Les larmes aux yeux, les souvenirs qui remontent… François Bayrou est très ému en sortant de la projection du Discours d’un roi. Il raconte pour le JDD sa bataille contre le bégaiement, son "chemin intérieur" pour "apprivoiser la voix et le moi".
Paru dans leJDD
François Bayrou a été très ému par le film oscarisable. (Reuters)
"C’est très émouvant pour moi. D’abord, c’est un très beau film et, ensuite, c’est une histoire qu’on ne comprend bien que de l’intérieur. Sortir de cet enfermement-là et penser à ceux qui n’en sortent pas, c’est naturellement très marquant dans une vie. C’est un sentiment d’une telle injustice quand vous avez des flots de mots en éruption dans la tête et que vous ne pouvez les faire naître. Bien sûr, c’est une épreuve. La première fois que j’ai fait un enregistrement, il devait durer une minute, on l’a refait dix-sept fois.
Je me suis mis à bégayer à 7-8 ans. Avant, à l’école, on m’appelait “l’orateur” tant j’avais envie de parler. Le film le montre très bien, ce n’est pas un handicap physique, c’est un blocage intérieur. Il faut à la fois apprivoiser l’expression, la langue, la parole et se construire intérieurement. Apprivoiser la voix et apprivoiser le moi. Il faut comprendre ce qui est arrivé, ce qui est de l’ordre de la vie de chacun, s’accepter soi-même en apprivoisant les mots.
"Je n’ai jamais dissimulé mon bégaiement"
Ce n’est pas une petite chose dans une vie, et dans une vie de garçon surtout, pour qui le leadership de la parole est tellement essentiel. Le bégaiement est l’endroit où s’est produit une fêlure. Il frappe surtout les garçons, il touche l’instrument de la communication. C’est quelque chose qui tient à l’image de soi. On peut travailler la capacité de détente, le rythme de la phrase, la gestuelle, et en même temps ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel est dans le chemin qu’on fait intérieurement pour s’accepter et sans doute s’aimer bien.
Mon principe est de ne pas dissimuler, je pense que la sincérité est la clé de la confiance. Au demeurant, au début, il suffisait de m’écouter! Je n’ai donc jamais dissimulé mon bégaiement. Des petits garçons m’écrivent et me demandent comment on en sort. Beaucoup font ce chemin intérieur avec un psychanalyste, moi, je l’ai fait seul, contrairement au futur roi George VI. Quand j’étais adolescent, j’ai vu un orthophoniste. Quand je suis sorti de son cabinet, je ne bégayais plus, ma famille était folle de joie. Puis c’est revenu, quelques semaines plus tard. Il faut accepter de vivre avec son histoire. Nous le faisons tous, mais en bégayant vous ne pouvez pas dissimuler l’endroit où se manifeste quelque chose de blessé en vous.
Cette épreuve m’a poussé à faire le Conservatoire, à avoir même un prix. C’est pour cela que j’ai appris beaucoup de textes par cœur. ça m’a aidé pour la prononciation du français. Mon professeur au Conservatoire avait appelé le plus grand psychanalyste du Sud-Ouest pour me prendre un rendez-vous. Il m’a fait écouter la conversation : “Quel âge a-t-il ? – 19 ans.” Réponse du psychanalyste: “C’est foutu. Il ne pourra jamais faire de théâtre, jamais être prof et jamais faire de la politique.” Eh bien, j’ai fait les trois!
"Mitterrand évoquait souvent ce sujet avec moi"
Pendant des années, j’ai guetté et, avec moi, ceux qui m’aiment les moments où ça bute. J’ai appris à trouver les mots, à jongler pour dénicher ceux qui passent. Puis, avec le temps, vous comprenez que ce que vous dites est plus important que la manière dont vous le dites. Cela ne disparaît jamais, toujours on sait que ça peut arriver, qu’on peut bloquer. C’est probablement un handicap en politique, mais beaucoup de handicaps sont des forces. ça a joué un très grand rôle dans ma vie, c’était parfois désespérant, cela débouchait parfois aussi sur des éclats de rire. J’avais de si jolies choses à dire, surtout aux filles!
Mais ce n’est pas du tout une difficulté dont les gens ont pitié. On le sent bien dans le film quand son frère se moque en l’appelant “BBBBBBertie”. Au début, dans ma circonscription, mes adversaires faisaient campagne contre moi sur le thème “il ne sait pas parler”. Mitterrand l’évoquait souvent avec moi, je crois que c’est quelque chose qu’il avait rencontré. Tout cela est une vraie aventure humaine avec son poids sur les épaules. Elle vous forme et vous rend plus déterminé, plus attentif aux autres."
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