mercredi 20 juin 2012

La France, championne du stress en entreprise

Certains événements, qui auraient pu passer inaperçus dans un autre contexte, prennent parfois une ampleur médiatique imprévisible, et sont perçus, à tort ou à raison, comme les révélateurs de phénomènes de société.

Ainsi, les suicides au travail qui ont marqué l'actualité de ces dernières années ont conduit, bien au-delà des événements individuels dramatiques pour les personnes et leurs familles, à la cristallisation du débat sur l'ensemble des relations du travail. L'attention s'est alors portée sur l'existence réelle ou supposée de tensions au sein du monde du travail français.
En effet, les indicateurs internationaux révèlent une anomalie du modèle français de gestion de l'environnement professionnel. Notamment, les travailleurs français sont globalement plus insatisfaits de leur emploi que leurs pairs européens, et sont même parmi les plus stressés au monde, selon différentes enquêtes internationales et convergentes.
Par exemple, selon l'enquête International Social Survey Program de 2005, la France est l'endroit où le plus de salariés déclarent que leur emploi les stresse parmi 32 pays développés !
Le constat semble d'autant plus paradoxal que selon de nombreux indicateurs objectifs, les conditions de travail sont en apparence favorables aux salariés : par rapport aux Européens, les Français travaillent moins d'heures, sont moins souvent mobilisés le week-end et ont généralement des rythmes de travail moins soutenus.
Selon une autre enquête de 2005 sur les conditions de travail en Europe, plus de 70 % des travailleurs déclarent même que le travail a une incidence sur leur santé à cause du stress, ce qui place la France dans le premier tiers européen.

SPÉCIFICITÉ FRANÇAISE
Cette spécificité française est plus particulièrement marquée dans les petites entreprises (de 10 à 49 salariés) où cette proportion atteint 73 %, contre 66 % en moyenne en Europe, et surtout dans les grandes entreprises (plus de 250 salariés) où la proportion atteint 83 %, contre toujours 66 % dans le reste de l'Europe. En revanche, les entreprises de taille intermédiaire se situent dans la moyenne européenne.
Cette apparente anomalie entre la perception des salariés et les conditions dans lesquelles ils travaillent s'explique en partie par le déficit de dialogue au sein de l'entreprise française, qui est nettement plus marqué que dans les autres pays : les salariés estiment parfois ne pas pouvoir compter sur l'aide de leurs managers, regrettent aussi le manque de soutien de leurs collègues et, dans les petites et moyennes entreprises (PME), disent ne pas pouvoir compter sur leurs syndicats et ont souvent peu de contacts avec des représentants du personnel.
Si la situation au sein des PME peut s'expliquer en partie par la faible représentation syndicale, cela ne peut rendre compte du stress dans les grandes entreprises. Sur ce dernier point, notre analyse est que le coût élevé des licenciements économiques pour les grandes entreprises a conduit de facto à une surutilisation du licenciement pour motif personnel au début des années 2000 et a contribué à détériorer le climat social dans les entreprises les plus en difficulté.
Cela les a aussi conduits à privilégier l'évaluation du travail par des objectifs chiffrés plutôt que qualitatifs, ce qui pèse en retour sur le stress des salariés. La réforme de la rupture conventionnelle de 2008 a partiellement enrayé ce phénomène de recours au licenciement pour motif personnel.
Pour améliorer les relations au travail, des réformes ambitieuses du code du travail sont nécessaires. Malgré une inflation de textes (il existait en France en 2011 près de 5 000 textes législatifs ou réglementaires, décrets ou accords de branche, à comparer avec 3 097 en Belgique, 2 073 au Canada et 681 en Suisse) et une frénésie de réformes puisque plus de 2 400 de ces textes ont évolué depuis 2000, le code du travail, en effet, ne protège pas les salariés.
Ces nécessaires réformes ne peuvent cependant pas être menées une par une. Car le passé a montré qu'elles restent très partielles et éloignées des objectifs initiaux.
Pour lutter contre le stress, la clé est la mobilité, et les réformes devraient porter en priorité sur les dispositifs permettant d'accompagner les mobilités professionnelles des salariés, afin qu'elles jouent leur rôle d'assurance contre les situations de conflits ou de désaccord.
En matière de formation professionnelle, il faut inciter financièrement les entreprises à jouer le jeu du développement et de la transférabilité des compétences d'une entreprise à l'autre ou d'une branche à l'autre.
La rupture conventionnelle, récemment critiquée pour son coût, est un moyen de rompre les situations bloquées entre un salarié et son employeur dans un marché du travail insuffisamment fluide - son principe, moyennant des adaptations, ne devrait pas être remis en cause tant que le reste du code du travail entraîne les situations de tension.
Il faut aussi poursuivre la transformation des droits acquis au titre de l'expérience professionnelle : ceux-ci doivent être non pas basés sur l'ancienneté dans l'entreprise, mais refléter toute la carrière des salariés.
Enfin, nous appelons à une réflexion sur la surutilisation des indicateurs chiffrés de performance, et sur la persistance de structures hiérarchiques figées et autoritaires, génératrices de stress. La multiplication des dispositifs législatifs et réglementaires contre le harcèlement moral ne sont, en revanche, pas efficaces et ne constituent pas une piste viable de régulation.
Le quinquennat qui commence devrait débuter par une large réflexion sur le diagnostic d'échec du code du travail, et viser à adapter celui-ci au XXIe siècle.

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