Sur l’initiative de M. le Professeur Ahmed Al Tayyeb, Grand Imam d’Al Azhar, un groupe d’intellectuels égyptiens d’horizons culturels et religieux divers s’est associé à des oulémas d’Al Azhar pour une série de réunions pendant lesquelles une réflexion approfondie a été menée sur les moments historiques que traverse l’Égypte, la révolution du 25 janvier 2011. Cette révolution constitue, en effet, une nouvelle orientation capitale pour l’avenir de l’Égypte à travers la réalisation de nobles objectifs et pour le droit du peuple égyptien à la liberté, à la dignité, à l’égalité et à la justice sociale.
Les participants se sont accordés sur la nécessité de bâtir l’avenir de la nation sur des principes englobants qui doivent être discutés par les différentes composantes de la société égyptienne pour avancer à pas assurés en intégrant lesdits principes aux cadres conceptuels qui sont à la base de la société et de son progrès.
Les participants reconnaissant à l’unanimité le rôle leader d’Al Azhar dans le développement d’une pensée Islamique modérée, ont affirmé l’importance de cette institution et sa place en Égypte, voyant en elle un phare dont la lumière serait propre à éclairer la relation entre la religion et l’État et à mettre en place une politique inspirée de la sharia juste, partant de son expérience historique, de son histoire scientifique et culturelle déclinées dans les aspects suivants :
1- L’aspect jurisprudentiel visant à la renaissance des sciences religieuses et à leur renouvellement, selon les principes de la tradition reconnue par la communauté (Ahl al-Sunna wa al-Jamâ’a) conjuguant raison et tradition et révélant les principes d’interprétation des textes reconnus de la sharia.
2- L’aspect historique du rôle d’Al Azhar dans le mouvement national de lutte pour la liberté et l’indépendance de l’Égypte.
3- L’aspect civilisationnel de renaissance des sciences naturelles, des lettres et des arts dans toute leur diversité.
4- L’aspect pragmatique de dimension sociale visant à former les leaders d’opinion dans la société égyptienne.
5- L’aspect conciliant science, leadership, renaissance et culture dans le monde arabe et musulman.
Dans leurs discussions, les participants ont tenu à s’inspirer du patrimoine des grands noms de la pensée, de la renaissance, du progrès et de la réforme à Al Azhar, et notamment le grand Sheikh de l’Islam Hassan al Attar et son disciple Rifaa al Tahtawi, l’Imam Mohammed Abdo et ses disciples, les grands Imams Maraghi, M. Abdallah Draz, Mustafa Abdel Raziq, Shaltout et autres grands Sheikhs et savants de l’Islam.
Ils se sont également inspirés des réalisations de grands intellectuels égyptiens ayant participé au progrès de la connaissance et de l’humanité, et contribué à former la pensée et la raison égyptiennes et arabes modernes, en perpétuelle renaissance. Ces sources d’inspiration sont de grands philosophes, des hommes de droit, de lettres, ainsi que des artistes et des spécialistes d’autres disciplines ayant participé à la formation de la pensée et de la conscience collectives égyptiennes et arabes.
Les participants se sont basés sur des dénominateurs communs pour réaliser de nobles objectifs agréés par les sages de la nation, et qui peuvent être résumés comme suit :
Définir les principes qui régissent la compréhension de la relation entre l’Islam et l’État dans la période exceptionnelle que traverse l’Égypte actuellement, et ce dans le cadre d’une stratégie consensuelle, qui définit l’État moderne que les Egyptiens aspirent à créer et le régime politique de cet État, pour faire avancer le pays vers le progrès civilisationnel et pour assurer une transition démocratique qui garantisse la justice sociale et l’entrée dans une ère de production de la connaissance et du savoir, qui soit également une ère de paix et de prospérité et qui protège les valeurs spirituelles et humaines ainsi que le patrimoine culturel.
Il s’agit, en effet, de protéger les principes islamiques ancrés dans la conscience de la nation, des savants et des penseurs, de manière à ce que ces principes ne soient plus l’objet de distorsions de surenchère, d’excès et de mauvaises interprétations, et pour éviter leur instrumentalisation par des courants déviants et extrémistes prêts à afficher des slogans religieux, confessionnels ou idéologiques en opposition avec les constantes de notre nation et des dénominateurs communs qui assurent sa stabilité, des slogans qui font dévier la nation du chemin de la modération – « wasat », qui sont en contradiction avec l’essence de l’Islam en ce qu’il porte de valeurs de liberté, d’égalité et de justice, et qui nous entraînent bien loin de la tolérance portée par toutes les religions monothéistes.
Partant, nous nous sommes accordés, nous les participants à ces réunions, sur plusieurs principes pour définir la nature de la Référence à l’Islam, représentée en des problématiques essentielles rattachées aux textes authentiques et fondateurs de la sharia, reflétant une juste compréhension de la religion ? Ces principes ont été résumés dans les axes suivants :
Un : Soutenir la création d’un État national constitutionnel démocratique et moderne, basé sur une constitution approuvée par la nation, qui assure la séparation des pouvoirs et des différentes institutions dirigeantes. Cette constitution doit définir le cadre d’exercice du pouvoir, garantir les droits et devoirs de tous les citoyens dans l’égalité la plus complète, de manière à ce que le pouvoir législatif soit entre les mains des députés du peuple, en accord avec les justes concepts de l’Islam.
En effet, l’Islam n’a jamais connu dans son système législatif, dans sa civilisation et son histoire ce que d’autres cultures ont pu connaître en termes d’État ecclésiastique théocratique à caractère despotique pour les populations. L’Islam, en revanche, a laissé à l’homme la gestion de sa société et le choix des mécanismes et des institutions qui lui permettent de réaliser les intérêts de sa nation, à condition que les principes globaux de la sharia soit respectés, comme l’une des principales sources de la législation, tout en garantissant aux croyants des autres religions monothéistes le recours à leurs propres textes religieux législatifs en matière d’état civil.
Deux : Adopter un régime démocratique, basé sur le suffrage universel direct, forme moderne reconnue pour la réalisation des principes de la shura islamique qui garantit le pluralisme et la transmission pacifique du pouvoir, la définition et la séparation des compétences, le contrôle des performances, ainsi que la responsabilité des dirigeants devant les représentants du peuple et le respect de l’intérêt général dans la législation, la prise de décision, la gestion de l’État selon le droit, et le droit seul, la lutte contre la corruption, la réalisation de la transparence et la liberté d’information.
Trois : S’engager au respect du système de libertés fondamentales de pensée et d’opinion, dans un total respect des droits de l’homme, de la femme et de l’enfant, l’affirmation du principe de pluralité, le respect de toutes les religions monothéistes, tout en définissant la citoyenneté comme le seul critère de responsabilité au sein de la société.
Quatre : Respecter la culture de la différence et l’esprit du dialogue, la prévention de l’accusation d'incroyance, ainsi que l’instrumentalisation de la religion aux fins de créer la discorde et l’hostilité entre les citoyens et criminaliser l’incitation à la haine confessionnelle et raciale. Adopter également le dialogue et le respect mutuel dans la relation entre les différentes composantes de la nation, sans distinction dans les droits et devoirs de tous les citoyens.
Cinq : S’engager au respect des décisions et instruments internationaux et des grands accomplissements civilisationnels en termes de relations entre les hommes, en accord avec les principes de tolérance des cultures islamique et arabe et avec la longue expérience civilisationnelle du peuple égyptien acquise au fil des différentes périodes de son histoire et à travers les modèles de vivre ensemble qu’il a fourni à l’humanité.
Six : Veiller au respect de la dignité de la nation égyptienne et de l’honneur national, et assurer la totale protection et le total respect des lieux de cultes pour les croyants des trois religions monothéistes ; garantir la libre pratique de tous les cultes religieux sans aucun obstacle ; respecter tous les signes culturels sous toutes leurs formes, sans porter atteinte à la culture du peuple et à ses traditions authentiques ; veiller au respect de la liberté d’expression et de création dans les domaines artistiques et littéraire dans le cadre du système de valeurs civilisationnelles authentique de notre nation.
Sept : considérer l’enseignement et la recherche scientifique et l’entrée dans l’ère du savoir comme le seul moyen de réaliser le progrès de l’Égypte, en déployant tous les efforts nécessaires pour rattraper le retard enregistré dans ce domaine, et en mobilisant les énergies de la société tout entière pour mettre fin à l’analphabétisme, en faisant également le meilleur investissement possible des ressources humaines pour réaliser les grands projets de la nation.
Huit : redéfinir les priorités dans la réalisation du développement et de la justice sociale, lutter contre le despotisme, la corruption, le chômage, et laisser libre cours aux énergies innovantes de la société dans les domaines économiques, ainsi que dans les programmes sociaux, culturels et médiatiques, comme une priorité pour la renaissance de notre peuple et réaliser la sécurité sociale et médicale qui est un devoir de l’État envers tous les citoyens.
Neuf : Etablir de liens solides entre l’Égypte et les nations arabes, ainsi que le monde musulman et le monde africain, et soutenir la cause palestinienne ; respecter l’indépendance de la volonté égyptienne en regagnant le rôle de leader historique du pays sur la base de la coopération pour le bien commun des peuples, dans une relation d’égal à égal et de totale indépendance, en contribuant au nobles efforts de l’humanité pour atteindre le progrès et le développement durable respectueux de l’environnement, et réaliser la paix juste entre les nations.
Dix : Soutenir l’indépendance de l’institution azharite, notamment à travers le retour de l’ «Aréopage des Grands Oulémas » avec la compétence de nommer le Grand Imam d’Al Azhar, et travailler au renouvellement des cursus pédagogiques azharites, afin qu’Al Azhar puisse regagner son rôle authentique dans la formation de la pensée, et son vaste rayonnement international.
Onze : Considérer Al Azhar comme seule instance compétente constituant une référence en affaires islamiques, et notamment pour les sciences islamiques, le patrimoine, l’effort d’interprétation jurisprudentielle et de pensée moderne, sans porter atteinte au droit de tout et chacun d’exprimer son opinion lorsque celle-ci est basée sur le minimum scientifique requis, et à condition de respecter l’esprit du dialogue et le consensus des oulémas de la nation.
Les oulémas d’Al Azhar et les intellectuels ayant participé à la rédaction de ce communiqué en appelant à tous les partis et courants politiques égyptiens pour travailler main dans la main au progrès politique, économique et social de l’Égypte dans le cadre des recommandations de ce communiqué.
Mashyakha d’Al Azhar
17 Rajab, en l’an 1432 de l’hégire/ 19 juin 2011
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