Jérôme Marin, à New York
Deux jours après la tribune assassine d'un ancien cadre de la maison, Greg Smith, sur les pratiques et l'éthique de la prestigieuse banque d'affaires, tout Wall Street est ébranlé par l'onde de choc. Le patron de Goldman Sachs, Llyod C. Blankfein est sur la sellette.Un sacré baptême du feu. Tout juste débarqué dans les bureaux de Goldman Sachs à New York pour prendre la tête du service de communications, Richard Siewert, porte-parole de la Maison Blanche sous la présidence de Bill Clinton, a dû affronter sa première situation de crise. Mercredi, dans une tribune assassine publiée dans le "New York Times", Greg Smith, ancien cadre à Londres, a dénoncé les pratiques de la prestigieuse banque d'affaires, plus attachée, selon lui, à faire des profits plutôt qu'à défendre les intérêts de ses clients, qualifiés de marionnettes ("muppets").
"Quand les livres d'histoire seront écrits sur Goldman Sachs, ils pourraient bien montrer que le PDG actuel, Lloyd Blankfein, et le président, Gary Cohn, ont laissé tomber la culture de la firme quand ils en tenaient les rênes. Je crois réellement que ce déclin de la fibre morale de la firme représente la menace la plus sérieuse pour sa survie à long terme", lance cet ancien responsable des produits dérivés en Europe, Afrique et Moyen-Orient. "Cela peut paraître surprenant, mais cette culture a toujours constitué une part considérable dans le succès de Goldman Sachs. Elle a été l'ingrédient secret qui a rendu cet endroit formidable et qui nous a permis de gagner la confiance de nos clients pendant 143 ans".
"Lloyd Blankfein doit partir"
A Wall Street, ces accusations font grand bruit. Elles alimentent toutes les conservations, reléguant très loin derrière les résultats des "stress tests" bancaires rendus publics la veille après la clôture des marchés. Les investisseurs n'apprécient guère: l'action Goldman Sachs chute ce jour-là de 3,5%. Et l'onde de choc n'épargne personne. Surtout pas Lloyd Blankfein, le patron de la première banque d'investissements, qui a jusqu'ici résisté à tout. Au plongeon des profits, et même aux premières pertes trimestrielles de la firme depuis son introduction en Bourse en 1999. A la dégringolade dans le classement des banques-conseil de Wall Street. A la multiplication des scandales et des affaires. Ou encore à cette humiliante audition devant une commission du Congrès américain.
"Pour sauver Goldman Sachs, Lloyd Blankfein doit partir", estime Frederick Allen de Forbes. "Pour restaurer sa réputation, Goldman Sachs doit prendre des mesures drastiques et cela doit commencer par le haut". Et pas seulement se contenter de poursuivre sa campagne de publicité dans les médias lancée fin 2010 - la première depuis 1999. Il faut dire que le nom de la banque ne reste jamais éloigné bien longtemps des scandales. Le plus dévastateur reste le scandale Abacus (dans lequel est impliqué le Français Fabrice Tourre, dit "Fabulous Fab"), au terme duquel elle avait accepté de payer une amende record de 550 millions de dollars pour avoir trompé ses clients en leur vendant des produits dérivés. Une sanction qui avait particulièrement écorné l'image de marque au sein de la communauté financière.
Alors, Goldman Sachs, chef d'œuvre en péril ? "Quand un cadre d'une firme clame haut et fort que sa société vous considère comme une marionnette, alors vous devez commencer à vous demander si elle constitue toujours le bon choix pour s'occuper de votre argent", juge sur son blog Matt Taibbi, journaliste chez Rolling Stone qui avait qualifié, dans une longue enquête parue en avril 2010, la banque de "gigantesque vampire des abysses". "Il ne faut surtout pas sous-estimer Goldman", tempère Geraint Anderson, ancien de Citigroup et auteur de plusieurs livres à succès sur le monde de la Finance. "Elle va survivre et s'adapter", estime-t-il. "Goldman est toujours la banque d'affaires dominante et elle donne d'excellents conseils", renchérit Greg Hayes, directeur financier de United Technologies Corp, client de la firme.
Mais malgré tous les efforts entrepris ces dernières années, Goldman Sachs traîne encore sa réputation de "Diable de la finance". Aussi parce qu'elle se trouve souvent associée à des affaires qui ne la concerne pas directement. L'an passé, Llyod Blankfein avait ainsi dû se rendre à la barre du Tribunal de Manhattan, appelé comme témoin dans le procès de Raj Rajaratnam, le fondateur du fonds d'investissements Galleon jugé pour délits d'initiés. Dans ce même cadre, Rajat Gupta, un ancien administrateur de Goldman, sera jugé en mai. Fin 2010, le nom de la firme s'était retrouvé associé à la retentissante faillite du courtier MF Global, dirigé par Jon Corzine, son ancien patron.
"La morale a-t-elle sa place à Wall Street ?"
Les accusations formulées par Greg Smith se répercutent également sur les autres firmes de Wall Street. Si le mouvement "Occupy Wall Street" s'est essoufflé aussi rapidement qu'il avait émergé, l'image de la Finance au sein de l'opinion publique reste au plus bas. Goldman, Bank of America, JPMorgan, Citigroup et AIG figurent ainsi parmi les six entreprises les moins appréciées des Américains, selon un sondage réalisé en février par Harris Interactive. Selon la compagnie pétrolière BP, qui paie toujours les conséquences de la marée noire dans le Golfe du Mexique, rencontre un niveau d'impopularité similaire. 67% des Américains ont ainsi une image négative des banques. Et 75% estiment qu'elles sont l'une des causes des difficultés économiques.
"La morale a-t-elle sa place à Wall Street ?", se demandait jeudi le "New York Times. Oui, répond Robert Reich, ancien secrétaire au Travail, "pour se sauver d'elle-même", y voyant l'opportunité pour les banques de soutenir un renforcement de la régulation au lieu de s'y opposer. Cet épisode pourrait ainsi influer sur les modalités d'applications de la "Volcker Rule" actuellement négociées par les régulateurs américains. Cette règle, mesure phare de la réforme Dodd-Frank, prévoit de limiter le trading pour compte propre des banques. Plusieurs parlementaires démocrates se sont ainsi déjà emparés de ces révélations pour plaider en faveur de contraintes les plus fortes possibles.
Les réactions n'ont donc pas tardé à Wall Street pour défendre l'honneur de la maison. Beaucoup remettent en cause la légitimité de Greg Smith, soulignant son évolution limitée au sein de Goldman Sachs, spéculant sur ses motivations cachées et rappelant qu'il a réalisé plusieurs vidéos destinées à convaincre les jeunes talents à rejoindre la firme. "Oui, Mr Smith, Goldman Sachs pense d'abord à gagner de l'argent (...) mais apparemment, cela lui a pris une décennie avant de le comprendre", écrit l'agence Bloomberg dans un édito. "Goldman et les autres banques d'investissements joue un rôle crucial pour notre économie. Mais ce n'est pas une œuvre de charité."
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