mercredi 25 janvier 2012

Les hommes de l'ombre

"Les hommes de l'ombre" : Toute ressemblance avec des faits réels..."

La série de France 2 dissèque au scalpel les coulisses peu reluisantes d'une campagne présidentielle | LE MONDE TELEVISION | 24.01.12 | 14h29

"Les hommes de l'ombre" : Ecrite par Dan Franck et l'ancien communicant Régis Lefebvre, cette série met à nu la politique, sur France 2.

"Les hommes de l'ombre" : Ecrite par Dan Franck et l'ancien communicant Régis Lefebvre, cette série met à nu la politique, sur France 2.Bernard BARBEREAU / FTV

Un convoi officiel fonce sur une rocade. Dans la première voiture, le chauffeur, le président de la République, son responsable de la sécurité, Gendre (Abdelhafid Metalsi), et sa secrétaire d'Etat aux affaires sociales, Anne Visage (Nathalie Baye). Arrivée à Saint-Etienne, dans une usine en grève. Le président rassure, sert quelques mains, promet le reclassement de chacun. La foule, les plans qui se multiplient, filmés caméra à l'épaule. Un homme s'approche, une ceinture d'explosifs à la taille. Tout saute. Panique, hurlements. Le président n'en réchappera pas.

Ainsi débute "Les Hommes de l'ombre", vite, très vite, à l'image d'un événement crucial que nous serions amenés à vivre en direct. La mort du président sonne le glas d'une époque. En même temps qu'elle ouvre une campagne présidentielle express. Trente jours de course à la plus haute fonction de l'Etat pour les candidats mais aussi, pour nous, qui sommes mis dans leurs pas. Anne Visage et Philippe Deleuvre (Philippe Magnan), premier ministre du président défunt, chargé de diriger le pays, vont livrer leur combat, flanqués respectivement de Ludovic Desmeuze (Grégory Fitoussi) et de Simon Kapita (Bruno Wolkowitch), leurs conseillers en communication dont l'ambition est commune : mener leur candidat à la victoire. Et la rage de gagner aussi puissante : motivée chez Kapita par son désir de voir Deleuvre anéanti, nourrie chez Desmeuze par son envie de dépasser le maître. Kapita l'a en effet formé.

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A trois mois du premier tour de l'élection présidentielle, France 2 s'attaque à la fiction politique avec Les Hommes de l'Ombre, récit en six épisodes de l'ascension d'une femme qui décide de briguer la magistrature suprême. On ne pourra pas manquer de comparer cette série, d'abord avec le film L'Exercice de l'Etat, ensuite avec des productions étrangères, que ce soit Boss apparue aux Etats-Unis sous la houlette de Gus Van Sant ou encore Borgen, venue du Danemark et qui arrive sur Arte début février.

Montrer les coulisses du pouvoir est toujours un exercice délicat. La tentation est grande d'ouvrir les cuisines de la démocratie, de représenter l'endroit où les dirigeants confectionnent la soupe qu'ils nous servent ensuite. Les Hommes de l'Ombre ne réussit pas vraiment dans son entreprise, l'histoire reposant sur beaucoup trop de clichés, d'idées générales toutes faites et de personnages caricaturaux, malgré des références à notre passé politique assez récent.

L'idée maîtresse de la série est de dénoncer cet exercice du pouvoir dans lequel tous les coups sont permis, où la conservation d'un poste et les ambitions personnelles sont les deux mamelles de l'action politique. Face à cette pratique ancrée dans les moeurs, la série joue avec la fausse naïveté qu'un autre comportement, qu'une autre façon de faire est possible. Du moins, peut-on en avoir l'illusion quand on est novice et que l'on veut croire à l'intelligence et à la raison de ses électeurs et ne pas exploiter plus que nécessaire le caractère affectif de leur décision.

Plusieurs renvois sont fait à la campagne de 1981 remportée par François Mitterrand face à Valéry Giscard d'Estaing, mais dans le déroulement des six épisodes, on peut percevoir des clins d'oeil d'abord à celle de 2002 et au tempérament du candidat Lionel Jospin, ensuite à celle de 2007 et à la candidature de Ségolène Royal.

L'histoire démarre lorsque que le président de la République, Pierre Desportes, est victime d'un attentat à la bombe au moment où il visite une usine à Saint-Etienne. S'ouvre alors une guerre de succession. D'un côté le camp des méchants, avec le Premier ministre Philippe Deleuvre (Philippe Magnan) qui estime que le trône de l'Elysée lui revient naturellement. De l'autre, le camp des gentils avec l'ami du président, Simon Kapita, (Bruno Wolkowitz) qui entend barrer la route aux ambitions du chef du gouvernement.

Deleuvre a tout du type détestable, distant, dont l'habitat naturel est le lambris doré de la République, avec cette espèce de petite moue molle qui rappelle immanquablement Edouard Balladur. On regrette presque qu'il ne prononce jamais cette phrase mythique: "je vous demande de vous arrêter". Kapita, qui réussit à convaincre Anne Visage (Nathalie Baye), ex-secrétaire d'Etat de se lancer dans l'aventure, est le communicant efficace, faiseur de roi, celui qui est capable de redresser des cotes de popularité comme on rectifie une barre de fonte.

Les deux états-majors de campagne (qui appartiennent tous deux à la droite - comment ne pas songer à 1995 ?) vont s'affronter avec toutes les armes à leur disposition. C'est là que la série accuse une grosse faiblesse: les personnages sont beaucoup trop stéréotypés, de même que les situations. Kapita est opposé à son ancien élève Ludovic Desmeuze (Grégory Fitoussi). Le thème central imposé par l'équipe Deleuvre est l'insécurité avec un directeur de campagne qui ressemble comme deux gouttes d'eau à des politiques aujourd'hui en exercice. Le sénateur qui prend en main la campagne d'Anne Visage a tout du maquignon du Palais du Luxembourg. Quant à l'équipe de communication de Kapita, elle semble tout droit sortie d'une école d'attachée de presse.

On a le sentiment de découvrir l'envers du décor au travers de quelques séances de conseil en communication pour apprendre à Visage à parler devant les caméras. On a le sentiment de découvrir cet envers au travers d'une histoire secondaire couvrant un mensonge né de l'attentat. Mais l'ensemble manque de rythme, de tension. On nous montre la politique telle qu'on la fantasme et non telle qu'elle est certainement. C'est ce sentiment de décalage permanent qui rend difficile l'attention. On ne peut que saluer la réussite de L'Exercice de l'Etat sur ce plan: ni cynisme, ni idéalisme. Juste de la froide politique.

Les dialogues des premiers épisodes n'aident guère de ce point de vue. Plusieurs lignes de texte résonnent comme de grandes déclarations ou des phrases toutes faites. De ce point de vue, Borgen dont on parlera prochainement peut constituer un excellent exemple de ce qu'il aurait fallu faire. On aurait aimé aussi que la caméra parle plus souvent à la place des acteurs. De ce point de vue, Boss peut constituer une référence utile. Au total, les six épisodes forment un carnet de campagne cohérent. De la mort du chef de l'Etat au second tour de la présidentielle. Malgré tout, l'ensemble manque de souffle et d'originalité. Mais, il est vrai que nous avons toujours du mal à parler de ceux qui nous gouvernent.

Et en ce domaine, on ne louera jamais assez la qualité et l'audace de The Thick Of It.


Bande-annonce de la série "Les hommes de... par puremedias

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