Mais la nature électorale ayant horreur du vide, c'est désormais sur le flanc souverainiste - ou nationaliste - que les postulants affluent, persuadés que la crise de l'Europe valide, chaque jour un peu plus, leurs réquisitoires contre Bruxelles et l'euro. L'on en comptait déjà trois : la présidente du Front national, Marine Le Pen, le leader du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, et le Petit Poucet de Debout la République, Nicolas Dupont-Aignan.
Ils viennent d'être rejoints par Jean-Pierre Chevènement.
Depuis un an, le sénateur du Territoire de Belfort avait beau avoir semé des petits cailloux sur la route de l'Elysée, personne, hors lui-même, n'imaginait vraiment qu'il s'engagerait une nouvelle fois dans l'aventure. Sa candidature, en 2002, avait été décevante pour lui (5,2 % des voix) et calamiteuse pour la gauche, puisqu'il avait contribué, peu ou prou, à l'échec de Lionel Jospin. L'expérience de 2007, où il avait apporté un vigoureux soutien à Ségolène Royal, avait été frustrante.
Mais, comme Bayrou, Chevènement est imperturbable et veut se croire inusable. Après tout, il n'est pas interdit aux vieux lions de rugir ! La patine de l'âge et d'une longue carrière n'a érodé ni son indépendance d'esprit, ni ses convictions patriotiques, ni sa certitude d'avoir vu juste, avant bien d'autres, sur les redoutables fragilités de l'échafaudage européen. C'est assez pour se lancer, sans préjuger de la suite, et notamment de sa capacité à réunir les 500 parrainages indispensables à une candidature.
Pour justifier sa démarche, M. Chevènement explique, depuis des mois, qu'il veut "faire bouger les lignes". Plus sobre que celle de 2002 (il voulait, alors, "faire turbuler le système"), la formule a un côté un peu bravache et, pour tout dire, assez "sauvageon". Elle n'en est pas moins intéressante. Car - au-delà des différences évidentes entre Bayrou l'Européen, Le Pen la nationaliste et Chevènement le souverainiste -, elle témoigne d'une volonté comparable de récuser et de dépasser le clivage historique entre gauche et droite. Et de capter, dans l'entre-deux ou dans l'ailleurs, les suffrages des Français, nombreux, qui rêvent également de s'en affranchir.
Vieilles chimères d'une France "centrale" comme dirait le président du MoDem, ou d'une alliance iconoclaste entre les républicains des "deux rives" prônée autrefois par le "Che" ? Peut-être. Mais des chimères bien vivaces dans l'opinion, comme en témoigne l'étude que vient de réaliser la Fondation Jean Jaurès (d'obédience socialiste) avec l'institut Ipsos sur "le nouveau paysage idéologique" du pays.
Certes, trois Français sur quatre acceptent encore de se positionner à gauche ou à droite. Certes, aussi, la notion d'égalité constitue toujours une ligne de partage déterminante. Ainsi, alors qu'un Français sur deux (en progression de 15 points depuis 2009) considère que la société française "aggrave les inégalités liées au milieu social d'origine", ils sont seulement 33 % chez les sympathisants de l'UMP, contre 62 % chez ceux du PS.
Pour autant, depuis une vingtaine d'années et la chute du mur de Berlin, une nette majorité de Français considèrent que "les notions de droite et de gauche sont dépassées". Ils sont aujourd'hui 58 % à le penser, majoritaires dans toutes les catégories d'âge, de profession ou de sympathie partisane, à l'exception des électeurs socialistes, dont un sur deux estime encore que ces notions sont valables pour comprendre les prises de position politiques.
De même, le clivage traditionnel entre "progressistes" (de gauche) et "conservateurs" (de droite) est largement obsolète. Quand on demande aux Français s'il faut transformer radicalement la société, la réformer en profondeur, l'aménager sur quelques aspects mais sans toucher à l'essentiel, ou s'il faut revenir en arrière sur certaines choses, les résultats sont aussi surprenants qu'instructifs : il se trouve autant de partisans de la réforme radicale (7 % à 8 %) ou de la réforme en profondeur (34 % à 35 %) chez les sympathisants du PS, du MoDem et de l'UMP. En revanche, les sympathisants socialistes sont plus nombreux que ceux de l'UMP (28 % contre 22 %) à souhaiter un retour en arrière.
Et l'on pourrait multiplier les exemples des paramètres qui viennent brouiller un peu plus le paysage, qu'il s'agisse de l'attitude à l'égard de la mondialisation ou de l'Union européenne, de la "dérive conservatrice" des seniors, ou des singularités du monde ouvrier et de sa "tentation frontiste".
Dans ce paysage complexe et mouvant, MM. Bayrou, Mélenchon ou Chevènement, tout comme Mme Le Pen, peuvent donc espérer, chacun à sa manière, convaincre nombre de ces électeurs en rupture de ban et d'affiliations traditionnelles. D'ailleurs, les sondages leur accordent, actuellement, environ le tiers des intentions de vote.
Les gens "sérieux" - M. Hollande et M. Sarkozy - peuvent compter sur la loi électorale, aussi bien présidentielle que législative, pour renvoyer à leur marginalité ces trublions et tous ceux qui seraient tentés de les suivre. C'est le plus plausible, même si le précédent du 21 avril 2002 incite à la prudence. Il reste cependant troublant que le système politique français continue aussi aveuglément à écarter de la représentation des pans entiers de l'opinion, ou à les faire rentrer, au chausse-pied, dans des camps qui ne parviennent plus à porter leurs attentes. S'il ne conduit pas les électeurs à déserter les urnes, ce mécanisme de vote contraint - et les bataillons de "malgré-nous" de la gauche ou de la droite de gouvernement qu'il suscite - peut réserver bien des surprises d'ici au 21 avril 2012.
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