Depuis quatre siècles, Florence se mobilise à la fin du mois de juin pour le calcio storico. Épreuve populaire, ce jeu, qui s'inspire de la lutte romaine oppose des champions de différents quartiers de Florence sur la piazza Santa Croce.
Les sports utilisant des ballons sphériques de taille variable sont très anciens, remontant à toutes les civilisations antiques. En Grèce antique, ils auraient joué à un jeu appelé sferomachia ; on sait que les légionnaires de l’Empire romain y jouèrent, en le rebaptisant harpastum (« déchirer avec force »). L’harpastum était joué sur des terrains sablonneux avec deux équipes en nombre égal de joueurs et il devait se tenir selon des règles très précises. Dû au caractère agressif et « viril » du jeu, fait de luttes serrées pour la possession du ballon, l’harpastum devint un jeu très aimé des légionnaires, qui le répandirent à tous les coins de l'Empire, dont à Florence, où il se développera davantage.
Ce n'est qu'au début du Moyen Âge que le calcio fiorentino est vraiment diffusé dans toute la jeunesse florentine, qui le pratique à tous les coins de rue de leur ville. Avec le temps, et surtout pour des raisons d'ordre public, le jeu devint plus organisé. En 1580, Giovanni Bardi en a rédigé le règlement. On commença à y jouer dans les places les plus importantes de la ville. Les joueurs (giocatori ou calcianti) étaient pour la plupart des nobles des quartiers de Santo Spirito, Santa Croce, Santa Maria Novella et San Giovanni, dont des futurs papes, entre 18 et 45 ans. Ils portaient des livrées fastueuses, qui sont à l'origine des noms utilisés en italien, calcio in livrea et calcio in costume. Ils s'affrontaient dans des matches de 50 ou 60 minutes devant une foule bruyante et dans une ambiance musicale, le jeu étant une tradition surtout carnavalesque. Les matches se finissaient généralement par une bagarre générale.
La popularité du jeu se maintient pendant tout le XVIe siècle, mais le siècle suivant sera marqué par un déclin de l'attrait pour le calcio fiorentino. Le dernier match dont on a connaissance se joua en janvier 1739 sur la piazza Santa Croce. Il fallut attendre deux siècles avant que le jeu ne redevienne populaire à Florence.
De nombreux matches sont restés célèbres, soit pour leur contexte historique, soit en raison des faits ayant eu lieu durant leur déroulement, soit à cause de personnalités illustres qui y ont participé.
Le match le plus célèbre est sans doute celui joué le 17 février 1530, lors du siège de Florence. Les florentins, profitant du pillage de Rome effectué par les forces armées impériales en 1527, chassèrent les Médicis de leur ville et proclamèrent la création de la République florentine. Cela ne plut pas au pape Clément VII, qui demanda une intervention à l'empereur, qui assiégea donc la ville à partir de l'été 1529.
Les florentins, quoique faibles à cause du manque de nourriture provoqué par le siège de leur ville, ne renoncèrent pas aux festivités de Carnaval ; ils organisèrent un match sur la piazza Santa Croce qui, de par sa position, était bien visible par les troupes ennemies, campées sur les collines aux alentours. Pour se moquer davantage d'eux, des musiciens jouèrent sur le toit de l'église Santa Croce, de façon à donner aux soldats une idée plus claire du déroulement du jeu. Un boulet fut tiré par les soldats, mais il rata son but, tombant loin de l'église sans faire de dégâts, sous les huées de la foule.
On ne sait pas qui gagna cette partie, probablement parce qu'elle est restée dans la mémoire collective des florentins en tant qu'effort collectif contre l'ennemi et non un vrai match. Malgré le courage démontré par les florentins, la ville fut contrainte de céder face au siège et de se rendre au pouvoir des Médicis.
D'autres matches célèbres :
- 1491 - sur l'Arno gelé.
- 1570 - à Rome aux thermes de Dioclétien en honneur de Cosme Ier de Toscane
- 1575 - à Lyon organisé par les marchands florentins en honneur du roi Henri III
- 1584 - en honneur d'Éléonore de Médicis et de Vincent Ier de Mantoue. Il y eut aussi une corrida. Il y eut un nombre impressionnant de spectateurs : 40 000.
- 1605 - sur l'Arno gelé, du 24 décembre au 20 février
- 1650 - entre les équipes rivales Piacevoli et Piattelli se déroula un match dit épique, ressemblant à une vraie bataille, sur le terrain et en dehors (le vainqueur : les Piattelli).
- 1681 - Francesco Gerini est assassiné par Filippo Piero Strozzi pendant le match, près du terrain.
- 1679 - pour fêter le mariage de Ferdinand de Médicis, Grand Prince de Toscane, avec Violante-Béatrice de Bavière, un match d'européens contre asiatiques.
- 1766 - à Livourne à l'occasion de la venue du grand-duc de Toscane, Léopold II d'Autriche et Marie-Louise. Le consul d'Angleterre assista au match, influençant peut-être les origines du football dans ce pays.
Si la plupart des matchs se déroulaient de manière anonyme dans les rues florentines, de jeunes représentants mis en avant par les nobles furent méticuleusement préparés à l'avance, ainsi de nombreux joueurs illustres ou qui le devinrent peu après disputèrent des matchs :
- Pierre II de Médicis, fils cadet de Laurent de Médicis
- Laurent II de Médicis, duc d'Urbino
- Alexandre de Médicis, dit Alexandre le Maure, duc de Toscane
- Cosme Ier de Toscane, duc de Toscane
- François Ier de Médicis, duc de Toscane
- Vincenzo Gonzaga, duc de Mantoue
- Cosme II de Médicis, duc de Toscane
- Laurent et François, fils du duc Ferdinand Ier de Médicis
- Henri, prince de Condé
- Jean-Charles et Matthieu, fils du duc Cosme Ier de Toscane
- Jules de Médici, Pape Clément VII
- Alexandre Ottaviano de Médicis, Pape Léon XI
- Maffeo Barberini, Pape Urbain VIII
Si c'est vrai qu'il n'y a pas eu de match de calcio florentin pendant deux siècles, le jeu resta dans la mémoire collective des florentins. C'est en ces dernières années qu'on y rejoue, quoique loin des grandes places et sans le faste médiéval, forgeant ainsi l'esprit moderne du calcio ancien (lo spirito moderno del calcio antico).
Le premier match organisé du XXe siècle se déroula en mai 1930 pour les 400 ans du siège de Florence. Pendant cette décennie des matches se jouèrent entre les équipes des quatre quartiers historiques de Florence : les Bianchi de Santo Spirito, les Azzurri de Santa Croce, les Rossi de Santa Maria Novella, et les Verdi de San Giovanni. Le sport est depuis de plus en plus populaire dans cette ville.
De nos jours, il existe un grand tournoi annuel, le Torneo dei Quattro Quartieri, composé de trois grands matches (deux éliminatoires et la finale) se déroulant au mois de juin lors de la fête du saint patron de la ville. S'affrontent 54 joueurs en costume médiéval sur la piazza Santa Croce, recouverte de sable, devant quelque 100 000 spectateurs.
Un match de calcio florentin a eu lieu à Lyon sur la place Bellecour en juillet 1998, pendant la coupe du monde de football, opposant Lyon à Florence, lors de l’événement « 10 villes, 10 programmes »..
Le calcio florentin a toujours été caractérisé par de forts antagonismes, qui tournent souvent en rixes entre les équipes au-delà des règles déjà beaucoup moins strictes qu'en football. Ceci ne s'effaça pas avec le temps : le 11 juin 2006, lors du premier match du tournoi de l'année, la bagarre fut tellement violente que le jeu dut être suspendu. Il s'agit d'un match entre les Bianchi (du quartier de Santo Spirito) et les Azzurri (de Santa Croce). La gravité des faits résulta en l'annulation de tout le tournoi 2006.
Les règles du jeu, comme pour tout jeu aussi vieux, ont beaucoup changé à travers les siècles. En 1580, Giovanni Bardi a rédigé le règlement qui compte 33 chapitres (Capitoli), et constitue encore aujourd'hui la base des règles du jeu moderne. Pour ce travail, il a été défini par l'historien Giulio Dati il Licurgo di sì fatta pugna1.
Les matches durent cinquante minutes et se disputent sur un terrain rectangulaire sablonneux. Une ligne blanche divise le terrain en deux moitiés identiques, des cages placées aux deux extrémités, comme dans le football.
Ce sport est un mélange de football, de rugby et de lutte. Deux équipes de vingt-sept joueurs s’affrontent en tentant de mettre le ballon rond dans les filets adverses. Peu importe la manière dont laquelle la balle atterrit dans les cages, presque tous les coups sont permis. Les seules interdictions sont pratiquement les « 2 contre 1 » et les attaques par derrière.
Les vingt-sept joueurs, ou calcianti, se divisent dans les suivants rôles : quatre datori indietro (gardiens de but), trois datori innanzi (défenseurs), cinq sconciatori (milieux de terrain), et quinze innanzi ou corridori (attaquants). Au centre du terrain se trouvent le capitano (capitaine) et l'alfiere, qui interviennent en cas de bagarre. Le match est surveillé par le giudice arbitro (arbitre), aidé de ses segnalinee (arbitres de touche) et du giudice commissario, hors terrain. Il y a aussi, en autorité suprême, le maestro di campo, qui surveille le bon déroulement du jeu et rétablit l'ordre en cas de problème majeur ou tricherie.
Le match commence avec le lancement du ballon sur la ligne centrale de la part du pallaio. Dès ce moment, les joueurs des deux équipes essayeront de prendre possession de la balle et de l'envoyer dans le but de l'équipe adverse, marquant ainsi une caccia (but). Il est important de bien viser le tir, parce que si le ballon rebondit sur un poteau ou vole au-dessus ou d'un côté, un demi-point est donné à l'équipe adverse. À chaque but, les équipes changent de côté de terrain. Le vainqueur sera l'équipe qui aura marqué le plus de buts à la fin des 50 minutes du jeu.
Le prix des vainqueurs est un veau blanc de race Chianina, donné au son des hymnes de victoire joués par des musiciens.
Tout comme pour le calcio moderne, n'importe quel espace ouvert peut être utilisé comme terrain de jeu pour les matches improvisés.
Pendant le Moyen Âge, la popularité du jeu était telle qu'on le jouait à tous les coins de rue. Pour garantir la sécurité des habitants de la ville, les nobles fixèrent des lignes de pierres qui interdirent le bon déroulement du jeu aux lieux où il se jouait le plus souvent.
Les lieux préférés pour le jouer devinrent vite les grandes places de la ville toscane : la piazza Santo Spirito, la piazza Santa Maria Novella, le Prato (le grand pré près de la porte homonyme), et la piazza Santa Croce, cette dernière devenant depuis 1530 le terrain le plus prestigieux. Aujourd'hui on y déroule le Torneo dei Quattro Quartieri.
En hiver il se joua aussi sur l'Arno gelé.
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