Les affaires de corruption défraient souvent la chronique. Les mises en examen d’hommes politiques ou de dirigeants de grandes entreprises n’étonnent plus personne, retiennent quelque temps l’attention, puis tombent dans l’oubli. Les médias s’emparent de l’affaire pour quelques jours puis oublient aussi vite. L’opinion public en conclut que le pouvoir, qu’il soit politique ou financier, s’accompagne souvent de malhonnêteté et que cela confirme ce qu’elle croit savoir de la « nature humaine ». Cette résignation n’est pas justifiée. Un examen du phénomène montre au contraire que son caractère structurel n’interdit pas de lutter efficacement contre lui.
La corruption: un phénomène structurel
Tous les domaines de l’activité humaine sont touchés par la corruption et la fraude fiscale. La corruption existe dans l’histoire des États et des peuples depuis l’origine des temps, elle est même mentionnée dans la Bible. La corruption a toujours servi à l’enrichissement personnel et à l’extension du territoire. En France, les premiers ministres tels Rouen sous Louis XII, Richelieu sous Louis XIII ou Mazarin sous la Régence d’Anne d’Autriche se sont servis de leur position à la tête de l’État pour s’enrichir de façon colossale, confondant les caisses de l’État avec leur caisse personnelle. Les « Bénéfices », ont été utilisés par le pouvoir politique pour récompenser et enrichir ceux qui le soutiennent. Les bénéfices étaient des biens appartenant à l’Eglise dont le pouvoir politique pouvait attribuer la jouissance à ses protégés pourvu qu’ils aient un grade quelconque dans la hiérarchie du clergé.
La corruption prend d’autres formes aujourd’hui. En France, de nombreuses affaires concernent les marchés publics et le financement des partis politiques : URBA, l’eau à Grenoble, la rénovation des lycées de l’Île de France, les emplois fictifs de la Ville de Paris ou l’affaire des HLM de Paris montrent l’ampleur du problème. Les entreprises privées sont aussi concernées. Il suffit de se remémorer les chiffres fournis à l’audience du procès Elf pour se rendre compte de l’importance du phénomène. L’instruction de l’affaire Elf a mis au jour, dans les marchés liés au pétrole, le système dit des « abonnements » consistant en une sorte de dîme occulte de 40 cent d’euro par baril. Selon certaines estimations, ces abonnements représenteraient plus de 150 milliards € annuels versés à des décideurs publics étrangers.
Il faudrait aussi citer « l’affaire des vedettes de Taïwan » avec son lot de commissions occultes, d’assassinats et de coups tordus dignes d’un roman policier et qui n’a fait l’objet d’aucun procès à ce jour malgré une instruction qui a duré plus de 10 ans et ce en raison de la « Raison d’État » ou du « Secret Défense ».
Les organisations internationales (ONU, Comité Olympique), les organisations caritatives (SPA, ARC) ou les organisations religieuses (Loge P2 et financement des partis politiques en Italie) ne sont pas épargnés par ce phénomène.
Communiqué de la Banque Mondiale le 8 avril 2004 : « Le montant des pots-de-vin payés dans le monde chaque année s’élève à 1 000 milliards de US $. ». Ce chiffre est fourni par Daniel Kaufmann, directeur du groupe de recherche sur la gouvernance à la Banque Mondiale, Il poursuit : « Ce problème ne concerne pas uniquement les pays en voie de développement. Nous avons calculé ce montant à partir des données économiques de la période 2001-2002 et il faut le comparer au montant de l’économie mondiale pour la même période qui s’élève à 30 000 milliards de US$. Nous n’avons pas pris en compte dans ce chiffre de 1 000 milliards de US$ les détournements de fonds publics et le vol des actifs nationaux. » Et il ajoute : « Il est important de souligner que ce phénomène n’est pas simplement un problème des pays en développement. La lutte contre la corruption est véritablement un défi mondial. Il est extrêmement difficile d’évaluer l’étendue des détournements de fonds publics à l’échelle mondiale, mais nous savons qu’il s’agit d’un problème extrêmement grave dans de nombreux endroits, » Le chiffre de mille milliards de dollars US a été calculé sur la base des données économiques 2001-2002 à comparer au PIB mondial de 2002 d’environ 30 000 milliards $US. Ce chiffre ne comprend pas les détournements de fonds publics ou les vols de biens publics. Les preuves abondent. L’organisation Transparency International estime que l’ancien Président Suharto de l’Indonésie a détourné entre 15 et 35 milliards de dollars des coffres de son pays. Ferdinand Marcos aux Philippines, Mobutu au Zaïre et Abacha au Nigeria ont chacun détourné environ 5 milliards de dollars EU.
Les chiffres de Kaufmann ne prennent pas en compte les montants liés aux activités criminelles qui ont été, de tout temps, producteurs de flux financiers importants et illicites :
- Trafic de drogue : 500 à 750 milliards US$,
- Trafic des êtres humains 20 milliards US$ et proxénétisme 8 milliards US$,
- Trafic de produits interdits par des Conventions Internationales : ?,
- Tabac, alcool… : représenterait 15 % de la consommation dans l’UE,
- Contrefaçon : 450 milliards US$.
Les gains procurés par les activités criminelles de toutes sortes sont bien sûr relativement importants mais ne représentent pas grand-chose en comparaison des autres formes que peuvent prendre la corruption et la délinquance financière aujourd’hui.
La Banque Mondiale évalue le flux de capitaux provenant de la corruption, des activités criminelles et de l’évasion fiscale vers les paradis fiscaux à un montant compris entre 1 000 et 1 600 milliards US$ dont la moitié viendrait des pays en voie de développement.
Flux de Capitaux illicites en Afrique | |
Flux illicites vers les paradis fiscaux | Evasions de capitaux |
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L’ONG Oxfam a publié en mars 2009 une étude réalisée par James Henry, ancien Directeur de McKinsey & Co, montrant que 6 200 milliards US$ déposés dans les paradis fiscaux provenaient de pays en voie de développement et représentaient une perte de recettes fiscales comprises entre 64 et 124 milliards US$ pour ces pays.
Une enquête du Ministère des Finances français estime à environ 19 milliards d’euros le montant des fraudes à la TVA pratiquées par des entreprises éphémères qui profitent de la législation européenne.
Le montant de la fraude fiscale en France peut être évalué à 45 milliards € chaque année selon le Conseil des Prélèvements obligatoires et même 50 milliards € selon le Syndicat National Unifié des Impôts.
En Europe ce montant est évalué par Laszlo Kovacs, Commissaire en charge de la fiscalité, à 250 milliards €.
Fin 2007, le Congrès américain a chiffré à 100 milliards de dollars par an la perte de recettes pour le Trésor américain en raison de la fraude fiscale.
Selon le Cabinet comptable McKinsey et la BRI (Banque des règlements internationaux) le montant total des actifs détenus dans les paradis fiscaux s’élèverait à 12 000 milliards US$ entraînant une perte fiscale de l’ordre de 860 milliards US$.
Ces exemples montrent de façon indiscutable que la corruption, quel que soit le régime politique ou la période de l’histoire, a un caractère structurel et a toujours été acceptée et souvent utilisée comme moyen de gouvernement. Mais il serait illusoire de croire, comme le fait souvent l’opinion public, que nous avons fait le tour de toutes les formes de malversations financières. Si les chiffres présentés dans les paragraphes précédents peuvent paraître spectaculaires, le plus impressionnant reste à venir. Il ne s’agit plus à proprement parler de délinquance au sens pénal du terme mais bien d’une délinquance financière au sens du bien publique. En effet, les montants les plus importants résultent de la dissimulation et de la soustraction à l’impôt des bénéfices des entreprises multinationales avec la bénédiction des gouvernements.
Les champions de l’optimisation fiscale
General Electrique
Comme beaucoup de société, General Electric (GE) disposait cette année d’un important crédit d’impôts reportable (Earned Income Credit) . Bien qu’elle ait généré un chiffre d’affaires de 10,3 milliards US$, cette société a encore dégagé un avantage fiscal de 1,1 milliards US$. En 2008 General Electric avait payé des impôts à hauteur de 5,3 % de son chiffre d’affaire en 2008 et à hauteur de 15 % en 2007 alors que le taux d’imposition des société est de 35 % aux Etats-Unis.
Bank of America
Bank of America (BAC) a généré un chiffre d’affaire de 4,4 milliards US$ en 2009 et un résultat fiscal de 1,9 milliards US$ de crédit d’impôt reportable qui s’ajoutera au 49 milliards US$ déjà engrangés. Bank of America n’est à la veille de payer des impôts !
ExxonMobile
ExxonMobile (XOM) a bien payé 17,6 milliards US$ d’impôts sur un chiffre d’affaires de 37,3 milliards US$, mais pas un centime n’a été payé aux Etats-Unis
Ford
Sur un chiffre d’affaires de 3 milliards US$ avant impôts, Ford (F) a réussi l’exploit de ne payer que 69 millions US$ soit un taux d’imposition de 2,3 % du chiffre d’affaires imposable. Un exploit !
Chevron
Sur un chiffre d’affaire imposable de 18,5 milliards US$, Chevron (CVX) a payé 8 milliards d’impôts sur les société dont seulement 200 millions US$ sont parvenus au Trésor américain. Le reste a été payé dans des paradis fiscaux ou des pays à très faible taux d’impôt sur les sociétés.
Verizon
Verizon a réussi à ne se voir appliquer qu’un taux de 10,5 % d’impôt sur les société bien qu’ayant réalisé un chiffre d’affaires conséquent de 11,6 milliards US$.
Hewlett-Packard
En 2009, par le biais des transferts de prix, Hewlett-Packard a réussi avec un chiffre d’affaires de 9,4 milliards US$ à ne payer que 33 950 $.
Ce qui est nouveau dans l’histoire de la corruption est la vitesse de développement de ce phénomène qui est passé du vol des richesses de l’État et à l’enrichissement personnel au rang de pilier structurel de l’économie mondiale et de gouvernement des États sans oublier bien sur la fraude fiscale et la dissimulation des gains procurés par les activités criminelles.
En France, le développement de nouvelles politiques sociales et militaires dans la 2e moitié du XIXé siècle a nécessité la recherche de nouvelles ressources financières qui ont entraîné le renforcement des prélèvements fiscaux aussi bien sur les revenus individuels que sur les bénéfices des entreprises. T.Piketty montre que durant le XIXé siècle la bourgeoisie industrielle et les citoyens disposant de hauts revenus n’étaient soumis qu’à une faible imposition de l’ordre de 3 à 4 %. L’introduction de l’impôt sur le revenu en France en 1914, en 1913 aux USA et en 1920 en Allemagne va entraîner une augmentation importante de l’évasion fiscale. Les tout premiers exemples de planification fiscale émanent de l’Empire Britannique lorsqu’au début du XXe siècle, des personnes fortunées ont commencé à utiliser les trusts offshore créés dans des territoires comme les Ïles Anglo-Normandes, en exploitant un concept britannique curieux de la distinction entre résidence et domicile.
Dans le même temps les entreprises internationales qui commencent à se développer de façon importante vont chercher un moyen d’éviter une double taxation qui pouvait varier selon les pays : siège social en Angleterre, lieu de production en France. Afin de développer sa croissance économique externe, les USA n’imposent fiscalement que les sociétés ayant une activité sur leur territoire et uniquement les profits des filiales qui sont rapatriés. La défiscalisation des activités extérieures a été légalisée aux USA avec les dispositions prises en début du XXé siècle au New Jersey et au Delaware pour attirer ces sièges sociaux, cette pratique a été étendue avec l’instauration des « Foreign Sales Corporations » (FSC) dans les paradis fiscaux en 1962. Devant cette situation les pays offshore vont proposer leurs services et se lancer dans une compétition de moindre fiscalité et de secret bancaire pour attirer le siège social des sociétés multinationales.
Mais il ne faut pas croire que les pays européens sont restés inactifs, ainsi les Pays-Bas sont devenus le lieu d’accueil privilégié des grands groupes (Alcatel, F.Pinault, EADS, Renault Nissan…) en raison d’un droit plus souple et de taux d’imposition plus faibles.
L’offre offshore a été inventée à la fin du XIXe siècle, s’est diversifiée tout au long du XXe siècle et n’a acquis une importance financière réelle qu’à partir des années 1970. Au fur et à mesure que les règles sont devenues importantes et complexes, le contournement s’est accru. Le développement du commerce maritime dans les années vingt est un bon exemple qui montre que les pavillons de complaisance sont passés de 5 % de la flotte mondiale en 1920 à 40 % aujourd’hui. De 1945 à 1975 il s’agit essentiellement de l’évasion fiscale, les entreprises multinationales vont rapidement intégrer les ressources offertes par les paradis fiscaux pour concentrer leurs bénéfices dans des filiales situées sur des territoires à faible imposition. À la même époque les banques vont s’intéresser à ces fonds déposés dans les paradis fiscaux qui sont à la recherche de placements, elles vont donc y ouvrir de nombreuses succursales. Par ailleurs les grandes places financières mondiales, Londres, Singapour ou Tokyo, vont à leur tour proposer des secteurs on shore qui sont l’équivalent des places offshore à faible réglementation financière et fiscalité très favorable. Ces places financières sont devenues aujourd’hui des acteurs importants et incontournables de la finance internationale.
Le secteur financier se révèle être le plus engagé dans les paradis fiscaux. BNP Paribas, le Crédit agricole et la Société générale disposent de 361 entités offshore. Si l’on y ajoute les Banques populaires, Dexia et la Banque postale (présente au Luxembourg), on atteint un total de 467 entreprises. Ce qui représente, en moyenne, 16 % des entreprises de ces six groupes. Les banques françaises s’installent dans les centres financiers offshore pour faire fructifier discrètement et au moindre coût fiscal le patrimoine des personnes aisées, gérer les salaires des cadres à haut revenu en dehors du regard du fisc, accompagner les stratégies internationales des multinationales qui pratiquent « l’optimisation fiscale ».
Quelques exemples d’une liste non exhaustive de grandes entreprises françaises présentes dans les paradis fiscaux
Sociétés | Nombre de filiales dans les paradis fiscaux | En % du nombre total de sociétés dans le groupe |
---|---|---|
BNP Paribas | 189 | 23 |
LVMH | 140 | 24 |
Schneider | 131 | 22 |
Crédit Agricole | 115 | 19 |
PPR | 97 | 17 |
Banque Populaire | 90 | 9 |
France Telecom | 63 | 24 |
Société Générale | 57 | 17 |
Lagardère | 55 | 11 |
Danone | 47 | 23 |
On constate la même chose lorsqu’on examine la liste des sociétés anglaises ayant des filiales basées dans les paradis fiscaux
Les pratiques liées historiquement aux ressources offertes par les places offshore sont donc structurellement liées au fonctionnement du commerce et de la finance internationale. La longue histoire de connivence entre économie traditionnelle et finance offshore hier marginale est devenue aujourd’hui incontournable. Les paradis fiscaux ne sont pas uniquement les fournisseurs de moyens pour les trafiquants internationaux afin d’insérer leurs profits illicites dans l’économie générale, ils sont devenus aujourd’hui un rouage essentiel de l’économie mondiale largement protégé par les États dans une compétition économique qui est devenue aujourd’hui mondiale.
L’étrange chemin des bénéfices générés par le Lexapro , médicament produit par le laboratoire américain Forest.
Il existe donc des liens structurels entre les pratiques discrètes autorisées par les places offshore et les activités commerciales et financières considérées comme légitimes. Les paradis fiscaux détiennent 26 % des capitaux du monde et ne représentent que 1.2 % de la population mondiale. L’activité des paradis fiscaux gère environ 20 % de la richesse privée mondiale. Un tiers de la richesse des particuliers les plus aisés, soit 6 000 milliards de dollars, est détenu offshore. Sur ces territoires se sont établis 4 000 banques et 2.4 millions sociétés écrans. On peut aussi noter que, selon l’OCDE, 50 % du commerce mondial et 60 % des flux financiers internationaux transitent par les paradis fiscaux et judiciaires (PFJ).
Encore plus fort: les trou dans la législation fiscale de certains pays européens.
En Espagne, les capitaux sont exonérés d’impôts aussi bien lorsqu’ils entrent que lorsqu’ils sortent du territoire grâce à des « entités détentrices de participations étrangères (ETVE) ». Cet outil existe en Suisse et aux Pays Bas. Les ETVE ne sont imposables que dans le cadre des investissements réalisés pour développer leur activité sur place et donc « pas d’activité sur place », « pas d’impôt » ! Cette structure joue donc le rôle de simple boite à lettres qui récupère les profits d’autres filiales européennes. Ainsi ExxonMobil Luxembourg a versé 3,6 milliards € à la filiale espagnole qui, sans aucune activité en Espagne, a ainsi versé 2,2 milliards € à la maison mère aux USA. Vodafone, American Express ou Hewlett-Packard utilisent largement les ETVE.
Ces chiffres sont à comparer au :
- PIB mondial : 64 000 milliards US$, (Banque Mondiale 2 007),
- PIB Europe : 14 700 milliards US$, (Banque Mondiale 2 007),
- PIB de la France : 2 050 milliards US$, (Banque Mondiale 2 007),
- Déficit budgétaire de la France : 140 milliards € soit environ 190 milliards US$,
- Déficit de la Sécurité Sociale : 18 milliards € soit environ 27 milliards US$,
- Aide aux Pays en voie de développement : 100 milliards US$.
Tous ces chiffres aussi imprécis soient-ils donnent néanmoins une idée de l’importance colossale des montants en jeu. Aucun de ces paradis fiscaux n’aurait pu se développer et prospérer sans la bénédiction et la bienveillance des grands États ; en effet deux tiers des paradis fiscaux sont des territoires sous la dépendance de ces grands États.
L’évasion, la fraude et la concurrence en matière fiscale, ainsi que les phénomènes liés à la fuite des capitaux, sont en passe de devenir le problème de société le plus important auquel les gouvernements et la société civile vont être confrontés. Alors que les préoccupations sociopolitiques se concentrent sur la fracture grandissante entre nantis et défavorisés, et que la communauté internationale se voit sans cesse rappeler qu’il est urgent d’apporter des solutions à la persistance de la pauvreté généralisée dans les pays en développement, la société civile est de plus en plus concernée par la question de la croissance de la richesse globalement détenue dans les paradis fiscaux au détriment des autorités fiscales nationales.
Hypocrisie de la lutte contre la corruption
Vers 1970, dans différents pays l’accent commence à être mis sur les pertes de recettes fiscales générées par les places offshore, situation d’autant plus choquante qu’elle profite surtout aux contribuables les plus riches et aux grandes entreprises. On peut dater ce changement au rapport R.Gordon remis en 1981 au président J.Carter et qui critique le système fiscal favorable accordé aux multinationales . Vers 1990 vient le temps de l’opprobre et de la médiatisation et vers 1995 on commence à parler de lien systématique entre paradis fiscaux et conduites illégales.
L’opinion public a commencé à être alertée des dérives du système financier mondial lors des interventions en faveur du fond spéculatif LTCM, des Caisses d’Epargne Saving and Loans ou du système bancaire au Japon qui ont été faites avec des fonds publics et qui ont conduit à socialiser les pertes. Ces dérives ont continué malgré la découverte de malversations toujours plus importantes révélées par les scandales Tyco, Enron ou WorldCom aux USA, Parmalat en Italie ou du Crédit Lyonnais en France. Malheureusement ces scandales ont été et sont toujours considérés par les gouvernements et les autorités de surveillance ou de régulation existantes comme des incidents de parcours regrettables sans jamais remettre en cause le système lui-même.
Les paradis fiscaux ne sont cependant qu’une facette d’un phénomène plus profond qui sous-tend la globalisation de l’économie. Du fait de la révolution des moyens de communication électroniques et de la libéralisation, à l’échelle mondiale, du contrôle des capitaux depuis les années quatre-vingt, les grosses fortunes et les sociétés transnationales sont libres de transférer leurs avoirs dans n’importe quelle juridiction. Nombre d’entre elles ont choisi de domicilier leur fortune et leurs bénéfices dans des territoires offshore qui leur offrent une imposition minimale voire une non-imposition pure et simple. Les conséquences de telles pratiques, dans un contexte de globalisation des marchés, sont d’autant plus dommageables que les régimes fiscaux reposent encore largement sur des bases nationales et que les tentatives récentes de renforcement de la coopération internationale en matière fiscale ont été contrecarrées par un lobbying intense.
Il faut attendre la fin du XXe siècle pour que l’on reconnaisse enfin le rôle de la corruption dans les dysfonctionnements de l’économie et qu’apparaissent enfin les premiers organismes de lutte contre la corruption :
- 1999 : entrée en vigueur de la Convention Anti-Corruption de l’OCDE
- 2003 : Convention contre la corruption de l’ONU
Les organismes qui s’occupent de lutter contre la corruption sont en grand nombre et leurs résultats extrêmement décevants. Ces organismes se réunissent dans d’innombrables commissions qui produisent d’innombrables rapports qui ne sont jamais suivis d’effets. Tous ces détournements ont un point commun qui n’apparaît pas toujours : les bénéfices sont systématiquement engrangés dans les « Paradis Fiscaux » car les activités financières illégales nécessitent un lieu de stockage à partir duquel il sera possible d’en réintégrer les bénéfices dans l’économie traditionnelle au bénéfice de quelques-unes et au détriment du plus grand nombre des citoyens de cette planète.
Transparency International publie chaque année un Indice de Corruption dans le monde qui consiste à évaluer le degré de corruption dans un grand nombre de pays qui aboutit au paradoxe suivant : le Nigeria apparaît dans cette liste comme un des pays les plus corrompus au monde mais la Suisse ou le Royaume-Uni qui abrite les fonds détournés de ce pays figurent dans le haut du tableau avec les pays les moins corrompus.
Il s’agit bien d’un « hold-up » mondial.
L’intérêt de ces différentes organisations pour la corruption remonte au début des années quatre-vingt-dix souvent sous la pression des USA qui souhaitaient que tous les pays exportateurs fassent peser sur leurs entreprises les mêmes contraintes que celles qui existent aux USA depuis 1977 avec le vote de la loi Foreign Corrupt Practice Act (FCPA) à la suite du scandale Lookheed Aircraft. L’appel de Genève de 1996 demandant coopération policière et entraide judiciaire internationale contre la délinquance économique et financière et qui mettait en évidence les contradictions évidentes des États Européens n’est sans doute pas étranger à ce soudain intérêt. Cet appel a été renouvelé le 19 juin 2003 par une quinzaine de personnalités du monde entier, dont une majorité de magistrats et dénonce à nouveau les effets de la corruption.
C’est, en définitive, le scepticisme qui prévaut en matière de possibilité de lutte contre la corruption qui est la meilleure protection des fraudeurs, des criminels, des corrompus et corrupteurs contre les armes qu’il serait possible d’utiliser contre eux. Ce n’est que si l’opinion public prend une meilleure conscience de l’importance et de la nature du problème que les gouvernements et les partis politiques commenceront à devenir sérieux en ce domaine. Pour qu’un travail de démystification réussisse il faut :
- que l’opinion public soit informé de l’importance des détournements de richesse permis par le système de corruption actuel, et qu’il soit clairement démontré que les peuples en sont les victimes, au profit d’une minorité qui comprend des criminels, des milieux politiques et d’affaires et des privilégiés.
- que soient indiquées de façon très précise les mesures qui auraient des chances d’être efficaces et les transferts de ressources qu’elles permettraient au profit des finances publiques, et des contribuables eux-mêmes. Il faut démontrer que la justice sociale est en jeu.
Le retour de seulement 50 % de ces montants dans le circuit normal des flux financiers soumis à l’impôt permettrait aux différents états du Nord ou du Sud de mettre en œuvre des politiques économiques et sociales plus larges et plus justes sans mettre en péril leur équilibre budgétaire qui est en grand danger aujourd’hui en raison du financement de ces dépenses par l’accroissement sans fin de la dette de l’État.
La lutte contre les paradis fiscaux et judiciaires et en particulier contre l’évasion fiscale doit être désormais reconnue comme un enjeu majeur de la lutte contre la pauvreté dans le monde. Les premières victimes des centres financiers offshore sont, en effet, les États les plus pauvres de la planète et leur population. L’hémorragie fiscale dépossède les pays pauvres des ressources financières nécessaires pour mener des politiques de développement sans avoir à dépendre des financements extérieurs de l’aide internationale et de l’endettement. L’évasion fiscale massive rend les mécanismes de redistribution impossible à construire et compromet ainsi le développement de services publics de bases. Pire, elle contribue directement à la « faillite » de ces États et à l’impossibilité de mettre en place tout contrat social. Sans impôt, sans compte à rendre aux citoyens, le lien entre les pouvoirs publics et leurs populations n’existe plus. Entre le début des années 1970 et aujourd’hui, le nombre de paradis fiscaux identifiés par différentes organisations internationales et instituts universitaires est passé d’environ 25 à 72. Le système financier international n’a eu de cesse de les intégrer dans le système qui gère les transactions financières mondiales pour pouvoir les utiliser à leur avantage. La plupart d’entre eux n’ont pas d’autonomie politique réelle et sont, de facto, contrôlés par les principales places financières mondiales : les gouvernements des pays riches sont donc largement responsables du développement de ces territoires d’opacité et d’impunité.
À ne blâmer que les paradis fiscaux pour leur faible ou inexistant taux d’imposition ou pour leurs structures opaques, les membres du G20 oublient que ce sont leurs entreprises qui profitent de la concurrence fiscale mondiale pour échapper à l’impôt sans que leur soient demandés des comptes. Les normes de transparence appliquées aux comptabilités des multinationales occidentales sont avant tout définies en Europe et aux États-Unis. Or, ces pays ont peu à peu délaissé leur compétence législative en la matière à une organisation privée, l’International Accounting Standard Board (IASB), dirigée en fait par les quatre principales entreprises d’audit comptable internationales : Price Waterhouse Coopers, KPMG, Ernst & Young et Deloitte & Touche, appelés les « Big Four ». Pour garantir les recettes fiscales des pays du Sud, comme du Nord, les membres du G20 doivent exiger davantage de transparence en demandant l’évolution des normes comptables internationales pour que les multinationales déclarent dans chaque pays d’implantation leurs activités, leurs revenus et les impôts payés, ce que dissimulent actuellement les comptes des groupes avec des chiffres régionaux. Côté face, les « Big Four » certifient les comptes des plus grandes entreprises avec leurs commissaires aux comptes. Côté pile, elles vendent leurs services d’optimisation fiscale pour réduire la facture fiscale de ces mêmes entreprises. Le réseau Tax Justice Network, sur la base de chiffres fournis par Merrill Lynch, Cap Gemini, Boston Consulting et la Banque Mondiale, estime le montant des avoirs déposés dans les paradis fiscaux à 11 500 milliards US$ qui généreraient une perte fiscale d’environ 250 milliards US$ chaque année.
La crise financière que nous traversons est peut-être l’occasion unique pour l’opinion public de prendre conscience de l’importance du problème. Les gouvernements occidentaux ont montré lors du G20 qui s’est tenu à Londres en avril 2009 ont reconnu officiellement l’importance et la nocivité des paradis fiscaux. Il faut souhaiter que tout cela ne reste pas au stade des bonnes intentions ou des déclarations destinées à montrer à l’opinion public que les experts s’en occupent pour ne rien faire ensuite. Les États-Unis ont commencé à prendre quelques mesures, le président Obama a fait voter le « Stop Tax Haven Abuse Act » destiné à limiter les escroqueries dues aux transferts de prix entre filiales des entreprises multinationales qui entraînent des pertes estimées à 100 milliards US$ chaque année. La loi présentée en juillet 2010 par les sénateurs Benjamin Cardin et Richard Lugar obligera toute entreprise américaine ou étrangère ayant, où que ce soit dans le monde, des activités dans l’industrie du pétrole, du gaz ou des minéraux à publier dans son rapport annuel le montant de toutes les redevances, taxes et autres paiements effectués projet par projet, pays par pays si elles veulent avoir accès aux marchés des capitaux américains. Même s’ils n’attaquent pas de front, les Etats-Unis ont encore une fois repris la main dans la lutte contre la corruption . Pendant ce temps l’Union Européenne réfléchit aux mesures à prendre et officiellement il n’existe plus de paradis fiscaux, grâce à la signature de quelques conventions fiscales entre États qui ne seront jamais respectées ou inapplicables. La liste des paradis fiscaux établie par l’OCDE est aujourd’hui vide !
Des solutions
La lutte contre la corruption et la fraude pourrait être gagnée, si par-delà les discours indignés, s’il existait une volonté politique de prendre les mesures nécessaires à cette fin. Le secret bancaire n’a aucune justification, les polices financières sont sous-équipées, ainsi que les magistratures financières et il faut remédier à cette situation. L’existence même des paradis fiscaux est un scandale inadmissible et c’est leur éradication qu’il faut exiger en interdisant toutes relations avec eux. Une autorité fiscale mondiale pourrait être créée .
Aucune de ces mesures ne sera prise dans le cadre du système actuel. C’est pourquoi la lutte contre la corruption et la fraude, qui doit être poursuivie avec acharnement, notamment par l’affirmation de la légitimité et de la possibilité des solutions ici proposées, fait partie du combat plus large encore pour le changement de notre type de société.
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