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Marqués à droite ou lestés d’un mauvais bilan, certains P-DG des groupes
dont l’Etat est actionnaire auront du mal à conserver leur poste avec
l’arrivée de François Hollande au pouvoir.
Si François Hollande met à exécution son projet de plafonner la
rémunération des patrons du public à 20 fois le Smic, il y aura de la
démission dans l’air. A ce jeu, un Jean-Claude Bailly à La Poste devrait
rogner sa fiche de paie de 45% et un Henri Proglio chez EDF de 66%. A
vrai dire, le patron de l’électricien national n’aura probablement pas
le temps de claquer la porte ni de combattre la sortie progressive du
nucléaire prônée par le candidat socialiste. Ce dernier a fait savoir
qu’il ne garderait pas «Proglio l’imbroglio».
Bien sûr, Hollande a promis qu’il n’y aurait pas de grand soir patronal s’il était élu. Dans certains groupes comme Renault, où Carlos Ghosn règne en maître, l’Etat actionnaire n’a de toute façon pas voix au chapitre. D’autres P-DG, par contre, devront naviguer serré. Un Alexandre de Juniac, tout droit venu du cabinet de Christine Lagarde, engage par exemple une réforme à haut risque chez Air France. Dans l’audiovisuel public, un Alain de Pouzilhac, chargé de porter la voix de la France à l’étranger, a un mauvais dossier. Capital a évalué les chances de survie de ces patrons. La revue des troupes n’est pas exhaustive : l’Agence de participation de l’Etat a en effet dans son portefeuille une cinquantaine de sociétés, d’Aéroports de Paris à Thales en passant par le casino d’Aix-les-Bains. Faites vos jeux.
Emmanuelle Andreani, Jean Bottella et Christophe David
Les menacés : à l’image du chef de file du nucléaire français, ils ont un mauvais dossier
Dans le monde idéal du patron d’EDF, la présidentielle aurait opposé Nicolas Sarkozy à Dominique Strauss-Kahn. Le sortant ? Henri Proglio le chiraquien avait réussi à l’apprivoiser grâce à l’entremise de Rachida Dati, puis surtout de son fidèle Claude Guéant. L’ancien patron du FMI ? C’est un ami de trente ans que Proglio avait encore appelé en février, la veille de sa garde à vue à Lille dans l’affaire du Carlton. Patatras. Si Hollande va à l’Elysée, l’électricien devra sonner à Pôle emploi. «On ne pourra pas le garder», a fait savoir le candidat socialiste.
Champion du réseautage politique, Henri Proglio a cette fois-ci multiplié les maladresses. En 2009, il s’était battu en vain pour conserver la présidence de Veolia tandis qu’on le nommait à la tête d’EDF. Tollé général. En février dernier, il fomentait un putsch à Veolia (dont il est resté administrateur), pour installer Jean-Louis Borloo à la place du P-DG, Antoine Frérot, son dauphin devenu traître. Frérot qui avait osé nettoyer les comptes du groupe que Proglio lui avait laissé en héritage. Fiasco sur toute la ligne. Proglio emportera-t-il dans sa chute le président du directoire d’Areva, Luc Oursel, qui lui a fait allégeance ?
Les pronostics sont ouverts. L’ancien conseiller de Pierre Joxe à la Défense ne manque pas de relais chez les socialistes. Anne Lauvergeon, à qui Oursel a succédé à la tête du groupe nucléaire, assure dans tout Paris que son sort est déjà réglé. Tout dépendra des suites données à la plainte déposée par la même Lauvergeon. Celle-ci a fait l’objet d’écoutes téléphoniques dans le cadre du dossier UraMin. S’il est établi que Luc Oursel était au courant, il ne pourra pas rester.
Les bookmakers parient encore moins lourd sur les chances de survie de Jean-Dominique Comolli. Cet énarque de 64 ans est DG de l’Agence des participations de l’Etat. A ce titre, il siège notamment aux conseils d’administration d’EDF et d’Areva, où il n’aurait cessé de faire le jeu d’Henri Proglio. Certains socialistes ont surtout du mal à digérer la façon dont Comolli s’est enrichi depuis la privatisation de la Seita (les Gauloises) en 1995. Il a joui d’un salaire de plus de 1 million d’euros par an. Puis, quand Imperial Tobacco a fait une OPA sur Altadis (né de la fusion Seita-Tabacalera), Comolli, devenu président non exécutif, a eu le package complet: rémunération (1 million d’euros), contrat de consulting (850.000euros), retraite chapeau et stock-options. La France qui gagne!
Dernier sursitaire, Alain de Pouzilhac, le P-DG de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF), qui coiffe France 24 et RFI. François Hollande avait pétitionné contre la création de l’AEF. Et, au PS, on a peu apprécié la façon dont Pouzilhac a géré son conflit avec Christine Ockrent. «Dans l’audiovisuel, c’est celui qui a le plus à craindre», assure un connaisseur. C.D
Chances de survie :
Henri Proglio, EDF : 10%
Alain de Pouzilhac, AEF : 10%
Jean-Dominique Comolli, APE : 20%
Luc Oursel, Areva : 40%
Les « sous surveillance » : leur sort devrait être arbitré rapidement après les élections
En 2006, son ami Nicolas Sarkozy avait accroché une petite casserole à Stéphane Richard en même temps qu’il le décorait de la Légion d’honneur: «Stéphane, tu as bien réussi, tu es riche, tu as une belle maison […], saluait le ministre de l’Intérieur de l’époque. C’est la France que j’aime.» Pas sûr que François Hollande fasse autant l’éloge du P-DG de France Télécom, où l’Etat a encore son mot à dire avec 13,4% du capital (26,9% avec le Fonds stratégique d’investissement). Le P-DG, fils d’une militante PS, vient de la gauche. Il avait passé huit mois au cabinet de DSK au ministère de l’Industrie en 1991. Mais aujourd’hui, il ne cache pas tout le mal qu’il pense des projets fiscaux de Hollande, «dangereux» ou «absurdes». Le patron pourrait surtout être fragilisé par l’affaire Tapie-Adidas. Ancien directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo, puis de Christine Lagarde à Bercy, c’est en effet Richard qui a orchestré la procédure d’arbitrage ayant permis à «Nanar» de récolter 200 millions d’euros! Depuis, la Cour de justice de la République enquête sur une «complicité de détournement de fonds publics».
Quoique fidèle de Nicolas Sarkozy, le nouveau patron d’Air France, Alexandre de Juniac, peut raisonnablement espérer rester dans le cockpit. Ancien de Thales, il a certes été le porte-parole du gouvernement d’Edouard Balladur et le successeur de Richard à Bercy. Mais Juniac a un atout : il a pris les commandes d’une compagnie nationale en pleine tempête (809 millions d’euros de pertes en 2011) et le moment ne se prête guère à un changement de pilote. Luc Vigneron brandit quant à lui les premiers résultats positifs de sa grande réforme chez Thales, où sa popularité en interne reste toujours mauvaise. Son sort dépendra surtout de la stratégie de François Hollande en matière de défense. En mars, le candidat a laissé entendre qu’il pourrait remettre à plat le chantier initié par Lionel Jospin, qui avait rapproché Thales (ex-Thomson CSF) et Alcatel. Une opération détricotée par Nicolas Sarkozy en 2009 au profit de Dassault. François Hollande pourrait négocier une nouvelle configuration avec Dassault (qui détient 25,9% de Thales à côté des 27% de l’Etat), pour faire de l’électronicien de défense l’un des premiers acteurs mondiaux. Avec un homme neuf et plus consensuel aux commandes
Côté paillettes, l’avenir de Rémy Pflimlin, le P-DG de France Télévisions nommé par Sarkozy, est aussi entre parenthèses. Hollande lui aurait dit de vive voix de ne pas s’inquiéter. Il n’empêche, si le candidat du PS est élu, les nominations dans l’audiovisuel public reviendront à nouveau à une autorité indépendante. Et on n’attendra pas la fin du mandat de Pflimlin en 2015 pour appliquer la réforme. «Le CSA nouvelle manière pourrait procéder à des nominations à partir d’un appel à candidatures, souligne Patrick Bloche, responsable des questions audiovisuelles dans l’équipe Hollande. Ce qui n’empêcherait pas Rémy Pflimlin de se représenter.» Se vantera-t-il alors d’avoir évincé les supporters de Sarkozy, le présentateur Cyril Viguier ou le directeur des programmes de France 3, Pierre Sled ? Ou rappellera-t-il que le gouvernement Jospin l’avait choisi en 1997 pour diriger France 3 ? J.B.
Chances de survie :
Stéphane Richard, France Télécom : 60%
Rémy Pflimlin, France Télévisions : 60%
Luc Vigneron, Thales : 65%
Alexandre de Juniac, Air France : 70%
Les intouchables : sauf faux pas ou crise sociale imprévue, ils devraient poursuivre leur route
Il doit sa nomination à Nicolas Sarkozy. C’est un proche de Martine Aubry, dont il fut le directeur de cabinet (1991-1993) et avec laquelle il échange toutes les semaines… A priori, le patron de la SNCF, Guillaume Pepy, n’a pas le profil idéal pour faire ami-ami avec François Hollande. Mais ses sympathies socialistes et son honorable bilan lui promettent un voyage en première classe en cas d’alternance. L’énarque se verrait bien présider à l’avenir une holding qui coifferait la SNCF et une RFF (la société qui gère le réseau ferroviaire) aux missions élargies. Après des mois de bisbilles, le président de RFF, Hubert du Mesnil, et Guillaume Pepy seraient tombés d’accord pour ce grand Meccano.
Dans l’entourage du patron de la SNCF, on parie que l’équipe Hollande approuvera des deux mains. Et ministre des Transports, comme il se murmure ? «Franchement, je le vois mal aller s’ennuyer dans un ministère», commente un proche.
La cote du P-DG de La Poste, Jean-Claude Bailly, était aussi jusqu’à présent au top. Mais les premières difficultés pointent pour cet ancien collaborateur de Christian Blanc et proche de Jean-Paul Huchon, le président PS de la région Ile-de-France. Outre une chute de 13% de son bénéfice en 2011, l’inventeur de «l’alarme sociale» doit affronter, après deux suicides courant mars, une crise qui pourrait rappeler celle qui avait poussé vers la sortie Didier Lombard, chez France Télécom. Si la situation s’aggrave, Bailly (66 ans) pourrait être appelé à rendre son tablier avant la fin de son mandat en 2014. Un nom circule déjà comme un successeur potentiel : Philippe Wahl, le patron de La Banque postale, ami personnel de Michel Sapin, donné pour s’installer à Matignon ou à Bercy.
A la RATP, Pierre Mongin, 57 ans, a réussi à gommer son image d’homme de droite. L’ancien directeur de cabinet d’Edouard Balladur et de Dominique de Villepin à Matignon peut s’appuyer sur un bon bilan (fréquentation en hausse et jours de grève en baisse). Mais un élément vient troubler la quiétude de ce camarade de promotion de François Hollande à l’ENA : le juge Van Ruymbeke l’a cité comme témoin dans l’affaire Karachi sur le financement de la campagne Balladur en 1995.
On voit moins bien, en revanche, ce qui pourrait déstabiliser Carlos Ghosn, le samouraï de Renault-Nissan. Nicolas Sarkozy lui avait bien fait la leçon après la calamiteuse affaire d’espionnage début 2011 – le patron avait renoncé, pour calmer le jeu, à sa rémunération variable. Tout comme la délocalisation de la production de la Clio 4 en Turquie lui avait valu une pluie de critiques à gauche comme à droite. Mais, avec seulement 15% du capital de Renault, l’Etat semble s’agiter en vain quand le centre de gravité du groupe a basculé au Japon. Alain Rousset, responsable du pôle production et industrie dans l’équipe du candidat socialiste, a beau promettre que demain «l’Etat actionnaire fera son travail», Billancourt ne nourrit aucun espoir. E.A.
Chances de survie :
Pierre Mongin, RATP : 80%
Jean-Claude Bailly, La Poste : 80%
Guillaume Pepy, SNCF : 90%
Carlos Ghosn, Renault : 95%
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