Nos organismes ne sont pas préparés à encaisser la souffrance planétaire que les médias nous envoient quotidiennement et cela nous rend malades. Mais les dernières découvertes scientifiques révèlent que nos cerveaux, incroyablement plastiques, peuvent accroître notre aptitude à la compassion. Et savez-vous ce qui, objectivement, les vivifie le mieux ? La méditation. Un congrès sur ces questions vient de réunir des moines et des scientifiques, à Washington. Envoyé spécial de Nouvelles Clés, le Dr Thierry Janssen, qui a publié en 2006 un livre de synthèse remarquable sur les médecines d’Orient et d’Occident, La Solution intérieure, nous brosse un tableau étonnant de cette nouvelle frontière de la conscience
Du 8 au 10 novembre 2005, plusieurs scientifiques de renommée internationale rencontraient le dalaï-lama et d’autres personnalités du monde spirituel pour débattre des bases scientifiques et des applications cliniques de la méditation. Organisées par le Mind and Life Institute, ces trois journées - officiellement consacrées au concept révolutionnaire de « plasticité du cerveau » - se déroulaient à Washington, juste avant l’ouverture du Congrès annuel de la Society for Neuroscience où le dalaï-lama était invité à prendre la parole en ouverture.
Synergies entre science et bouddhisme
Il n’existe sans doute pas de meilleur exemple d’interdisciplinarité et de complémentarité que celui du Mind and Life Institute. Au départ, deux hommes : Adam Engle, avocat et homme d’affaire américain, et Francisco Varela, neurobiologiste chilien, diplômé de Harvard et directeur de recherche au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) à Paris. Rien ne les prédestinait à se rencontrer, si ce n’est le fait que, chacun de son côté, ils s’étaient convertis au bouddhisme et que, tous les deux, ils avaient entendu parler de l’intérêt du dalaï-lama pour la science occidentale. C’est une femme, Joan Halifax, enseignante bouddhiste zen et experte en chamanisme, qui, en 1985, eut la bonne idée de les réunir. Le Mind and Life Institute était né. L’esprit et la vie. Avec un objectif : établir un dialogue entre la science et le bouddhisme. Deux cultures qui, chacune à sa manière, tentent de comprendre la nature de la réalité afin d’améliorer la condition humaine. Un projet ambitieux, donc. Puisque rien n’est plus difficile que réussir un dialogue constructif entre deux cultures. Deux ans plus tard, une première rencontre fut organisée entre le dalaï-lama et des chercheurs, dans les appartements privés du chef spirituel des Tibétains, à Dharamsala. Une dizaine d’autres réunions se déroulèrent en petit comité jusqu’en 2003, lorsque le prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), invita Engle à organiser une réunion à Boston, en présence d’un public plus large. Entre temps, Francisco Varela était décédé au mois de mai 2001. Il aurait certainement apprécié de constater à quel point, aujourd’hui, les dialogues du Mind and Life Institute suscitent l’intérêt de la communauté scientifique.
Qui aurait pu imaginer vingt ans plus tôt que, pour leur treizième édition, ces rencontres scientifico-spirituelles seraient parrainées par deux institutions aussi sérieuses que la Johns Hopkins University de Baltimore et la Georgetown University de Washington ? « Notre mission est d’aborder des territoires inexplorés et de comprendre ce qui nous paraît encore incompréhensible. Nous devons rester ouverts à de nouvelles questions pour apporter de nouvelles réponses », résumait fort bien Edward Miller, le doyen de la faculté de médecine de Johns Hopkins, dans son allocution inaugurale. Cette fois, il s’agissait d’évaluer les bases scientifiques et l’efficacité clinique de la méditation. Des questions que les chercheurs occidentaux se posent depuis longtemps. Mais ce n’est que depuis les récents progrès des neurosciences qu’ils commencent à y apporter des réponses. Une évolution que le parcours de Jon Kabat-Zinn et de Richard Davidson, les responsables du programme scientifique de ces journées, illustre parfaitement.
Une manière de vaincre le stress
Depuis le début des années 1970, le biologiste Jon Kabat-Zinn, s’intéresse aux interactions du corps et de l’esprit. Très vite, il comprend l’intérêt de recourir à des techniques méditatives basées sur la notion de la « pleine conscience » (mindfulness). Apaiser l’esprit pour relâcher le corps. Débarrassée de toute connotation religieuse, exotique ou orientale, la méthode qu’il propose prend alors le nom scientifique mindfulness-based stress reduction (MBSR). « Une manière de rassurer les suspicieux. Un moyen d’intégrer la méditation dans la pratique clinique », commente Kabat-Zinn. L’approche consiste avant tout à développer une attention, instant après instant, dans le présent. Une pratique méditative « allégée » qu’il enseigne au sein de la Clinique de réduction du stress de l’université du Massachusetts. Son programme d’apprentissage est simple : une séance de deux heures et demi, une fois par semaine, durant huit semaines, plus une heure par jour d’entraînement chez soi. Depuis vingt cinq ans, plus de quinze mille personnes en ont bénéficié pour aider au traitement de troubles aussi divers que des problèmes cardiaques, le sida, des douleurs chroniques, des dysfonctionnements gastro-intestinaux, des migraines, de l’hypertension artérielle, des troubles du sommeil, de l’anxiété ou de la panique. Forte de ses succès, la MBSR est aujourd’hui enseignée aux étudiants dans vingt neuf facultés de médecine à travers les Etats-Unis. « Cela change les rapports que les médecins entretiennent avec leurs patients », expliquait Jon Kabat-Zinn au dalaï-lama. De plus en plus d’études cliniques démontre l’intérêt de la méthode. L’une d’elle, rapportée au cours des journées du Mind and Life, montre qu’en cas de psoriasis, la photothérapie à base de rayons ultraviolets obtient des résultats nettement supérieurs si elle est associée à la pratique de la MBSR. « Par son action sur le stress, la méditation pourrait jouer un rôle essentielle dans la prévention et la guérison de nombreuses pathologies », concluait Kabat-Zinn. Une opinion que partageaient Robert Sapolsky, professeur de biologie et de neurologie à Stanford, John Sheridan, professeur d’immunologie à l’Ohio State University, et Esther Sternberg, directrice du programme de recherche neuro-immunologique au National Institutes of Health (équivalent de l’INSERM français. . Ami de Kabat-Zinn depuis longtemps, Richard Davidson a adopté une démarche nettement moins empirique. Et pour cause : professeur de psychologie et de psychiatrie à l’Université du Wisconsin, il est aussi à la tête d’un laboratoire ultramoderne où capteurs électriques et imagerie par résonance magnétique fonctionnelle lui permettent d’enregistrer l’activité du cerveau en temps réel. Ainsi, il a pu montrer que le fait de méditer régulièrement augmentait l’activité de la partie antérieure du cerveau gauche (appelée : cortex préfrontal), laquelle est associée à la gestion des émotions positives et, de là, à une meilleure qualité des défenses immunitaires. Après deux mois, un test de vaccination mettait en évidence une production d’anticorps nettement supérieure chez les sujets ayant pratiqué la méditation de manière régulière par rapport à des personnes n’ayant jamais médité.
Dans une autre étude, à laquelle participait le moine bouddhiste français Matthieu Ricard, Richard Davidson et Antoine Lutz (un autre Français, ancien élève de Francisco Varela) ont montré que, par rapport à l’activité cérébrale de personnes peu habituées à méditer, celle de moines ayant passé plus de dix mille heures en méditation générait beaucoup plus d’ondes gamma. Ondes gamma qui d’après Wolf Singer, directeur de l’Institut Max Planck de Francfort, également présent à Washington, augmentent la cohérence de l’activité cérébrale, permettant ainsi à plusieurs aires du cerveau de synchroniser leur fonctionnement et, donc, d’accroître le niveau de conscience des sujets habitués à méditer. Evidemment, on peut imaginer que ces particularités sont à l’origine de la vocation des moines au lieu d’être une conséquence de leur assiduité à la méditation. Pour répondre à cette hypothèse, Lutz et Davidson ont comparé les « performances » de moines ayant médité durant quarante mille heures à celles de moines n’ayant pratiqué que dix mille heures. Les résultats sont éloquents : plus les moines ont passé du temps à méditer, plus ils manifestent des ondes gamma, et ce indépendamment de leur âge. « Il semble donc qu’un entraînement mental permette d’atteindre un état de conscience plus ouvert et une meilleure clarté de l’esprit », concluait Wolf Singer.
Par ailleurs, des images obtenues par la résonance magnétique fonctionnelle ont montré, chez les moines aguerris, une nette augmentation de l’activité de leur cortex préfrontal gauche, en relation avec les émotions positives. Et, lorsque des photographies représentant la souffrance leurs étaient montrées, les régions cérébrales responsables du mouvement planifié s’activaient immédiatement. Comme si la pratique méditative les incitait à passer à l’action pour aider ceux qui en ont besoin. « Passer du temps à méditer loin du monde prépare sans doute à être plus juste lorsque l’on agit dans le monde », commentait Matthieu Ricard.
Le concept central de ces journées du Mind and Life Institute fut donc celui de la plasticité du cerveau. La découverte est relativement récente : en fonction de leur utilisation, les connexions neuronales disparaissent ou, au contraire, se créent ou se renforcent. Et comme le faisait remarquer Richard Davidson, les résultats obtenus avec la méditation semblent prouver que des signaux purement mentaux suffisent à déclencher le phénomène. Certains changements apparaissent en quelques minutes ou quelques heures. D’autres, plus profonds, prennent davantage de temps. Ainsi, la discipline et la pratique - éléments essentiels de toute démarche spirituelle - n’influencent pas seulement la pensée, elles provoquent de véritables remaniements dans l’agencement des cellules du cerveau et, inévitablement, ceux-ci finissent par rejaillir sur le fonctionnement du corps. La démonstration ne pouvait que réjouir le dalaï-lama, Thomas Keating (moine cistercien américain), Ajahn Amaro (psychologue et moine bouddhiste anglais), Jan Chozen Bays (pédiatre et nonne bouddhiste américaine), Joan Halifax et toutes les autres personnalités du monde spirituel éparpillées au milieu des deux mille cinq cent participants à ces trois journées de dialogues.
Comme le faisait remarquer Jack Kornfield, psychologue, moine bouddhiste et auteur du succulent Après l’extase, la lessive (éditions de la Table Ronde, 2001), lui aussi présent aux côtés du dalaï-lama, il y a des milliers de façons de pratiquer la « pleine conscience ». L’une d’entre elle, la mindfulness-based cognitive therapy (MBCT) est particulièrement adaptée à notre culture médicale occidentale. Apprendre à observer sans attachement, instant après instant, les sensations du corps et les pensées de l’esprit. Inspirée de la MBSR de Jon Kabat-Zinn, cette méthode rivalise avec les thérapies cognitives et comportementales utilisées pour traiter la dépression et ses récidives. Les résultats présentés par Zindel Segal, professeur de psychiatrie à l’université de Toronto, sont éloquents : comparée à un traitement placebo qui prévient les récidives de dépression dans 19% des cas, la MBCT améliore ce score à 60%, un bénéfice proche des 75% enregistrés avec les thérapies cognitives classiques où les patients apprennent à changer leurs croyances et leur manière de réagir aux évènements de leur existence. Néanmoins, une étude présentée par Helen Mayberg, professeur de psychiatrie et de neurologie à l’Emory University d’Atlanta, semble indiquer que, au niveau du cerveau, le mode d’action de la méditation et de ses dérivés type MBCT diffère de celui des thérapies cognitives classiques. Des images obtenues par scanner à émission de positrons (PETScan) laissent penser que l’état de « pleine conscience » agit directement sur l’équilibre entre les zones cérébrales en relation avec le fonctionnement du corps et celles orientées vers l’élaboration de la pensée. La méditation et la MBCT apparaissent donc comme de véritables médecines du corps et de l’esprit.
Comment intégrer la souffrance médiatisée ?
Ainsi, la méditation, pratique spirituelle millénaire, est en train de devenir un remède pour soigner les maux de nos sociétés modernes. Loin d’être une méthode démodée, elle est peut-être tout simplement en avance sur son temps. « En tibétain, il n’existe pas de mot pour traduire le ‘‘stress’’ », faisait remarquer Esther Sternberg. Or, c’est précisément ce stress qui est à l’origine d’un grand nombre de nos souffrances psychologiques et physiques. Peur, angoisse, tension, douleur, agressivité et violence. « Il y aurait un réel intérêt à apprendre aux gens à réguler leur attention, calmer leurs craintes et développer une attitude neutre par rapport aux évènements de la vie », constatait John Teasdale, psychologue et chercheur à Cambridge. Car « le but principal des dialogues du Mind and Life Institute c’est d’aider l’humanité en proie à la violence », rappelait le dalaï-lama. « Une violence nourrie par les médias », s’inquiétait Jan Chozen Bays en relevant le fait que « nos cerveaux ne sont probablement pas conçus pour ingurgiter tant de souffrance. Jadis, il fallait faire face aux difficultés de sa petite tribu. Aujourd’hui, c’est au malheur du monde entier que la télévision nous oblige de répondre. »
De l’avis des nombreux spécialistes présents à Washington, la compréhension des mécanismes neurologiques de la méditation permettra d’inclure ses principes dans nos attitudes préventives et dans nos stratégies curatives. « Nous avons tous emprunté des chemins différents pour arriver jusqu’ici, constatait Ralph Snyderman, professeur de médecine et ancien président de la Duke University. Cependant, nous souhaitons tous trouver des moyens pour diminuer la souffrance. Et nous savons tous que la technologie n’y suffira pas. » Loin de renier les acquis de la médecine scientifique, il paraît donc opportun de lui adjoindre des méthodes issues de l’expérience séculaire de notre humanité. « S’il est prouvé qu’une retraite méditative peut aider à guérir une dépression, il n’en reste pas moins vrai que, parfois, un médicament anti-dépresseur est nécessaire pour permettre au patient de s’arracher au gouffre et envisager la possibilité d’entreprendre un programme de méditation », faisait remarquer Jan Chozen Bays, dont la double culture, scientifique et spirituelle, lui permet de jeter la passerelle indispensable à cette approche médicale « intégrée ».
« Face aux problèmes d’attention et d’agressivité que nous rencontrons dans nos écoles, il faudrait peut-être y introduire l’enseignement de la méditation dès les petites classes », me disait un fonctionnaire de l’U.S. Department of Education, assis à mes côtés tout au long de ses journées. C’est sans doute ce qu’espère Richard Davidson lorsqu’il déclare qu’« un jour, en plus de leur programme d’‘‘éducation physique’’, nos enfants bénéficieront peut-être d’une initiation à l’‘‘éducation mentale et spirituelle’’. Qui sait ?
En tout cas, il paraît important de préciser que la spiritualité n’est envisagée ici que dans sa conception la plus pure, débarrassée de ses préjugés religieux. « Il ne s’agit pas d’une affaire de foi et de croyance, précisait le dalaï-lama. Mais plutôt d’une préoccupation éthique et morale. Il est de notre responsabilité d’être humain d’utiliser notre intelligence pour comprendre la nature et le fonctionnement de notre esprit. » Cette précision rassurera peut-être les scientifiques suspicieux qui insistent pour que la science reste indépendante de toute forme d’influence religieuse. Car le débat est passionné. Pour preuve, la pétition signée par des médecins et des chercheurs pour protester contre l’invitation faite au dalaï-lama par la Society for Neuroscience afin qu’il prononce le discours inaugural du Congrès qui se tenait à Washington, quelques jours après les rencontres du Mind and Life Institute. « Si la science prouve que certaines croyances du bouddhisme sont fausses, alors le bouddhisme les changera », confiait le dalaï-lama à la docte assemblée. Force est de constater que, à ce jour, les conclusions issues de l’expérience millénaire du bouddhisme rejoignent celles qui découlent de la méthode scientifique. Et, les deux approches nourrissant le même désir d’aider l’évolution de l’humanité, il paraît logique de les voir unir leurs efforts. Isaac Newton n’a-t-il pas écrit « les hommes construisent trop de murs, pas assez de ponts » ?
- Par Thierry Janssen, médecin, chirurgien et psychothérapeute, et auteur des livres Le Travail d’une vie (Robert Laffont, 2001), Vivre en paix (Robert Laffont, 2003), La Solution intérieure et Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit (Fayard, 2006).
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