le haut ("ego" surdimensionné, excès narcissique, forme dans la domination, forme réactionnelle et défensive).

La honte se transmet volontairement, mais surtout et le plus souvent à l’insu de ceux qui la transmettent. Les transmissions conscientes de honte proviennent généralement des humiliations, des moqueries ou des violences que l'individu reçoit consciemment des autres.

En période de guerre, la transmission volontaire de la honte est utilisée auprès des femmes par le viol. Le viol systématique est alors une arme de destruction psychique. L'homme guerrier ne pouvant tuer physiquement la femme ennemie, il la tue psychologiquement en lui faisant honte par le viol. Dans certains pays, notamment en Afrique, ce viol organisé se fait avec la conscience de la violence et du rejet social que la honte du viol va déclencher dans la vie de la victime après le crime.

Dans un autre registre, celui de la transmission inconsciente, le non-dit et le secret ont la particularité de transmettre et de propager la honte de proche en proche sans qu’aucun ne puisse savoir son origine, ni même l’identité de celui qui les transmet. La honte peut ainsi se transmettre de génération en génération, de manière inconsciente, selon le mécanisme du secret, laissant une information plus ou moins incomplète.

Le sujet qui reçoit le message de honte sera d'autant plus sensible à celui-ci qu'il a tendance à se juger ou à se comparer aux autres. Sur ce point, on notera que le sujet sensible à la honte a souvent tendance à s'imposer à lui-même des niveaux d'exigence et de contrôle élevés. Ses messages internes "Sois parfait" et "Sois fort" sont généralement très développés, ce qui fait qu'il se juge et renforce son expérience de honte.

L'anxiété sociale ou phobie sociale est "la cousine germaine" de la honte. En effet, il y a de la honte dans la phobie sociale (la réciproque est souvent fausse : on peut avoir honte sans être phobique social). En d'autres termes, on peut dire que la phobie sociale est une forme installée de la honte, c'est à dire une forme de honte souffrante et active dans la vie sociale quotidienne.

La phobie sociale est le nom donné à la peur des autres quand elle devient problématique (retrait social, évitements, perte de liberté, angoisse avec sensations pénibles, manifestations corporelles ou somatiques, mauvaise image de soi, perte d'estime, problèmes professionnels et relationnels,....).

La phobie sociale se caractérise essentiellement par:

- des évitements au niveau du comportement social

- de l'angoisse, de la peur et de la honte dans les relations sociales (un malaise, une gêne ou une panique au contact des autres)

- des pensées et croyances négatives sur soi et sur les autres (sentiment d'infériorité, sentiment d'être différent, non-acceptation de soi et de ses émotions, croyance que sentir est une faiblesse, sentiment d'être jugé par le regard de l'autre, surestimation de l'importance accordée par les autres à soi).

Ces émotions, pensées et comportements sont douloureux et conscients chez les personnes souffrant de phobie sociale. Cette conscience rend le vécu quotidien d'autant plus douloureux.

La phobie sociale se manifeste dans les situations suivantes:

  • situation de performance ou d'évaluation (faire ou réussir quelque chose devant une ou plusieurs personnes: exposé, entretien....)
  • situation de conversation (parler, bavarder, ...)
  • situation d'intimité ou de contact (oser se dévoiler, oser partager,...)
  • situation d'affirmation (oser dire, oser répondre, oser choisir ou refuser...)
  • situation d'observation (être vu ou regardé par un individu, un groupe ou une foule)

Pour aller plus loin, lire la page "Se libérer".

La honte excessive et nocive trouve ses racines dans des histoires personnelles diverses. Chaque histoire de honte est basée sur un amalgame d’éléments, qui reliés les uns aux autres construisent ce qui est ressenti comme le sentiment de honte. Ainsi se met en place le processus complexe d'intériorisation de la honte, fruit d’une grande diversité d’éléments intériorisés qui se combinent, pour enfermer le sujet dans une impasse.

De façon non exhaustive, les différents éléments peuvent être:

L'humiliation / l’impuissance /l’injustice /la résignation /la passivité /la répression /l’exploitation /l’impudeur /la jalousie /l’agressivité /l’illégitimité /la stigmatisation /l’invalidation / la moquerie /la dérision /l’exhibitionnisme /l’envie de s’élever /la peur d’être rabaissé /la rivalité / la culpabilité /l’usurpation /le mépris /la peur du ridicule /le non-dit /le secret /la méconnaissance /la colère /le mensonge /la régression sociale /l’ascension sociale / la culpabilité sexuelle / la haine des parents / l’effondrement de l’image parentale /l’abandon / l’ambition /l’orgueil /la déchéance sociale /la haine de classe /...

La combinaison de ces éléments engendre le sentiment d'indignité chez le sujet: il a quelque chose qui cloche et qui n'est pas acceptable. On retiendra les facteurs explicatifs suivants pour comprendre l'émergence de ce sentiment chez le sujet honteux.

L'illégitimité

Le sujet honteux occupe une place négative, qui ne devrait pas exister ou être la sienne. Il s'agit de l'enfant à qui on dit (inconsciemment ou non): "tu ne devrais pas être là !". Ici, la honte est celle de l'enfant batard, celle du sujet qui n'a pas sa place sociale (exemple le sujet qui n'est pas fidèle à la classe sociale de sa famille, qui en sort). L'indignité est lié au fait même d'être né, le sujet incarnant la faute, le secret ou l'interdit commis par ses parents.

Le manque de soutien

L'image parentale idéalisée est cassée chez le sujet honteux. La défaillance est généralement le fait du père. Le père est soit absent, soit humilié, soit violent et habité lui-même par la honte. Il n'est pas la figure protectrice qui apporte à l'enfant sécurité et confiance en lui. Cette carence pour l'enfant engendre chez lui une mauvaise estime de soi et un sentiment de honte.

L'abandon

Le sujet honteux est alors un enfant qui se culpabilise pour donner un sens à son vécu douloureux. Ne pouvant comprendre le comportement de ses parents, et avec le besoin psychique d'éviter la folie du chaos, il imagine qu'il est responsable de l'abandon dont il est victime. Sa croyance est alors "je ne suis pas digne d'être aimé ", croyance au coeur du thème de la honte.

L'infériorité

La croyance du sujet honteux est "je suis nul" dans ce cas. Il se compare durement aux autres et à ses propres critères de jugement. Il n'arrive pas à s'accepter comme il est car il n'a pas reçu suffisamment d'amour pour construire sa valeur. Le sujet honteux se sent alors inférieur, différent des autres, ou bien il cherche à compenser dans un désir de supériorité.

La violence

La honte du sujet qui a subi des violences physiques ou psychologiques se base sur une autre croyance: "je suis mauvais". Face au chaos de cette violence, face à l'impossibilité de donner du sens aux coups et aux insultes de la personne qui devrait le protéger, le sujet élabore inconsciemment cette croyance pour structurer l'expérience vécue. Il a besoin de donner un sens à son expérience pour éviter soit la folie soit le désespoir total. Comment l'enfant peut-il donner sens aux violences qu'il subit ? Il se raconte des histoires où c'est lui le méchant et où il maintient un Idéal de parent, dont il a besoin pour vivre.

Parallèlement, dans l'expérience de violence, le sujet honteux retourne contre lui la rage qu'il ressent face à son agresseur, il rougit car il bloque l'émotion de rage interdite. C'est ce sentiment haineux, jugé interdit par le sujet, qui peut lui confirmer intérieurement "Ce que tu sens est agressif, tu sens bien que tu es mauvais !".

Ici, la honte est rage impuissante, mélange de peur de l'agresseur et de colère réprimée.

Le conflit interne

Dans ce cas, le sujet honteux n'arrive pas à s'identifier à une ou des figures parentales qu'il vit en opposition ou en contradiction. Le sujet est déchiré par des identifications nécessaires à la construction de son identité qui sont impossibles pour lui pour diverses raisons: mère "putain" ou "salope", père violent ou alcoolique, .... Ceci l'amène à une ambivalence interne douloureuse sur le plan narcissique, et à un conflit interne entre la fidélité à ses parents et ce qu'il voudrait être. Ce conflit l'amène à ne pas pouvoir être à sa place, son choix impossible le ramenant toujours à la honte: soit la honte de renier sa famille, soit la honte d'être l'enfant de celui qui est rejeté par la société ou par ses valeurs.

Le déclin ou la chute sociale

La honte apparaît souvent chez les sujets dont un des parents est en situation d'échec ou de recul sur le plan social. L'histoire pourra être celle de la chute de la famille aristocrate ou celle du scandale dans la famille bourgeoise,.... Au final, un des parents apparait en "faillite" personnelle, parfois jugé durement et rejeté par la famille de l'autre parent, ce qui entraîne un effondrement de l'image parentale et handicape la construction de l'ego de l'enfant. Le sujet honteux qui aura vécu ce schéma sera notamment sensible aux situations de pouvoir et de domination.

Le silence et le secret

La honte se met en place chez l'enfant quand sa souffrance est indicible auprès de son entourage. A ce moment-là, il s'isole et retourne contre lui ses affects. Faute de pouvoir exprimer ses émotions et de pouvoir mettre de l'ordre et du sens dans son vécu, le sujet developpe une inhibition.

L'inhibition

La honte se développe quand la réaction saine face aux humiliations est impossible. Le sentiment d'injustice et de mécontentement normal et naturel est alors bloqué. La réaction est retournée contre le sujet, la honte sidérant le sujet: il perd la face, ne dit plus rien, ... c'est le court-circuit. Une fois installée dans le temps, la honte se transformera en inhibition, le sujet cherchant à éviter les situations pouvant être douloureuses pour lui.

En résumé

On notera que la honte se construit notamment sur un double processus qui amène au final le sujet à se juger indigne, mauvais, nul ou du moins négativement.

- un déficit narcissique ou une impossibilité d'identification aux figures parentales

Le sujet honteux est généralement un enfant qui a eu du mal à se construire une identité positive car une ou des figures parentales nécessaires à son identification sont jugées négativement. La honte s'installe parce que le modèle parental est défaillant, ne permettant pas de construire la sécurité et la confiance en soi nécessaire à une bonne estime de soi.

- un retournement des affects contre soi

Face aux injustices, pris par la peur, impuissant et isolé dans un monde d'adultes, le sujet honteux a été un enfant qui a appris à retourner ses réactions naturelles de colère contre lui.

Fonctions positives de la honte

Les aspects positifs de la honte sont de l'ordre de l'éducation, de l'apprentissage de la vie sociale, de l'humanisme. La honte régule les relations sociales. Elle protège chacun en signalant les bonnes limites à ne pas dépasser. Les esquimaux utilisent par exemple la honte pour apprendre aux enfants à ne pas traverser la banquise, risque mortel pour eux. Quand un enfant traverse la glace pour la première fois, les esquimaux lui font honte pour lui apprendre à faire attention à ce danger qui peut lui coûter la vie.

La honte est positive quand elle limite nos comportements sans altérer notre identité. A petite dose et ponctuellement, la honte nous indique le juste chemin vers le respect des autres et de soi. Elle nous apprend l'humilité et l'égalité entre les hommes. Comme toutes les émotions, elle nous informe sur nous, et nous invite à ne nous placer ni en "sous-homme" (soumission, position de victime) ni en "sur-homme"(domination, position de sauveur ou persécuteur). Excès de honte et absence de honte sont préjudiciables.

Les personnes qui ne ressentent pas la honte manifestent des comportements arrogants, envahissants, violents et deshumanisés qui nuisent à la qualité de la vie sociale. Les adolescents interpellés suite à du "Happy slapping" (agressions gratuites en groupe filmées avec des téléphones portables) ou des "tournantes" (viol collectif) semblent par exemple souffrir d'une absence de honte quand on les écoute.

La honte peut être également vue comme positive car elle peut éviter aux victimes de grandes humiliations et de violences de sombrer à leur tour dans la barbarie et le chaos. De nombreuses personnes humiliées ou méprisées ont raconté qu'elles sont restées profondément humaines grâce à leur honte qui les a retenues du côté des Hommes, les empêchant de tomber dans la violence animale.

Au regard de la fonction sociale positive de la honte, on peut se demander si la honte pathologique n'est pas le fruit de la violence humaine. La honte excessive ne serait-elle pas une émotion pervertie par l’homme au moment où celui-ci a compris qu’il pouvait faire honte à autrui ? La mauvaise honte serait-elle le fruit d’une utilisation abusive de cette émotion par l’homme ?

Approches théoriques sur la honte

Approche gestaltiste

Une première hypothèse est que l’intériorisation de la honte s’effectue dans le temps et autour de problèmes de contact /de lien (avec soi, autrui et l'environnement). D'un point de vue Gestaltiste, toutes les principales caractéristiques de la honte intériorisée renvoient à des dilemmes de contact/de lien où l’expérience de contact/de lien à l'autre est à la fois indispensable et inassimilable par l’enfant. Dilemme de contact/de lien où le sujet vit des expériences avec Autrui à la fois indispensables et inassimilables pour lui en termes de besoins pour se construire. La seule solution à ce dilemme de contact consiste à introjecter l’expérience pour pouvoir garder l’indispensable sans avoir l’intolérable. Cette expérience de contact reste alors interrompue et inachevée.

L’énergie de ces expériences inachevées est telle qu'elles recherchent impérativement à se répéter dans l'histoire du sujet, pour se cloturer. Ce mécanisme symbolise très bien comment et pourquoi le sujet habité par la honte reproduit, à l’extérieur, ce qu’il porte en lui. Comment il est l’expression dans sa vie, d’une intention profonde, qui reconnaît dans le monde ce qui lui ressemble.

Pour finir sur ce premier point, on soulignera l’importance du phénomène projectif chez les personnes habitées par la honte car, effectivement, c’est leur manière de reproduire ce qu’elles déplorent le plus.

Une deuxième hypothèse est que la honte renvoie à des expériences à la fois indispensables et intolérables pour le sujet dans la construction de son identité. Ces expériences sont source de honte et de très grande souffrance chez le sujet. Elles brisent brutalement ses frontières corporelles et psychiques (ses frontières-contact). Cette rupture violente des frontières-contact du sujet nécessiterait un ajustement créateur extrêmement rapide. Mais cet ajustement créateur, tant nécessaire, ne peut se réaliser chez le sujet honteux, car il faudrait que le déploiement du self/de l'ego/du Moi puisse s’appuyer sur des frontières de contact garantissant l’identité du sujet, alors que ce sont ces mêmes aires qui sont rompues chez lui (l’enfant avec sa famille, l’adulte avec sa communauté ...).

Cette rupture violente de la frontière-contact renvoie au phénomène de confusion et d’anéantissement, propre au vécu de la honte. La honte détruit ce qui devrait faire tenir debout le sujet. En d'autres termes, le sujet ne peut faire face à la honte car la frontière-contact sur laquelle le sujet devrait pouvoir s’appuyer et qui joue le rôle de fonction contenante de l’identité est elle-même détruite par la honte. En d'autres termes, le sujet honteux est atteint dans ses aires de limite saines qui jouent le rôle de fonction contenante de son identité.

Cette irruption du traumatisme aboutit à une rupture brutale de la confluence avec des parties contenantes indispensables, et porte le risque d’instauration rapide (comme aménagement indispensable et immédiat) d’une confluence avec un autre, considéré comme contenant de ses parties clivées et comme contenu, donnant sens à l’expérience vécue à la frontière contact.

Approche émotionnelle

Emotion mixte, la honte évolue dans le temps et selon les individus au fur et à mesure de la construction de l'identité. Elle est ainsi à la fois peur du rejet et de l'abandon, colère haineuse et rageuse, tristesse désespérée et solitaire. Ressentie avec conscience ou refoulée, source d'inhibition et d'ambition, la honte est multiforme à l'observation, et multifactorielle quand on cherche son explication.

Sur le plan physiologique, on peut penser que la honte est de la colère forte (suite aux humiliations, moqueries et autres dévalorisations que le sujet reçoit, ou encore suite aux secrets, désirs inavouables et autres fardeaux que l'on demande au sujet de porter) bloquée par la peur (du rejet, de l'exclusion, du mépris, de la mort...). La honte excessive est de la rage retenue soit retournée contre soi (honte impuissante, jugement contre soi) soit sublimée inconsciemment au niveau comportemental (honte ambitieuse, jugement contre les autres). La honte est une sorte de "fusible" ou "frein à main" émotionnel dans des moments de colère forte et impossible à dire (quand on est seul face aux autres, à la fois dans le besoin d'appartenance au groupe et dans le rejet de celui-ci). Ce "fusible" ou "frein à main"permet de ne pas tomber dans la violence animale, de rester Homme.

Approche symbolique

Sur un plan plus analytique, voici une « théorie symbolique » sur la honte. A ce stade, on peut dire que la honte est une émotion de l'identité et de l'ego. La honte signe une blessure ou un fardeau narcissique et identitaire dans un contexte relationnel, familial et social. La honte régule la place et la valeur de l'ego dans la relation aux autres.

Cachée ou montrée dans l'excès, de forme soumise ou dominatrice-défensive, la honte apparaît quand l'ego est soit écrasé ou accablé, soit surdimensionné ou excessif dans la relation aux autres.

La honte est cette "peau", cette "enveloppe corporelle" qui régule le lien entre l'intérieur et l'extérieur. Comme une boule qui soit rougit ou se vide, soit se gonfle et en fait trop, la honte nous informe sur le Moi dans la relation à Autrui.

La honte est une émotion mixte de peur et de colère qui touche à la construction de l'identité chez le sujet et à ses capacités de contact/lien avec son environnement. Elle se place sur cette limite, cette frontière, cette peau entre moi et autrui qui me protège et me différencie de lui.

La honte est un affect particulièrement douloureux et complexe. Pour s'en libérer, l'accompagnement avec "le bon psy pour soi" est souvent nécessaire car on rentre dans la honte par autrui, et on en sort grâce à quelqu'un avec qui on a une relation d'estime.

Pour se libérer de la honte et de la phobie sociale, on peut faire un travail sur soi à un ou deux niveaux selon son souhait:

1) au niveau du présent pour mettre en place une nouvelle dynamique et redevenir sujet de sa vie (apprendre à gérer ses émotions, travailler l'affirmation de soi, arrêter les peurs et les évitements du présent......)

2) au niveau du passé pour désactiver les blessures du passé (travail de guérison émotionnelle)

Au niveau du présent: reprendre du contrôle sur sa vie

L'objectif principal est double: arrêter la peur et augmenter l'affirmation de soi dans le présent. Cela passe notamment par:

- La gestion des émotions. Il s'agit ici de comprendre et gérer les émotions pour savoir ce qui se passe en soi ou chez les autres. Quand une émotion est-elle normale et naturelle ? Quelles sont les émotions inadaptées ? Comment les émotions fonctionnent ? Que faire pour se sentir mieux ?

- Le travail sur les évitements. L'important ici est de retrouver sa liberté de choix et d'action, et de prendre conscience dans quelle mesure l'évitement s'est installé dans sa vie. Mettre en place des exercices comportementaux pour diminuer progressivement les peurs et arrêter l'évitement pourra être une bonne option thérapeutique selon les personnes.

- Développer estime de soi et vie sociale en travaillant sur les permissions, les signes de reconnaissance, les verbes de la relation (comment on conjugue dans sa vie: demander, refuser, donner, recevoir,....).

- Sortir de l'impuissance en comprenant les dynamiques émotionnelles et comportementales qui la maintienne, dans le contact à autrui . Il s'agit ici de reprendre du contrôle dans ses relations sur ses besoins et critères de choix en travaillant sur les jugements, croyances et jeux de pouvoir.

Au niveau du passé: guérir les blessures

Pour ceux qui souhaitent faire un travail sur les racines de la honte dans leur histoire, voici quelques informations sur l'accompagnement de la honte.

Les étapes sur ce chemin sont notamment: oser demander de l'aide, accepter la main tendue, mettre "ses maux en mots", débloquer ses noeuds émotionnels, développer son autonomie et son sens des responsabilités, développer ses compétences et sa confiance en soi.

De façon plus détaillée, l'accompagnement "psy" pour une personne souffrant de la honte peut l'amener notamment à travailler les points suivants:

- Le rétablissement de la parole. Oser dire son histoire, oser nommer son vécu. Il s'agit ici d'exprimer ses maux en mots. Cela peut amener quelqu'un à oser parler de ses permissions et interdits, comme oser parler de ses peurs, de ses interdits de se plaindre, de son manque de confiance en l'autre,.......

- le travail sur l'acceptation de soi. On travaillera ici sur les manques, les absences, les défaillances et les carences qui font que l'enfant en nous ne s'est pas senti inconditionnellement accueilli.

- Le travail sur les évènements traumatiques. Il s'agit là de digérer les évènements particulièrement graves que toute personne humaine ne devrait pas subire dans sa vie. Ce travail permettra de remettre les choses en ordre dans sa tête et son coeur (technique du debriefing). Il pourra être accompagné d'un travail sur les yeux pour à la fois désensibiliser émotionnellement le passé, et diriger l'attention visuelle plus vers l'externe dans le présent. Ceci permettra au final de moins sentir le poids du passé et de mieux voir la sortie. + d'infos sur www.traumatisme.org

- Le travail sur les croyances limitantes qui enferment dans la honte (sur soi, les autres, le monde...). Il s'agira ici de remonter les "élastiques" émotionnels dans le passé pour désactiver les empreintes.

- Le travail sur les émotions blessées. Il s'agit là d'abord de prendre conscience du processus de refoulement de la souffrance ci-dessous (Modèle des 4 verrous issus des travaux de Alice Miller et Isabelle Filliozat), puis d'oser lever ces verrous qui nous ont amenés à nous taire et à garder la souffrance en nous. Ce travail permettra de libérer les émotions "mises de côté". Ceci permettra d'abord de sortir de la culpabilité (ce n'est pas moi le problème mais ce qu'on m'a fait !) et de digérer psychiquement le passé douloureux (faire le deuil de ce qu'on nous a fait pour mettre en place ce qu'on veut en faire).

- Prendre conscience des modes relationnels inadéquats que l'on a appris pour rentrer en contact avec autrui (c'est à dire du triangle dramatique où l'on se positionne alternativement en Victime-Sauveur-Persécuteur). Le travail sur le Triangle dramatique amènera à travailler sur les besoins de protection-permission-puissance nécessaire pour une personne pour oser installer une relation responsable, authentique et proche avec autrui.

- Le travail sur les frontières - les limites

- Le travail sur les "patates chaudes" des ancêtres. Il s'agit là de débloquer les secrets, deuils et autres hontes familiales qu'on peut porter pour les autres. Les "patates chaudes" peuvent constituer une véritable chappe de plomd qui empêche une guérison individuelle.

- L'expression de la vie en soi (dire oui à la vie et dire non aux mises en danger pour sa vie, construire la confiance, oser l'expression (artistique, sportive,...))

- Donner sens à sa honte, développer un bel humanisme dans sa vie sociale


Boris Cyrulnik - Mourir de dire : la honte par Librairie_Mollat


Boris Cyrulnik nous parle de la honte par Psychologies-com

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