Le Point.fr
- Publié le
16/12/2013 à 07:55
La surveillance d'Internet, rendue légale sans l'intervention d'un juge
par la dernière loi de programmation militaire, continue de faire
réagir. Interview.
Ulrich Mühe dans "La vie des autres" de Florian Henckel von Donnersmarck (2007)
© Océan Films
Votée par l'Assemblée nationale et le Sénat , la loi de programmation militaire , qui facilite la surveillance d'Internet, continue de faire réagir dans le milieu numérique français et américain . Voici l'opinion de Jérémie Zimmermann, porte-parole et cofondateur de La Quadrature du Net , organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet.
Le Point.fr : Quelle est votre réaction à la suite du vote cette semaine de la loi de programmation militaire ?
Jérémie Zimmermann : Cette loi permet de vastes écoutes sans intervention d'un juge en temps réel .
Il s'agit d'une porte ouverte aux plus importantes violations des
libertés individuelles, en même temps qu'une violation du principe de la
séparation des pouvoirs. Normalement, c'est le pouvoir judiciaire qui
peut restreindre les libertés fondamentales, donc ordonner les écoutes
violant la protection de la vie privée. Je suis particulièrement déçu de
voir que ce texte est porté par le gouvernement, bref, est devenu la
position officielle en réaction aux révélations d'Edward Snowden sur les
pratiques de surveillance de l'État américain. Alors que le Parlement européen a invité le lanceur d'alertes (il doit être prochainement auditionné, NDLR), la réponse de la France étonne. Aux yeux du monde entier, notre pays est hypocrite dans sa réponse aux récents abus des États-Unis .
Les partisans de la loi expliquent que la France est en guerre...
Le
premier danger ici est que la surveillance n'est plus un dispositif
exceptionnel concernant uniquement le terrorisme, mais devient la norme.
Le texte proposé, par la notion très vague de "informations et
documents traités ou stockés", permet une surveillance totale de la
géolocalisation, l'enregistrement des communications, mais aussi la
surveillance de notre activité en ligne, ce qui veut dire grosso modo de
toute notre vie. Pire, cette surveillance pourra s'effectuer en direct.
D'ailleurs, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité ,
chargée de vérifier la légalité des autorisations d'écoutes, ne pourra
rien empêcher, car elle interviendra a posteriori (48 heures après avoir
été alertée) et, rapportant au Premier ministre, n'aura aucun pouvoir
de sanction en cas d'abus. Pas sûr qu'elle se fasse entendre ! Bref,
cette loi signe la fin de la séparation des pouvoirs et donne à
l'exécutif les clés d'un système de surveillance généralisée.
Que voulez-vous dire par là ?
Qu'il
n'y aura plus de limite. Ce texte va bien au-delà de la lutte contre le
terrorisme en proposant que ces écoutes servent notamment à protéger
les intérêts scientifiques et économiques de la France. Par exemple, des
champs qui englobent les antinucléaires, des associations oeuvrant pour
la transparence des entreprises, des opposants à la création d'un
nouvel aéroport, mais aussi potentiellement l'identité des sources de
journalistes dans une affaire anticorruption... C'est ni plus ni moins
que la préparation d'un État totalitaire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.