L a m a . J i g m é . R i n p o c h é
site
web officiel
Représentant
du Gyalwa Karmapa Trinley Thayé Dorjé en Europe,
Lama Jigmé Rinpoché voyage dans différents
pays. Pour obtenir des renseignements sur son activité,
contacter l'accueil de Dhagpo Kagyu Ling, centre placé
sous son autorité spirituelle.
L’existence
humaine est précieuse parce qu’elle
nous offre la possibilité d’écouter
les enseignements et de les mettre en pratique,
d’utiliser nos facultés dans un
but utile. D’après l’enseignement
des grands maîtres, à la mort,
notre esprit, contrairement à notre corps,
ne périt pas. L’esprit a une continuité.
Le connaître est donc de la plus grande
importance.
De
façon spontanée et habituelle,
ce que nous considérons comme important,
c’est avant tout nous-mêmes ;
en conséquence nous faisons d’innombrables
efforts pour tenter d’éviter les
souffrances présentes et futures. Et
si nous accordons autant d’importance aujourd’hui
à notre personne, il n’y a pas de
raison que cela cesse demain ou dans un avenir
plus lointain. Tel est le fonctionnement de
l’ego. Or, c’est justement ce fonctionnement
qui nous entrave et se perpétue. C’est
ce qu’on appelle la condition samsarique.
Lorsqu’on
pense au samsara ou cycle des existences, on
a tendance à imaginer des souffrances
terribles, des conditions très difficiles.
Mais le samsara est vicieux ; souffrances
et bonheurs s’y combinent. Prenons-en conscience !
Pour nous libérer, il faut commencer
par diminuer notre dépendance envers
les choses, en leur accordant une importance
relative. Car si les choses, les situations
et les circonstances ont une certaine importance,
elles n’ont pas celle que nous leur donnons.
L’esprit doit s’exercer à considérer
les situations avec justesse. Pour cela, il
lui faut développer une certaine clarté.
Gampopa,
Milarépa, tous les grands maîtres
considèrent l’existence humaine
de la même façon. Elle est précieuse
et nous devons l’utiliser de façon
juste. Qu’est-ce que cela signifie ? C’est
considérer que, puisque nous avons tous
la nature de bouddha, l’éveil est
possible. Et c’est accomplir deux bienfaits,
le nôtre et celui d’autrui. Accomplir
notre propre bienfait parce qu’il n’y
a aucune raison de souffrir, de chercher les
difficultés, et accomplir aussi celui
des autres. Quel que soit le nombre de personnes
que nous ayons la capacité d’aider,
nous devons le faire.
Détachement
et dédicace
Notre
problème fondamental est l’identification
à tout ce qui nous entoure. Or, tôt
ou tard, nous serons obligés de tout
quitter. Nos biens, notre corps, tout devra
être abandonné. Et à
ce moment-là, si nous ne nous y sommes
pas préparés, la saisie que
nous ferons sur nous-mêmes et sur
ce qui nous entoure sera encore plus forte
et nous ressentirons une grande souffrance.
Prisonnier de l’illusion, l’esprit
ne pourra trouver la paix.
Cette
saisie ne fait pourtant pas partie de notre
vraie nature. C’est une sorte d’habitude,
d’attachement. Inconsciemment, nous
nous identifions à tout ce que nous
jugeons important, sans nous rendre compte
que c’est cette attitude qui nous emprisonne.
Les grands maîtres du passé
ont insisté sur le détachement.
Comprenons bien ce que ce mot signifie.
Il s’agit plus d’une attitude
mentale que du rejet de possessions ou de
situations. La pratique des deux bienfaits
permet de se détacher.
Si
nous prenons l’habitude de nous dédier
à autrui, si nous ouvrons notre esprit
au bienfait des autres, nous pourrons transformer
nos vieilles tendances. L’habitude
de se dévouer aux autres – depuis
notre entourage immédiat jusqu’à
tous les êtres - conduit au bonheur.
Elle s’acquiert non en se forçant
mais en comprenant bien l’importance
d’agir ainsi. Qu’importe le nombre
des êtres, pourvu que nous souhaitions
leur bienfait, leur offrions notre activité
et leur dédions les qualités
de notre esprit.
Cette
dédicace est essentielle et n’est
nullement un rituel vide, une pratique issue
de la culture tibétaine. C’est
quelque chose de très concret. Donner
aux autres ce que nous avons accompli peut
paraître facile, mais ne l’est
pas car nous faisons d’habitude tout
l’inverse. Mais si nous comprenons
le bien fondé d’une telle attitude
et de cette activité, petit à
petit, elles deviendront naturelles.
Chaque
pays a une spécificité, une
originalité. En France, il y en a
de nombreuses : une riche littérature,
une architecture extraordinaire, de splendides
paysages. L’une des plus marquantes
est la gastronomie. Notre goût pour
la bonne table peut devenir une base de
travail au quotidien. Il est inutile de
nous forcer à l’abandonner.
" En ville, on mange trop bien.
Je vais prendre mes vacances dans un petit
village et renoncer aux bons petits plats ".
En procédant ainsi, nous n’aurons
fait que changer de circonstances. Et d’ailleurs,
quel défaut peut-il y avoir dans
le fait de savourer un bon repas ? Aucun.
Surtout si nous prenons conscience que nous
nous régalons grâce aux personnes
qui l’ont préparé pour
nous, que celles-ci ont elles-mêmes
appris d’autres personnes dans le passé,
et ainsi de suite. Notre appréciation
nous aide alors à réaliser
que la créativité d’autrui
est la source de notre satisfaction personnelle.
Et
nous aussi, chaque fois que nous accomplissons
quelque chose, faisons-le en toute sincérité
non seulement pour nous-mêmes mais
aussi pour nos familles, nos collègues,
nos amis, et tous les autres êtres.
Souhaitons que de nombreuses générations
d’êtres puissent bénéficier
de nos activités. Une telle activité,
accomplie sans saisie, avec un esprit paisible,
n’est plus alors aussi fortement influencée
par la jalousie, l’orgueil, l’attachement,
les espoirs. Certes, nous ne nous libérerons
pas immédiatement et complètement
de ces émotions car elles sont étroitement
liées les unes aux autres et donc
très puissantes. Néanmoins,
notre esprit devenant moins inquiet, moins
perturbé, et donc plus heureux, plus
libre, nous ne souffrirons pas quand le
moment sera venu de quitter définitivement
nos activités.
Tout
étant impermanent, nous devrons de
toute façon tôt ou tard tout
laisser. Si nous nous sommes exercés
à dédier notre activité
à autrui, nous nous réjouirons
que d’autres personnes puissent poursuivre
ce que nous avons entrepris. Notre esprit
connaîtra la satisfaction.
Le
détachement découle de la
dédicace et de l’attitude de
bodhicitta. Bodhicitta signifie : un esprit
qui accepte d’œuvrer pour le bienfait
d’autrui parce qu’il en voit la
nécessité. C’est donc
un esprit qui est capable de discriminer,
de voir ce qui est utile ou nuisible aux
autres. La discrimination correcte, la précision
et la clarté sont présentes
dès lors que l’esprit est libre
et détendu.
Ces
qualités sont utiles en toutes circonstances.
Alors, chaque situation - même le
fait de manger un bon repas - prend un sens.
Et nous nous rendons compte que les expériences
et les découvertes que nous faisons
au cours de notre vie quotidienne correspondent
aux enseignements des maîtres du passé.
Une grande confiance en le dharma voit le
jour et nous relions désormais tout
ce que nous expérimentons à
l’enseignement du Bouddha.
Pratiquer
avec souplesse
La
vigilance, la pleine conscience de ce qui
se passe en nous, l’accomplissement des
deux bienfaits et la dédicace sont
à effectuer sans saisie et en douceur.
Surtout, ne devenons pas des intégristes
de la vigilance ou des fanatiques des deux
bienfaits. Et n’escomptons pas des résultats
immédiats et n’attendons pas non
plus, pour commencer à pratiquer, de
pouvoir accomplir des choses grandioses. Dans
le quotidien nous pouvons tout à fait
nous exercer à la vigilance et au dévouement,
et ce, non par obligation, par soumission
à une règle, à une loi,
mais par la reconnaissance, tout en douceur,
de la validité de ces pratiques.
La
conscience lucide
Pour
comprendre le sens profond des enseignements,
nous devons comprendre notre mode de fonctionnement.
Cette compréhension, qui a son origine
dans la nature de bouddha, se fait à
l’aide des pensées et des concepts
qui s’élèvent dans l’esprit.
Bien sûr, nous avons toujours tendance
à les utiliser de façon ordinaire,
jugeant, discriminant - ceci est bien, ceci
est mal - cherchant à obtenir
le meilleur et à éviter le pire.
Constamment, ce type de réflexion est
présent en nous. Pourtant, pour que
nos réflexions soient vraiment utiles
et puissent nous amener à une découverte,
il faut qu’elles nous servent à
prendre conscience que notre vie est artificielle,
que notre façon de communiquer - même
des sentiments profonds - est artificielle.
Sans développer pour autant une attitude
de rejet.
Il
ne sert à rien de se rebeller contre
une société vieille de milliers
d’années dont nous avons hérité
nombre de références et de traditions
culturelles. Car même si nous sommes
forcés de mener une vie sociale normale,
fabriquée, nous pouvons pourtant en
être libres. C’est la découverte
à faire. Rien à changer, rien
à rejeter. Découvrons seulement
notre mode de fonctionnement, en regardant
la nature de toutes ces idées qui s’élèvent
en nous, et notre manière artificielle
de communiquer avec autrui. Et il n’y
a pas à craindre que cette découverte
nous déséquilibre et nous affaiblisse.
Au contraire, au moment où les saisies
se relâchent, naturellement, les problèmes
diminuent.
Du
concept à l’expérience
Pour
accéder au sens profond des mots, il
faut commencer par dépasser leur signification
première et les apparentes contradictions
relatives à un niveau de compréhension
superficiel. Un mot est comme une grotte qui,
tout en s’enfonçant, se ramifie
continuellement. Au lieu de rester à
la surface des mots, utilisons-les pour approfondir
notre réflexion. Celle-ci nous conduira
à une expérience et une compréhension
profondes.
Dans
les enseignements du Bouddha, on parle souvent
de l’esprit, terme que tout le monde
connaît. Mais comprenons-nous vraiment
sa signification ? Examiner le sens complet
de ce mot peut nous conduire jusqu’à
l’éveil, car l’esprit fait
partie des qualités d’un bouddha.
La compréhension exacte de ce qu’est
l’esprit est progressive, comme l’aube
en montagne. La lumière irise déjà
les crêtes, alors que le soleil reste
encore invisible. Pourtant, cette première
lueur, c’est déjà le soleil.
C’est la qualité lumineuse du
soleil.
Grâce
aux méthodes proposées par le
bouddhisme, nous pouvons pousser notre réflexion
sur l’esprit et toutes ses fonctions
jusqu’au résultat final : l’éveil.
Aussi, méfions-nous des contradictions
trop évidentes que notre intellect,
en proie à une forte saisie, a tendance
à souligner et à dénoncer.
Regardons de plus près. La clarté
commencera à poindre.
Ce
qui voile la clarté
Notre
esprit possède une certaine clarté
de base qui permet aux différents
sens de percevoir leurs objets. Mais tant
qu’il n’est pas libre de l’influence
des conditions extérieures, il
ne peut être parfaitement clair.
Puisque nous ne pouvons pas éviter
les événements extérieurs,
les situations quotidiennes, comment sortir
du piège ? Notre clarté
de base est parasitée par les situations
parce que nous nous y impliquons. Dès
qu’une situation se présente,
nous la fixons, créant ainsi des
habitudes mentales qui deviennent notre
façon habituelle de fonctionner,
ainsi que des voiles encore plus épais.
Le
manque de clarté dû à
nos habitudes mentales se révèle
dans les petits faits de la vie quotidienne.
Que quelqu’un boive le thé
différemment de nous, nous en sommes
troublés. Une incompréhension
jaillit. L’esprit est tellement habitué
à s’impliquer dans toutes
les situations, même les plus insignifiantes,
qu’au moindre changement, il est
bouleversé. Il perd sa clarté
et, immédiatement, tout se complique.
Pour
l’esprit, être clair signifie
voir la situation dans son ensemble sans
être dérangé, voir
les événements tels qu’ils
sont en en comprenant les causes et le
caractère inéluctable. C’est,
en fait, notre interprétation des
situations, sous l’emprise des tendances
et des habitudes, qui court-circuite la
clarté de l’esprit.
Développement
progressif
Quand
l’esprit est perturbé par
quelque chose de désagréable
ou d’inhabituel, s’il arrive
à voir l’ensemble de la situation
clairement - les causes et les circonstances
extérieures, ainsi que les habitudes
intérieures présentes à
ce moment là -, de lui-même,
il s’apaise, se rééquilibre.
Essayer de comprendre la raison d’être
des situations, les causes et les conditions
qui les engendrent, rend l’esprit
plus libre, plus clair. Les émotions,
la confusion, les complications viennent
de circonstances - souvent de petites
choses - que nous laissons dans l’ombre.
Nous
avons tous la faculté de comprendre
les situations. Il n’est pas hors
de nos capacités de percevoir ce
qui est clair et ce qui ne l’est
pas. Nous pouvons nous rendre compte qu’il
est possible de percevoir les choses de
plus en plus clairement, à condition
toutefois de prendre du recul par rapport
aux situations dans lesquelles nous avons
l’habitude de nous impliquer et de
trop nous investir. Alors la clarté
se développe. Mais attention !
Il ne s’agit pas de se dire : " Je
dois procéder ainsi, je dois développer
la clarté, je dois comprendre ce
qui m’arrive, je dois voir la situation
telle qu’elle est ". Cela
reviendrait à se laisser piéger
par une nouvelle situation, à suivre
une méthode dictée par nos
habitudes et nos tendances. La clarté
qui apparaîtrait ne serait pas la
vraie clarté. Vouloir la clarté
empêche la clarté. Douceur
et patience s’imposent. La clarté
est toujours présente dans l’esprit.
Il ne s’agit pas de la générer
mais de lui permettre de se révéler.
La
méditation
La
méditation est le moyen utilisé
pour clarifier l’esprit. Selon les
traditions religieuses ou les écoles
de philosophie, ce terme revêt des
sens différents, et donc, mis en
pratique, donne des résultats différents.
Dans le dharma enseigné par le
Bouddha, toutes les méthodes de
méditation contribuent à
la connaissance de la nature éveillée
de l’esprit et permettent à
sa clarté inhérente de se
révéler. Ces méthodes
sont nombreuses et proposent de multiples
supports. Mais quel que soit le support
utilisé, l’idée essentielle
est qu’en méditation il n’y
a rien à faire. On parle alors
de non-méditation, au sens où
il n’y a pas de sujet qui médite,
pas d’objet sur lequel méditer.
C’est cette constatation qui permet
à la clarté de se révéler.
Tant que l’esprit s’investit
et s’implique à l’extérieur,
il est piégé et ne peut
reconnaître sa clarté. C’est
pour l’aider à la découvrir
qu’on utilise méthodes et
supports. Mais penser que puisqu’il
n’y a ni sujet, ni objet, ni acte,
on peut se passer de méthode, c’est
tomber dans une nouvelle forme de saisie.
Saisir l’idée qu’il n’y
a rien à faire.
Les
yogis du passé, qui méditaient
dans les ermitages, comparaient l’esprit
au ciel sans limite qui se déployait
devant eux. Pour découvrir cet
espace sans limite qu’est notre esprit,
il n’y a rien à créer,
il n’y a pas à essayer de
changer quoi que ce soit. Il suffit de
regarder naturellement ce qui se passe
en lui au moment où cela a lieu.
Dans
la vie mondaine, nous agissons presque
toujours en vue d’un profit. Aussi,
abordons-nous la méditation avec
la même attitude. Nous avons beaucoup
d’espoirs et d’attentes de résultats.
Certes de nombreuses expériences
s’élèvent au moment
où nous méditons, et il
ne saurait être question de les
rejeter ou de s’y attacher, de les
évaluer. Mais notre attitude vis
à vis de ces expériences
doit s’apparenter à celle
d’un promeneur en forêt qui,
conscient de la grande variété
d’arbres, de feuilles, de couleurs
et de formes qui l’entourent, ne
les catégorise ni ne les dénombre.
Dans la méditation, ce ne sont
pas les expériences qui importent
mais le développement de notre
faculté à les percevoir
globalement et très clairement,
sans faire de discrimination sujet objet.
Méditer
sans juger
Laissons
l’esprit aussi vaste que possible,
sans le focaliser sur quoi que ce soit.
Asseyons-nous simplement et essayons de
garder l’esprit clair. C’est
difficile mais essayons. Nous entendons,
nous voyons, sans saisir. Faisons de même
avec les autres sens : l’odorat,
le goût, le toucher. Alors, une
clarté apparaît. C’est
une découverte. Généralement,
quand nous nous asseyons ainsi, nous ne
voyons que ce qui se trouve en face de
nous et sans grands détails. Si
nous avons l’esprit tranquille, nous
pouvons tout voir clairement et avec précision.
Spontanément notre champ de vision
s’élargit et la perception
devient plus ample, plus précise,
plus claire. Pourtant, presque aussitôt
nous nous remettons à commenter,
à juger. Les concepts sont de retour
et nous font perdre cette qualité
d’ouverture et d’acuité.
Il en va de même avec l’ouïe
et toutes les sensations. Ce que nous
ressentons peut être bon ou mauvais,
peu importe ! En effet, les circonstances
sont instables et une sensation peut être
ressentie et perdue aussitôt. L’important
est d’arriver à développer
une conscience très naturelle,
non-obstruée, à travers
les différents sens, et de se rendre
compte, pendant un laps de temps même
très court, que la clarté
est présente.
La
clarté de l’instant
L’esprit
n’arrête pas de fonctionner
sous prétexte qu’on médite.
Les pensées continuent à
s’élever. Si nous ne prenons
pas conscience de leur simple mouvement,
en s’élevant et s’enchaînant
elles vont faire obstacle à notre
perception de la clarté. C’est
la distraction. La méditation est
alors interrompue. Par contre, quand l’émergence
d’une pensée est clairement
perçue, nous voyons que la pensée
ne dure pas très longtemps, qu’elle
se dissout et qu’une nouvelle pensée
apparaît immédiatement. Celle-ci
se dissout à son tour. Si nous
sommes conscients, nous voyons que cela
ne dure jamais. Il ne s’agit pas
de compter ou de chercher les pensées.
Il s’agit juste d’être
conscient de leur mouvement. Méditer,
c’est voir clairement le fonctionnement
de son esprit, sans intervenir.
Assis
au bord d’un torrent, nous pouvons
suivre des yeux le courant qui s’éloigne,
ou bien fixer un point, où l’eau
arrive, passe et s’en va sans cesse.
Le mouvement de l’eau est ininterrompu
et, à l’endroit où
notre regard se porte, l’eau apparaît
et disparaît immédiatement.
L’esprit fonctionne de même
: les pensées émergent et
disparaissent continuellement. Méditer,
ce n’est pas non plus se fixer sur
ce processus, c’est être conscient
du fonctionnement de l’esprit.
Procédant
ainsi, nous pourrons découvrir
en l’esprit une grande clarté.
Cela nous conduira à réaliser
ce qu’est notre esprit. Mais si nous
avons des attentes, il sera difficile
d’obtenir cette réalisation.
Par contre, si nous sommes simplement
conscients de la situation, de ce qui
est, avec l’habitude, spontanément,
la clarté de l’esprit se révélera,
parce qu’elle est déjà
présente. Il est inutile de la
guetter et d’espérer pouvoir
la saisir.
Le
piège du support
Pour
garder cette clarté, nous
pouvons utiliser différents
supports ou méthodes : un
objet extérieur, la respiration,
des visualisations, etc. L’essentiel
est de se souvenir que la méditation
a pour but de révéler
et de maintenir la clarté
de l’esprit. Si nous sommes
trop préoccupés par
le support ou la méthode,
nous oublions l’essentiel,
le sens principal de la méditation.
L’esprit peut très vite
être piégé et
dérangé, si nous oublions
que méthodes et supports
ne sont que temporaires. S’il
y a saisie, il y a interruption,
c’est à dire retour
à un état émotionnel.
Certes,
en méditation, les méthodes
ont un rôle important, mais
l’essentiel reste toujours
la finalité. Ici, dans le
contexte de l’enseignement
du Bouddha, la finalité est
la conscience et la clarté
de l’esprit. Méditer,
c’est être clairement
conscient.
Le
processus naturel
La
méditation est un processus
naturel. Il n’y a pas à
ruser ou à forcer l’esprit.
Il suffit de le laisser dans son
état naturel, avec une grande
lucidité. Et il ne faut surtout
pas être en attente d’un
résultat immédiat.
Les fruits ne mûriront qu’avec
le temps. Simplement, soyons naturels
et vivons la situation telle qu’elle
est dans le moment. Et bien qu’au
début nous ne connaissions
qu’un bref instant de perception
claire, elle nous apporte tout de
même une certitude quant à
la clarté de notre esprit.
Cette certitude nous encourage et
nous donne envie de méditer
davantage.
La
méditation n’est pas
une tâche spéciale
à effectuer dans un certain
délai. Par exemple : Je bêche
le jardin, je sème les graines,
j’ai fini le travail : mission
accomplie. Ou bien : Je fais
bâtir une maison. La construction
achevée, je me réjouis.
Bravo, le but est atteint. C’est
terminé ! Ou bien :
Je fais des études de médecine.
J’obtiens le diplôme
et j’exerce mes fonctions.
Non, il n’en est pas ainsi.
En méditant, nous n’obtiendrons
rien de directement utilisable.
Pourtant, à coup sûr
il y aura des fruits. Le développement
que nous avons entrepris nous conduira
jusqu’à l’éveil.
Entendre
parler de la méditation comme
d’un processus naturel soulève
d’apparentes contradictions.
Dans le bouddhisme on nous demande
d’être satisfaits de
notre vie et de poursuivre notre
développement, de n’avoir
aucune attente de résultat
et de persévérer jusqu’à
l’éveil. Méditer,
c’est un peu comme se nourrir.
Il est naturel de manger tous les
jours. On ne mange pas une fois
pour toutes car, jusqu’à
la mort, on a besoin de nourrir
son corps. Souvent, au début,
lorsqu’on reçoit les
premières instructions de
méditation, on est plein
d’entrain, plein de courage,
mais aussi plein d’attentes.
Et puis, on médite, on médite,
et rien ne vient. Alors, on se décourage,
on se dit : " Finalement,
ce n’est pas pour moi ",
et on arrête de pratiquer.
Ou bien, en pratiquant, de petites
expériences s’élèvent.
On est alors fasciné par
ces expériences, elles deviennent
une nouvelle préoccupation
pour l’esprit et cette saisie
empêche de progresser. Dans
la méditation, il faut constamment
approfondir jusqu’à
ce qu’on arrive au but, et,
en même temps, il ne faut
pas avoir d’attentes. C’est
ainsi, même si cela semble
contradictoire.
La
simplicité
C’est
paradoxal mais le but de la méditation
est donc de ne pas attendre de résultat.
A ce moment seulement on obtient
un bon résultat : la clarté.
Et quand notre esprit est très
clair, il n’y a pas de place
pour la confusion. Nous pouvons
alors comprendre clairement toute
situation. Par exemple, un matin,
il pleut et nous sommes obligés
de sortir. Si nous sommes simplement
conscients que la pluie mouille,
que nous pouvons attraper froid,
qu’il en est ainsi, nous ne
nous irritons pas. Comprenant la
situation, nous la vivons, c’est
tout. A ce moment-là l’esprit
reste libre. Nous comprenons qu’il
est impossible d’arrêter
la pluie et le froid. Nous vivons
la situation telle qu’elle
est. L’exemple peut paraître
simpliste, mais en fait, c’est
l’attitude à adopter
dans notre vie. En général,
nous rencontrons des problèmes
et des souffrances. Il s’agit
de les considérer avec simplicité.
Alors colère et frustration
ne s’élèveront
pas, parce que nous aurons perçu
clairement la situation telle qu’elle
est.
Nos
attentes ne servent à rien.
Ce qui importe, c’est la qualité
de notre méditation, la compréhension
claire de notre nature. Puisque
nous ne pouvons échapper
aux situations, faisons en sorte
que notre esprit n’en soit
pas perturbé. Dés
que nous aurons quelque expérience
de clarté, nous acquerrons
la certitude que les situations
peuvent être vécues
sans que l’esprit soit dérangé.
Quand nous ressentons une douleur,
la douleur est certes bien réelle
même si notre esprit est très
clair, mais s’il y a compréhension,
elle ne crée pas de confusion.
Pas de problème !
La
détente naturelle
Par
la méditation nous découvrons
la clarté de notre esprit
et, grâce à la vigilance,
nous en restons conscients. Rester
conscient contribue à développer
encore plus la clarté. En
même temps que la clarté,
il est nécessaire de connaître
la détente. La détente
dont nous parlons ici, sur la voie
spirituelle n’est pas une relaxation ;
c’est notre vraie nature, la
nature de notre esprit, qui est
fondamentalement détente.
La méditation apporte une
détente car clarté
et détente sont simultanées.
Un esprit très clair prend
conscience de ce qui, habituellement,
nuit à la détente.
Le fait de ne pas pouvoir se détendre
vient en partie de nos concepts
et aussi de la perception que nous
avons des autres.
Détente
et clarté
Quand
l’esprit est très clair,
notre perception de son fonctionnement
est très aiguë. Nous
percevons alors avec précision
ce qui empêche la véritable
détente, la détente
qui est une qualité de notre
vraie nature. Bien que la nature
de bouddha soit déjà
présente en nous, nous avons
aussi en nous l’habitude de
la saisie d’un soi. De ce fait,
même si aucune circonstance
ne vient nous troubler, nous ne
sommes pas vraiment détendus.
Généralement, nous
ne savons pas pourquoi. En réfléchissant,
nous pouvons voir que c’est
à cause de la saisie d’un
soi.
Nous
cherchons tous à être
heureux mais ce bonheur nous échappe
car nous n’arrivons pas à
utiliser dans l’activité
quotidienne la clarté que
nous expérimentons dans la
méditation. Notre esprit
est encore en proie à la
distraction et nous manquons d’ouverture,
de disponibilité aux choses,
de détente. La détente
est l’apaisement de l’esprit
par la compréhension de l’essentiel.
Prenons
un exemple. Nous attachons beaucoup
d’importance à notre
corps. Dès que nous ressentons
une forte douleur, nous paniquons.
Surtout si nous n’en connaissons
pas la cause. Par contre, si, en
proie à une grande souffrance,
nous apprenons que nous n’avons
rien de grave, nous nous détendons
car notre inquiétude a cessé.
Cette détente provient de
la compréhension. Compréhension
que, fondamentalement, rien n’est
vraiment dérangeant pour
l’esprit.
Quand
l’esprit est très clair,
il faut encore éviter de
se laisser piéger en saisissant
la clarté. Nous risquons
en effet de figer cette clarté,
de nous y attacher. Et de nouveau,
l’attachement à la clarté
empêchera la véritable
détente.
Quand
nous essayons de voir totalement,
de comprendre complètement
ce qui a lieu en nous - les distractions
et les perturbations de notre esprit
– une détente mentale
prend place. Tant que nous n’aurons
pas réalisé l’éveil,
il y aura des perturbations. Mais
ces perturbations étant impermanentes,
elles n’ont pas grande importance.
Cette compréhension va nous
empêcher d’être
pris dans les situations. La clef
de la détente c’est
de combiner conscience et clarté.
Les
émotions perturbatrices surgissent
dans certaines circonstances. Ces
circonstances vont donc nous révéler
nos émotions. Si nous essayons
d’éviter les situations,
les émotions, bien qu’étant
au fond de nous, ne se montreront
pas. Mais la véritable détente
ne s’obtient pas en se cachant
dans un coin pour être tranquille
parce que, même si nous pensons
que nous y sommes paisible et serein,
en fait, notre esprit n’est
pas vraiment en paix. Par contre,
étant en plein dans l’activité,
si nous essayons de comprendre ce
qui se passe, dés qu’il
y aura compréhension, il
y aura détente. Détente
ne veut pas dire absence de mouvement
et d’action. La détente
s’applique à notre esprit.
Sans
aucun jugement, essayons de voir
comment nous fonctionnons. Faisons
cela sincèrement, sans hésitation,
sans essayer de fuir, sans utiliser
des méthodes artificielles
pour nous calmer. Essayons simplement
de voir qui nous sommes. Pour cela,
il n’y a rien à changer.
Si nous essayons de modifier notre
comportement, cela restera artificiel
et de courte durée. L’esprit,
lui, restera le même. Par
contre, si nous regardons de façon
très naturelle, nous pourrons
voir très clairement. Ne
jugeons pas, contentons-nous de
regarder. Juger veut dire : essayer
d’éliminer, condamner,
fabriquer.
Méditation
formelle et activité
Il
ne faut donc pas essayer de changer
quelque chose à l’aide
de méthodes artificielles.
Bien sûr, même à
un niveau relatif, la voie du Bouddha
offre des méthodes qui permettent
de pacifier l’esprit, de connaître
plus de détente et d’ouverture.
Mais ici, abordons l’étape
suivante, posons un regard direct
sur ce qui se passe en nous, sans
juger. Comme cela est assez difficile,
différentes perches nous sont
tendues. Méditations et rituels
n’ont qu’un seul but : celui
de nous préparer à la
méditation ultime. Ces pratiques
transmettent une bénédiction
qui, sans que nous en soyons pleinement
conscients, clarifient notre compréhension.
Pendant un rituel, nous ne savons
pas exactement ce que nous faisons
mais, au moins, nous mettons les instructions
en pratique. Et, même si, au
début, aucun résultat
manifeste n’apparaît, progressivement,
nous nous rendrons compte que nous
changeons en profondeur.
La
clarté ne doit pas être
une simple expérience de méditation,
car une expérience n’est
pas stable. Elle doit accompagner
toutes nos activités pour que
le fonctionnement de l’esprit
nous devienne plus évident.
Nous devons utiliser la clarté
comme une nécessité
quotidienne. Si nous arrivons à
garder une conscience claire, notre
compréhension s’améliorera,
s’affinera, l’esprit sera
atteint en profondeur. Quelque chose
de très important apparaîtra.
Nous ressentirons que notre vie se
développe, prend vraiment un
sens.
Patience,
ardeur, but ultime
Les
méthodes pour développer
la clarté et la détente
grâce à la méditation
et à la conscience vigilante
peuvent être mises en pratique
concrètement. Mais il arrive
aussi qu’elles soient difficilement
applicables dans l’immédiat.
Que cela ne nous décourage
pas. En attendant, utilisons intelligemment
notre temps pour réfléchir
aux instructions données, tout
en nous exerçant régulièrement
à l’attention. Il importe
d’être patient et de se
rappeler que l’étude et
la pratique du dharma ne donnent pas
leurs fruits au moment désiré.
L’impatience pourrait nous conduire
au découragement et, sous l’emprise
des doutes, nous risquerions d’abandonner
le dharma, le jugeant inefficace.
Mettre l’enseignement du Bouddha
en pratique demande du temps et de
l’énergie. Au début,
nous ne sommes pas parfaits. D’où
la nécessité d’appliquer
des méthodes, de suivre cette
voie de façon progressive,
de nous perfectionner. Si nous pratiquons
avec patience, persévérance
et compréhension, la progression
se fera toute seule.
Le
dharma n’est pas une matière
ordinaire que l’on étudie
rapidement en vue d’une application
immédiatement efficace. Nous
travaillons sur notre esprit, un esprit
dont les tendances ne remontent pas
à quelques années mais
à des vies innombrables. Il
ne serait pas raisonnable de croire
que nous allons les purifier facilement
et tout transformer en un clin d’œil.
Pratiquons avec confiance, en nous
rappelant que, dès le départ,
nous nous dirigeons vers l’éveil.
Et si, malgré nos imperfections
et notre manque de clarté,
la voie nous apporte déjà
certains bienfaits, ne perdons jamais
de vue que notre but ultime est l’éveil.
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