vendredi 11 janvier 2013

Que ressent mon psy ?

Ennui, colère, affection… Nos psys sont-ils eux aussi traversés d’émotions quand ils nous écoutent ? Sont-ils si neutres et bienveillants ? Réponses à toutes les questions que nous n’osons pas leur poser.

Tous les patients sont curieux de savoir quels sentiments ils inspirent à leur thérapeute. Cette curiosité leur est dictée par le transfert, ce lien affectif particulier qui unit le patient à son thérapeute. Pour désigner le ressenti émotionnel du psy, on parle de « contre-transfert ». Théoriquement, les psys sont priés de s’en tenir à une « neutralité bienveillante ». Concrètement, ils doivent s’interdire de se conduire en maîtres tout-puissants et se garder d’orienter le destin de leurs patients en fonction de leurs valeurs et idéaux personnels. À partir de là, les interprétations de cette notion de base divergent considérablement. Pour certains, il faut être muet comme une carpe. Pour d’autres, il suffit de s’abstenir de trop parler de soi et d’influencer le patient par des conseils. En fait, la neutralité du thérapeute ne l’empêche pas de ressentir des émotions. Mais chacun en joue à sa manière et les exprime avec un style propre.
Que ressent mon psy ? Le psychanalyste Bernard-Élie Torgemen en a discuté avec les psychonautes. retrouvez ses réponse !
À côté de la « neutralité » se tient la « bienveillance », essentielle, indispensable pour être un psy digne de ce nom. « Dans une thérapie, nous sommes entre humains, je suis le frère humain de mes patients, insiste le psychanalyste Bernard-Élie Torgemen. Alors oui, le thérapeute ressent de la compassion. S’il reste aussi froid qu’un hareng quand un patient lui parle de la mort d’un enfant, c’est monstrueux. »
D’ailleurs, trop de froideur rend impossible le travail avec des patients dépressifs ou très anxieux : ils s’enfuiront ou, s’ils restent, ils iront encore plus mal. Pour exercer ce métier, un minimum d’empathie est exigé. Marianne Ronvaux, psychanalyste à Bruxelles, est formelle : ce n’est pas sortir de son rôle que donner l’adresse d’un centre de planning familial à une jeune femme isolée, totalement égarée, enceinte sans l’avoir voulu. Encourager une épouse maltraitée à divorcer, la diriger vers un avocat parce qu’on la sent en danger ne s’oppose pas à l’éthique de la psychanalyse. Pas plus que proposer un verre d’eau ou une tasse de thé à un patient fragilisé, que l’on aidera à remettre son manteau après la séance.

Mon psy m'aime-t-il ?

Virginie Megglé est l'auteure de La Projection, à chacun son film… (Eyrolles, 2009).
Forcément un minimum, puisque psys et patients se choisissent librement. « Bien sûr que j’aime mes patients, affirme Virginie Megglé, psychanalyste et psychothérapeute. C’est un lien platonique, proche de l’amour de la vie, un amour à la fois paternel et maternel, jamais possessif : je suis là pour les aider à voler de leurs propres ailes. Je me réjouis quand ils progressent. » Plus étonnant : comme dans les familles, il y a parfois des « chouchous » dans les cabinets de psychothérapie. « J’ai, moi aussi, mes patients préférés, mais ce ne sont pas toujours les mêmes, nuance Gérard Morel, psychothérapeute. Mes chouchous ne sont pas les patients les plus beaux ou les plus brillants. Ce sont ceux qui, grâce à leur créativité, leur désir de comprendre, m’aident le mieux à développer telle ou telle notion théorique que je suis en train de travailler. »

Mon psy a-t-il des états d'âme ?

Le thérapeute n’est pas un saint : il peut être exaspéré, s’ennuyer, et même être très mal à l’aise. Cependant, sa formation le protège des réactions trop épidermiques. « Il m’arrive de me sentir dévoré par des patients paranos qui prétendent que le cabinet est truffé de micros, m’accusent de leur vouloir du mal, admet Nicolas Morvan, psychothérapeute. Ou ressentir un malaise face à des patients qui vident trois boîtes de mouchoirs sans rien dire, séance après séance. » Virginie Megglé avoue : « Je peux éprouver un brin de jalousie quand un patient me parle pendant des heures d’une analyste formidable rencontrée lors d’un dîner, si fine qu’elle a immédiatement mis des mots sur son mal-être. Mais je ne suis pas dupe, je ne me laisse
pas avoir par ce sentiment. Je vais surtout me demander pourquoi je l’éprouve et pourquoi le patient l’apporte dans mon bureau. » Nathalie Humbert, psychothérapeute : « Une patiente arrivait régulièrement au cabinet avec des rouleaux de papier hygiénique plein son cabas. J’ai fini par ressentir une forte irritation, mêlée à la sensation que cette femme se complaisait de façon masochiste dans la “merde”. Un jour, je me suis entendue lui dire d’une voix forte : “Donnez-moi ça !” Et j’ai jeté les rouleaux. Cette intervention pas du tout calculée a produit un
changement décisif dans la thérapie de cette personne et dans son rapport à la souffrance. Naturellement, elle n’a plus jamais rapporté de papier-toilette. »

Mon psy peut-il me prendre dans ses bras ?

En psychanalyse ou en psychothérapie classique, le thérapeute est supposé garder ses distances : ici, on parle, on ne se touche pas. Au point que les psys extrémistes s’interdisent d’une manière quasi phobique de serrer la main de leurs patients… En réalité, beaucoup de thérapeutes n’hésitent pas à prendre une personne effondrée dans leurs bras. Il y a des situations critiques où les mots sont impuissants. Pire, où il n’y a plus de mots… Pour Bernard-Élie Torgemen, un rapport de proximité, de corps à corps, est une nécessité : « Je sens instinctivement que, pour moi, Méditerranéen, ancien psychomotricien – un métier qui passe par le corps –, le toucher est essentiel. L’analyse, c’es réveiller les sens primaires, le ressenti le plus archaïque. Je ne peux être analyste que pour des gens qui ne se sentent pas violés si je les touche. » D’ailleurs, il embrasse certains patients.

Mon psy peut-il être mon copain ?

Souvent, ce n’est pas l’envie qui manque, mais c’est incompatible avec le travail psychothérapeutique. « J’ai eu l’occasion de dire à quelqu’un que, s’il n’était pas sur mon divan, nous serions copains, se souvient Bernard-Élie Torgemen. D’anciens patients, plusieurs années après la fin de leur analyse, sont devenus des amis très chers. » Gérard Morel reconnaît quant à lui qu’il peut « trouver un patient très sympathique. Mais dès que la séance commence, nous sommes l’un et l’autre projetés sur une autre scène, à mi-chemin entre le théâtre de Shakespeare et la quatrième dimension. Plus question de sympathie, c’est l’inconscient qui mène la danse ». La thérapie est une expérience unique, un lien particulier qui doit demeurer strictement confidentiel. La plupart des thérapeutes n’aiment pas rencontrer leurs patients hors de leur bureau. « Je ne veux pas qu’ils sachent quelle marque de shampoing ou de lessive j’utilise ! » lance Nathalie Humbert.

Mon psy me désire-t-il ?

Un thérapeute peut éprouver de l’amour pour un ou une patient(e), mais le passage à l’acte est exclu. Et s’il voit qu’il ne s’en sort pas émotionnellement, il envoie la personne à un confrère. « Il m’arrive d’être fortement attirée par certains patients, une attirance qui ressemble d’ailleurs beaucoup plus aux premiers émois des ados, confesse une psychothérapeute qui préfère rester anonyme. Mais pas question d’aller plus loin. D’autant plus que je découvre souvent, après coup, qu’ils ont grandi auprès d’adultes qui les traitaient en objet de jouissance. »

Mon psy s'ennuie-t-il ?

Il n’est pas exceptionnel d’entendre le thérapeute pianoter sur le clavier de son ordinateur. Signifie-t-il à son patient qu’il ferait mieux de consulter ailleurs ? Non, à moins que le thérapeute soit un goujat ou un incompétent, pianoter est souvent une façon de s’abstraire pour mieux entendre. Certains thérapeutes préfèrent les mots croisés. Souvent aussi, pianoter ou lire le journal en faisant du bruit est une façon de dire au patient qu’il est dans le bla-bla stérile, la parole vide. Et qu’il est temps de se remettre au travail. Aussitôt fait, l’analyste abandonne son ordinateur ou son magazine. « Il y a des moments où les patients m’ennuient, quand ils s’installent dans la routine notamment, constate Virginie Megglé. Mais je ne le montre pas. En fait, quand je décroche, le patient s’en rend compte. Certains confrères s’endorment, ça m’est arrivé. C’était un message de mon inconscient qui me prévenait que j’allais trop mal pour entendre d’autres personnes. »

Comment faire plaisir à mon psy ?

A lire Que font vos psychanalystes ? de Michel Larivière (Stock, 2010) Que se passe-t-il réellement dans le cabinet du psychanalyste ? Alternant récits de cas et réflexions philosophiques, cet ouvrage d’un psychanalyste et philosophe canadien tente de décrypter les mécanismes en jeu dans la relation thérapeutique… et dans la tête du praticien.
Être thérapeute est un métier à la fois éprouvant – impossible de s’en sortir sans échanger avec des collègues – et passionnant. Mais si plaisir il y a, c’est d’abord celui du travail bien fait. Tous les psys avouent éprouver du plaisir quand le patient est sorti du discours courant, qu’il a lâché ses certitudes, ses résistances, qu’il devient créatif, vivant. Il est d’ailleurs fréquent de proposer des séances à prix très réduit à des personnes dans une situation financière difficile, mais qui effectuent un travail remarquable. Ce n’est ni la pitié ni la sympathie qui guident le thérapeute quand il agit ainsi. C’est son désir de faire advenir la vérité, un désir sans lequel, aucune thérapie n’est possible.


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