mardi 3 décembre 2013

Delevoye : « Il faut passer à une société de partage »

En 2011, il diagnostiquait une France prête à exploser. Aujourd’hui, le climat politique et social lui donne raison. Et Jean-Paul Delevoye vient de divorcer avec l’UMP.

Trente ans après ses débuts en politique, Jean-Paul Delevoye se retrouve comme au premier jour, libre de tout parti. En choisissant de soutenir aux prochaines municipales le candidat socialiste plutôt que celui de sa « famille », le maire de Bapaume (Pas-de-Calais) depuis toujours a provoqué sa rupture avec l’UMP.
Un divorce dont ce « gaulliste social » de 66 ans parle, presque soulagé, déjà bien distant d’un parti qui ne ressemble plus à son bon vieux RPR, fier d’avancer à contre-courant des codes politiques qu’il exècre.
« J’ai toujours dit que j’avais un seul maître, l’intérêt général et qu’une seule ambition, servir mon territoire. Le seul leader naturel qui peut garder cette capacité de rassemblement est le député socialiste. C’est mon vice-président à l’intercommunalité depuis dix ans, on porte le même projet.
Le parti a sa stratégie, il a la conquête pour obsession. Je le comprends mais on est en divergence. Je n’ai ni amertume ni rancœur, j’ai toujours mis en harmonie mes convictions et mes actes. »

« C’est du racisme politique »

Un peu plus tard dans la conversation, il se fait plus incisif :
« On dit à un député de droite que s’il soutient un projet de gauche même intelligent, il est un traître. On veut enfermer l’intelligence dans des frontières politiques. Pourquoi ne serions-nous tolérants qu’envers ceux qui ont la même carte de parti ? C’est du racisme politique.
J’ai toujours préféré travailler avec un type de gauche intelligent qu’avec un type de droite idiot. Je disais toujours : “Il faut que les types de droite soient plus intelligents que les types de gauche.” »
C’est un discours que l’homme porte bien au-delà de sa situation personnelle. Depuis des années, Jean-Paul Delevoye diagnostique avec virulence la crise de la vie politique française. Sa position le lui permet ; l’époque où les caméras de télé guettaient ses faits et gestes est derrière.
Entre 2002 et 2004, il était le ministre de la Fonction publique de Raffarin, étiqueté « caution terroir », lui le colosse consensuel – 1,93 m – tellement chiraquien, qui n’a pas fait de la politique par vocation : pendant que d’autres préparaient leur carrière à l’ENA, lui dirigeait l’entreprise familiale d’agroalimentaire.
Président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) depuis 2010, cette institution qu’il définit comme « maison du temps long », il observe le jeu politicien avec recul.

Parler aux assistantes sociales

L’abstention grimpe, les partis se perdent en querelles de personnes, les médias se régalent à « fact-checker » les promesses non tenues et les déclarations mensongères et/ou contradictoires. La politique lasse, 70% des Français n’ont plus confiance dans les partis (sondage Cevipof 2013), Delevoye s’exaspère :
« Les hommes politiques sont tous dans la primaire, dans la conquête, dans le conflit des personnes. »
Malgré un parcours politique bien rempli – député, sénateur, président de l’Association des maires de France... – Jean-Paul Delevoye a attendu d’être sexagénaire pour découvrir en profondeur la société française.
Médiateur de la République (2004-2011), il examine des milliers de réclamations et passe du temps avec des juges d’instruction et des assistantes sociales, témoins précieux de l’évolution du pays.
« La verticalité de notre système fait que les politiques ne parlent pas à ces gens-là, ils sont enfermés dans les cellules de pouvoir. »

Le thermomètre Marine Le Pen

En 2011, son dernier rapport fait l’effet d’une bombe : il y fait le diagnostic terrible d’une France où plus rien ne va. Les humiliations s’entassent et l’implosion guette. Deux ans plus tard, Delevoye dit ne pas être surpris par l’état actuel du pays. Pas plus par les révoltes en série que par la montée du FN.
« Quand c’est la révolte des affamés ou des humiliés, comme ces Bonnets rouges, c’est beaucoup plus violent et imprévisible parce qu’elle n’est portée par aucune espérance alternative. [...]
Marine Le Pen est le thermomètre qui donne la température de l’insuffisance de l’offre politique républicaine. »
Face à une situation de plus en plus complexe, l’ancien ministre, à la tête du Cese, réfléchit à des solutions, « ouvre des pistes de réflexion », plaide pour un choc culturel aux airs d’utopie : démocratie locale, refonte du système éducatif, « société de l’épanouissement »...

A 66 ans, il continue de changer d’avis : cet ancien cumulard se prononce contre le cumul des mandats, ce gaulliste invétéré se demande si la Ve République est le système idéal.
Mais l’écoute-t-on vraiment au sommet du pouvoir ? Le Cese est une vieille institution, bien souvent qualifiée d’inutile et de palais du copinage, où les citoyens n’ont pas l’habitude de mettre les pieds, de peur de salir les beaux tapis.
Jean-Paul Delevoye assure que tout ça est en train de changer, que c’est l’un des seuls endroits où « on fait parler entre eux des agriculteurs et des écologistes d’algues vertes et de pesticides ». Grand entretien.

Jean-Paul Delevoye au Cese le 13 novembre 2013 (Audrey Cerdan/Rue89)
 
Rue89 : Selon vous, les hommes politiques ne cherchent plus à convaincre mais à séduire.

Jean-Paul Delevoye : Ces dernières années, avec la fin des idéologies et les défaillances du libéralisme, les politiques obsédés par le pouvoir ont préféré gagner des électeurs même s’ils perdaient des citoyens.
La classe politique a délité les ressorts citoyens du vivre-ensemble. Dans toute la société, on observe la montée de l’individualisme, le rejet d’un projet collectif.
Le citoyen est devenu consommateur de la République : « Je ne veux pas que le prof soit bon, je veux qu’il mette 20 à mon gamin ; je ne veux pas que le juge soit juste, je veux qu’il fasse mal à celui qu’il m’a fait mal. Et le politique, je veux qu’il protège ma niche fiscale, mon statut, etc. »



Vous dites que c’est la victoire du court-termisme.
Le court-termisme s’aggrave, alors que pour construire des convictions, il faut du temps. La temporalité de la décision politique s’est considérablement raccourcie : le quinquennat, Internet... On veut tout tout de suite. Le politique est dans la posture, dans la gestion de l’émotion et nous sommes dans des démocraties d’émotion.
N’importe quel système peut être détruit en une poignée de seconde. Andersen avec Enron, plus belle boîte du monde, a été balayée en trois mois suite à un scandale. DSK a été irrémédiablement laminé par des vagues émotionnelles que plus personne ne maîtrise.
C’est la même chose au niveau économique : des stratégies de court-terme sont souvent prises mais préjudiciables à moyen terme. La force du capitalisme allemand, c’est l’appropriation familiale du capital, la proximité régionale de la caisse d’épargne et une proximité avec les élus régionaux.
Ce court-termisme a exacerbé le cynisme pour la conquête du pouvoir. Et aujourd’hui, la légitimité que vous acquérez par l’élection ne vous donne pas la légitimité pour décider pour tout, ce qui donne la prime aux minorités contestataires, aux systèmes souterrains et parallèles.
Les gens ne croient plus du tout au respect de la loi. Ils ne croient plus à la force du droit, ils revendiquent le droit à la force. Le faible a l’impression d’être écarté du système et la révolte du faible est une révolte violente.
Et l’abstention... Le maire de New York vient d’être élu avec 76% d’abstention.
Est-ce aussi un échec du système de formation politique : ENA et haute fonction publique ?
Ce n’est pas un mal que d’être formé mais désormais, on fait carrière politique. On démarre à 25 ans, on va dans un cabinet et la formation politique classique fait qu’on a priorisé la stratégie de carrière politique et non pas la confiance des citoyens.
La longueur de la carrière politique par rapport à une temporalité raccourcie entraîne une absence de rotation et ne permet pas une oxygénation du système. La classe politique n’est plus le reflet de la société. Il a fallu des lois comme la parité pour voir apparaître une nouvelle génération.
Le non-renouvellement politique est absolument pathétique. On ne donne pas la parole aux Français d’origine étrangère alors que le problème de l’immigration et de l’intégration est un sujet majeur. On a besoin de 50 millions de populations étrangères d’ici 2050 pour équilibrer la population active en Europe. Et ce qui me frappe, c’est que de plus en plus de députés expriment leur déception d’être députés.
Les différences entre l’offre de droite et l’offre de gauche se réduisent...
Les gens s’entendent pour le pouvoir mais pas sur des convictions. L’alternance a montré que quand on arrivait au pouvoir, on faisait l’inverse de ce qu’on disait dans l’opposition et quand on est dans l’opposition, on fait l’inverse de ce qu’on faisait dans la majorité.
L’augmentation des impôts, c’est Fillon qui l’a décidée, c’est Ayrault qui l’applique. Sur l’intervention au Mali, l’opposition demandait un débat parlementaire qu’elle aurait certainement condamné au temps de Sarkozy et la gauche devient interventionniste alors qu’elle est plutôt pacifiste.
On est à front renversé et l’opinion se dit que les politiques n’ont pas de convictions mais que des postures.
Comment expliquez-vous le succès du Front national ?
Dans le paysage politique aujourd’hui, l’offre la plus cohérente est celle du Front national. Il y a un leader, un parti, une organisation.
Au Front de Gauche, il pourrait y avoir une cohérence mais elle est compliquée par la diversité des leaders. Il pourrait aussi y avoir une cohérence sur le centre entre Bayrou et Borloo autour de l’Europe.
Mais c’est clair que les deux partis politiques les plus malades aujourd’hui par cette absence de cohérence, de leaders, de projets et par les conflits de personnes, c’est le Parti socialiste et l’UMP. Si ça se poursuit, on ne peut que prévoir l’éclatement du PS et de l’UMP, et une recomposition de l’offre politique basée autour de projets.
La vraie frontière n’est plus entre la droite et la gauche mais entre ceux qui croient à l’Europe et ceux qui n’y croient pas.
Marine Le Pen apparaît comme l’arme légale et politique pour renverser le système. J’ai toujours reproché à la classe politique républicaine d’avoir une attitude de culpabilisation presque judéo-chrétienne lorsqu’elle dit que c’est un péché de voter Marine Le Pen. On joue sur la « conscience » des bons électeurs.
Marine Le Pen est le thermomètre qui donne la température de l’insuffisance de l’offre politique républicaine. Le vote FN n’est pas l’adhésion à un choix de société, on voit bien dans ses discours que ce n’est pas cohérent, mais c’est un outil intéressant pour dire merde » à la classe politique traditionnelle.

« La révolte fiscale » vous surprend-elle ?
Depuis des années, il y a un décrochage entre la performance économique et la performance sociale : au cœur de toutes les espérances politiques, il y avait la perspective de croissance.
Le taux de croissance était vu comme le remède le plus absolu pour la cohésion de la société. On s’aperçoit que le taux de croissance a augmenté de 30% dans les dix ou quinze dernières années et on est passé de 1 million à 5 millions de chômeurs. Le modèle social a changé de nature.
Le capitalisme a perdu son meilleur adversaire et en même temps il a échappé à ses maîtres. Il est complètement dérégulé. Il y a la perception que la société est déboussolée parce qu’il n’y a plus de projet et en plus, les politiques donnent la sensation, à tort ou à raison, qu’ils n’ont plus la maîtrise de leur destin. Et les sentiments deviennent des ressentiments
La révolte fiscale n’est pas une surprise : en tant que médiateur, je disais qu’il y avait entre 12 et 15 millions de personnes qui étaient entre 50 et 150 euros par mois. Ce n’est pas la contestation de l’impôt qui est marquante, c’est surtout que pour beaucoup, l’eau arrive au menton et la moindre augmentation d’impôt fait que les charges deviennent supérieures aux ressources.
Les inégalités se développent. Jusqu’où la France va-t-elle les accepter ? C’est une transition douloureuse : toutes les équations de la République ne marchent plus. La réalité montre l’échec de la mixité sociale. Des quartiers accumulent toutes les difficultés, les enfants de toubibs passent leurs vacances loin des enfants d’ouvriers. Il n’y a pas un fils d’ouvrier à l’université.
Notre société défile sous le thème de l’égalité tout en mettant systématiquement des mécaniques d’exclusion. L’école est une machine à exclure ceux qui ne réussissent pas, l’économie est une machine à exclure ceux qui ne sont pas productifs. De plus en plus de nos concitoyens sont en situation de survie.
Ce qui surprend, c’est que les mouvements sociaux comme les Bonnets rouges s’expriment en dehors des institutions traditionnelles.
Toutes les forces qui sont en train d’émerger ces derniers temps sont en effet spontanées et en dehors des systèmes organisés. Les Pigeons en dehors du Medef, les Bonnets rouges en dehors des organisations politiques et syndicales, les mouvements de contestation des fermetures d’usines se font souvent en échappant aux syndicats.
Le système est ensuite dans la récupération de mouvements populaires, pas dans la gestion de ces mouvements. C’est assez révélateur. D’habitude, les révoltes des « esprits », menées par les classes moyennes, s’accompagnent d’une espérance alternative.
Quand il n’y en a pas, quand c’est la révolte des affamés ou des humiliés, comme ces Bonnets rouges, c’est beaucoup plus violent et imprévisible parce qu’elle n’est portée par aucune espérance alternative. Elle n’est nourrie que par des désespérances.
C’est la situation du type qui est en train de se noyer et qui tape sur son sauveteur. Le sauveteur ne comprend pas, comme la classe politique aujourd’hui qui se dit qu’elle fait ce qu’il faut pour sauver le pays. Cette violence est comme un réflexe de survie : par la violence, j’existe et c’est peut-être la dernière étape avant que je n’existe plus.
Il y a quelques années, vous parliez déjà d’une société en « burn out »...
Notre système économique est en train d’humilier les gens : quand vous êtes à bac +7 et que vous touchez le smic, vous n’êtes pas malheureux, vous êtes humiliés. Quand on vous vire à 45 ans sans alternative, c’est pareil.
L’aspect pyramidal de la société se transforme en sablier : l’élite a le monde pour horizon, la classe moyenne est de plus en plus fragilisée et les gens sans espérances sont de plus en plus nombreux. Quand vous êtes dans cette situation de désespérance et que c’est le système qui vous y met, vous n’avez que deux solutions : vous détruire ou détruire le système.
J’en reviens à ce que je disais : le Front national, c’est celui qui offre le moyen légal de renverser le système.
Vous prévoyez un changement radical...
La répartition des richesses est de plus en plus concentrée dans des minorités. Le XXe siècle a été celui de la différence des hommes, on pensait alors que des races étaient supérieures à d’autres, ce fut le siècle du nationalisme.
Ce qu’on voit émerger aujourd’hui, c’est la différence des identités et des religions. On voit émerger des conflits d’identité socio-spatiale, entre quartiers, entre ethnies, entre minorités ou entre les religions. Et ça, ça va nous amener le populisme.
J’ai en mémoire un reportage de France 3 qui mettait en avant la montée d’Hitler. Ils avaient coupé l’écran en deux : d’un côté, Nuremberg et l’enthousiasme de la population allemande autour d’Hitler ; de l’autre, la bourgeoisie allemande au bord du Rhin, avec le champagne, les messieurs en smoking et les dames en robes longues.
Un bourgeois disait : « Ce petit facteur n’aura jamais le pouvoir. »

Vous diagnostiquez une crise absolument terrible....
Nous ne sommes pas en crise, nous sommes en métamorphose. Et comme toujours, dans ces cas-là, la destruction précède la construction et la douleur précède l’espérance.
Nous vivons un moment politiquement très dangereux et d’autant plus dangereux s’il y a une cécité politique.
La société de demain n’aura plus rien à voir avec celle d’aujourd’hui. On va rentrer dans une phase de croissance faible et il y a toute une série de choses qu’il va falloir revisiter. On ne pourra pas sur le travail financer la retraite et la santé.
Nous devrions ouvrir des chantiers républicains entre l’opposition et la majorité, entre les salariés et les patrons pour se dire quel type de contrat social nous voulons mettre en place. Sur la santé, la retraite.
Sur les retraites, plus que le temps de cotisation et l’allongement de la durée, il faut s’interroger sur le système de répartition : ceux qui travaillent ne veulent pas tous payer pour les vieux alors qu’ils ne sont pas sûrs de profiter du système.
Si nous n’y prenons pas garde, on va alimenter, par cette absence de crédit, le pacte collectif qui fait la force de la France. Les jeunes ne voudront plus payer pour les vieux, ceux qui travaillent pour ceux qui sont au chômage et les bien portants pour ceux qui sont malades.
Par refus d’anticipation ou blocage par les réseaux – on est un pays verrouillé par les corporatismes – on a du mal à imaginer l’adaptation de notre système. On demande à l’avenir de s’adapter à notre système alors que c’est au système de s’adapter à l’avenir.

Dans quel autre domaine est-ce flagrant ?
L’éducation par exemple. On a des échecs éducatifs mais personne n’imagine que l’arrivée d’Internet doit complètement bouleverser la relation du prof à l’élève. On ne peut plus forcer à apprendre, il faut aimer apprendre et aujourd’hui, ce n’est plus l’accumulation des connaissances – on les a sur les ordinateurs – qui compte mais la formation du sens critique.
Les jeunes ont besoin de nous pour avoir des valeurs, se forger un sens critique et des convictions.

Comment envisagez-vous l’avenir de notre système social ?
Notre système social qui reposait sur les allocations est à repenser dans un souci de socialisation. Il faut que les gens retrouvent le souci de chanter, de danser, de boire ensemble. Le rapport humain n’est pas que lié sur l’argent mais aussi sur l’empathie et le partage. Ma conviction, c’est qu’on va passer d’une société de la performance à la société de l’épanouissement.
La question, c’est : comment être épanoui avec moins d’argent ? Il faut passer à une société de partage : colocation, covoiturage, partage de nurses… Il faut passer d’une société du bien à une société du lien.
Les variations économiques sont de plus en plus fortes. On pourra voir des gens milliardaires à 16 ou 18 ans et ruinés deux ans plus tard. Il faut réussir à stabiliser le parcours social malgré les variations économiques de plus en plus fortes.

Et d’un point de vue politique, quelles seraient les solutions ?
Des décisions politiques prises par l’organisation ont immédiatement été remises en cause par l’émergence de forces citoyennes. On le voit avec la fiscalité : la loi est votée, les Pigeons s’expriment, basta. Les Bonnets rouges s’expriment : plan pour la Bretagne, suspension de l’écotaxe votée par des gouvernements précédents.
La force n’est plus dans les institutions politiques mais dans les forces citoyennes. Le pouvoir a raison d’être attentif à ça. Il faut envisager une nouvelle méthode politique : trouver un moyen d’inclure la voix des citoyens pour qu’elle ne soit pas que contestataire et destructrice.
On a vu des salariés se mettre en Scop et sauver des entreprises qui avaient été mises en dépôt de bilan par des fonds de pension qui ne cherchaient que la rentabilité maximale. On a le même hiatus avec la classe politique. Les citoyens ne sont pas contre la politique, il n’y a jamais eu autant d’attente politique. On ne souffre pas d’un excès de politique mais d’un excès de politiciens.
Il faut aussi arrêter de considérer les syndicats comme des empêcheurs de tourner en rond mais comme des acteurs du changement. Le patronat n’est pas systématiquement assoiffé de fric. On a campé un décor qui fait plaisir à celui qui l’a campé mais qui n’est pas le reflet de la réalité. Je n’ai jamais vu autant de salariés et de patrons défiler ensemble pour sauver leur boîte.
Il y a de plus en plus d’opportunités de rassembler les gens autour de communautés d’intérêt, ce qui demande de remettre en cause un système qui n’est construit que sur un rapport de forces dominant/dominé et sur la jouissance du pouvoir.

A court terme, comment régler la question du manque de renouvellement politique ?
Surtout, je crois qu’aujourd’hui, l’opinion ne tolère plus le cumul des mandats au nom du « ils font carrière pour eux et pas pour moi ». Il y a un prix à payer pour restaurer la confiance. Tout comme la transparence totale.


Pour vous, la solution passe par le local.

Le pouvoir est déjà en train de partir vers le local. L’anémie nationale sera renforcée par les forces locales. Il faut libérer les forces du territoire. On a des optimismes locaux mais un pessimisme national.

La France est un pays très hiérarchisé, très verticalisé. Elle ne sait pas s’enrichir de sa diversité, elle est obnubilée par son unité de pouvoir et de décision : l’administration centrale se méfie de l’administration locale.
Dans une entreprise, on recherche en permanence les meilleures compétences alors qu’en politique, quand on voit émerger un concurrent, on a tendance à vouloir le supprimer. On se déchire plutôt que de rassembler à cause des stratégies de conquête du pouvoir.

Peut-être un des moyens de faire évacuer la tension dans les rapports humains, c’est de représenter les diverses forces citoyennes dans des organes institutionnels. Peut-être faudrait-il mettre en place huit ou neuf régions métropolitaines autour de Lille, Marseille, Bordeaux et pas ce mille-feuilles entre les départements, les régions, les interco’ [intercommunalités, ndlr], les mairies...

Les gens voient l’addition des impôts et pas la capacité de pouvoir peser sur les décisions. Il faut qu’on offre aux gens des espaces de rencontre autour de la culture, du sport, voire de la spiritualité. Les gens sont en quête d’espérances alternatives. Les peuples ont besoin de croire en quelque chose. Et c’est sur le territoire des mairies et des communautés de communes que l’on peut retrouver la vitalité sociale.

A Lyon, les gens de droite votent Collomb ; à Bordeaux, les gens de gauche votent Juppé. Le pouvoir est déjà en train de partir vers le local.


Très concrètement, comment changer les choses ?

On a besoin d’un choc culturel. Mon rêve serait que l’on crée des chantiers républicains qui permettent d’avancer en dehors des conquêtes de pouvoir. « Droite, gauche, patrons, salariés : quelle est la fiscalité de demain ? » Pareil pour la santé, pour le chômage.

En se posant de vraies questions : est-on persuadé que 100% des gens peuvent avoir du boulot ? On a le droit de penser que non et de mettre en place des allocations pour que des gens travaillent au service de la collectivité. Mon obsession, c’est de revisiter les équations de la République.
Il faut libérer le génie créatif de la France. Si on redonnait confiance en ce pays, il ferait de grandes choses.


Invité du 13h France Inter : Jean-Paul Delevoye par franceinter

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