Parmi les singularités de la crise financière de 2008, on retiendra que l’une des chroniques les plus impitoyables en a été tenue dans un magazine destiné justement à ceux qui l’avaient provoquée (Vanity Fair) et que le documentaire qui en dépeint le mieux le mécanisme est distribué par une multinationale, Sony. C’est qu’Inside Job est un film catastrophe, un genre que défend souvent le studio japonais – souvenez-vous de 2012. On tremble, on est indigné, on souhaite que les héros s’en sortent malgré tout. Mais la fin est déjà écrite et ces héros défaits par les forces du mal – les ouvrières d’une usine chinoise, les chômeurs d’un camp de toile en Floride – n’occupent pas l’écran très longtemps. Ce sont les méchants qui ont gagné – et le film leur donne abondamment la parole.
Charles Ferguson – qui avait déjà réalisé en 2007 un documentaire sur l’engagement américain en Irak, nommé aux Oscars mais resté inédit en France – est un virtuose de cette forme de documentaire qui a été façonnée par l’expérience télévisuelle. Les séquences sont courtes, soulignées d’une musique dramatique mais discrète, due à Alex Heffes, jeune compositeur britannique très couru par les réalisateurs ces temps-ci ; les interlocuteurs sont filmés de près entre talk-show et interrogatoire de police ; de temps en temps, un hélicoptère survole les lieux du drame (l’Islande, Manhattan, Washington) pour en souligner encore l’ampleur.
Cette nervosité spectaculaire est ici mise au service d’une grande rigueur intellectuelle. Non seulement Inside Job offre une analyse détaillée des mécanismes qui ont conduit à l’effondrement du système financier international à l’automne 2008, mais il ajoute des informations, des pistes de réflexion qui étaient restées jusqu’ici à l’arrière-plan, ou tout simplement cachées.
Enfin, Inside Job est une vraie comédie, qui tourne en ridicule quelques-uns des membres de ce groupe aux frontières floues qui a inventé et promu les machines étranges que sont ces produits financiers qui ne finançaient rien d’autre que les institutions financières qui les émettaient.
Avant de se faire cinéaste, Charles Ferguson est devenu millionnaire à l’occasion de la première bulle Internet. Si bien qu’il parle d’égal à égal avec ses interlocuteurs. Il faut voir l’exaspération de Glenn Hubbard, professeur d’économie, lorsqu’il comprend que son interrogateur est en mesure de le confondre. On pourrait presque les prendre en pitié, comme Frederic Mishkin, qui explique sa démission du conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale à l’été 2008 par l’urgence qu’il y avait à mettre à jour un manuel universitaire. Sa confusion est d’autant plus spectaculaire qu’il ressemble à Darry Cowl.
C’est la seule consolation qu’offre ce constat terrible : un peu de joie mauvaise devant l’embarras de ces hommes, tout en se disant que les sales quarts d’heure que leur fait passer Charles Ferguson seront leur seule sanction.
Dans Inside job, son édifiant documentaire, ce spécialiste en sciences politiques démonte les mécanismes de la débâcle de Wall Street en 2008.
Charles Ferguson : « J'espère stimuler le débat politique aux États-Unis et dans le monde. » (Sony Pictures)
Dans Inside job, son édifiant documentaire, ce spécialiste en sciences politiques démonte les mécanismes de la débâcle de Wall Street en 2008.
Loin de l'hystérie brouillonne et narcissique d'un Michael Moore, Inside Job montre comment, à force de dérégulation, Wall Street a réussi à commettre le hold-up parfait, celui «de l'intérieur». Spécialiste en sciences politiques, chercheur au MIT, ancien consultant gouvernemental, Charles Ferguson ne se laisse jamais démonter par les mensonges des traders, des économistes ou des politiques qu'il interroge. Son documentaire à charge est édifiant à plus d'un titre. De passage en France, il s'en explique avec passion et éloquence.
LE FIGARO. Pourquoi avoir choisi un tel titre?
Charles FERGUSON. Parce que ce n'était pas des gangsters ni des terroristes qui ont orchestré ce coup, mais bien des dirigeants de banque, des présidents très haut placés. C'est pour cela que j'affirme qu'il s'agissait d'un «hold-up» commis de l'intérieur.Vous employez le passé.
Pensez-vous que le «hold-up» se poursuive encore à l'heure actuelle?
Malheureusement, je le crois, oui.
Quel est le but de votre film?
J'espère stimuler le débat politique aux États-Unis et dans le monde. Je sais qu'il ne sera pas facile d'amener devant un tribunal ces gens puissants en pleine santé, qui ne vont certes pas abandonner leurs privilèges. Mais ce n'est pas impossible.
Dans le film, vous mettez en évidence les relations quasi incestueuses entre les puissances financières, politiques et universitaires. Pensez-vous qu'il soit envisageable de briser ces connexions?
Je le crois. L'Amérique n'est pas un pays parfait, loin de là. Mais il s'agit toujours d'une démocratie. Quand quelqu'un use et abuse du pouvoir, il finit toujours par être jugé.
Pourquoi avoir fait appel aux témoignages de la ministre de l'Économie française, Christine Lagarde, ou du directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn?
Tout simplement parce qu'il était plus facile pour eux, Français, de prendre du recul et d'avoir une parole libre sur ce sujet. J'ai quand même été surpris et enchanté par leur franchise et leur analyse du phénomène. J'ai trouvé cela très courageux de leur part. En ce moment, on parle toujours de la crise financière. Les langues se délient. C'est formidable et, en même temps, je crois que c'est naturel. En réalité, cela ne fait que commencer…
A-t-il été difficile de rendre pédagogiques et compréhensibles les mécanismes de Wall Street pour le grand public?
Vous savez, ces gens ont tout intérêt à faire croire que les choses sont opaques et complexes et qu'eux seuls peuvent résoudre l'équation. Il n'empêche, je vous affirme, et c'est ce que j'ai essayé de traduire dans Inside Job, que les problèmes liés aux secteurs financiers, économiques, politiques et boursiers, dans le grand bain de la mondialisation, ne sont pas compliqués !
Le mot qui revient le plus dans votre documentaire est le terme «dérégulation»…
Tout à fait. Et je pense que les États-Unis sont en train de prendre conscience des multiples conséquences néfastes entraînées par ces mécanismes de dérégulation économique en cascade. On voit bien ce que donne l'autorégulation dans le secteur pétrolier : il y a du pétrole qui flotte partout dans l'océan !
Le président Barak Obama est-il capable de changer le cours des choses?
Il n'a même pas essayé ! J'ai été l'un des grands supporteurs d'Obama durant toute sa campagne électorale. Mais j'ai été très déçu de constater qu'il s'était prudemment désintéressé des collusions entre Wall Street et les puissances économiques, financières, industrielles et politiques. Wall Street n'a, semble-t-il, rien à craindre d'Obama pour l'instant !
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