L’Union européenne et Joaquim Almunia, le commissaire européen chargé de
la Concurrence, ont jugé les propositions de Google pour pallier les
entraves à la concurrence insuffisantes.
L’Union européenne et Joaquim Almunia, le commissaire européen chargé de
la Concurrence, ont jugé les propositions de Google pour pallier les
entraves à la concurrence insuffisantes. Crédit Flickr commons
Atlantico : L’Union européenne et Joaquim Almunia, le commissaire
européen chargé de la Concurrence, ont jugé les propositions de Google
pour pallier les entraves à la concurrence insuffisantes. Le géant est
soupçonné de ne pas respecter la concurrence sur les marchés de la
recherche et de la publicité en ligne. Dans quelle mesure Google est
devenu aujourd'hui indétrônable, incontournable ?
Frédéric Fréry : Le poids de Google est suffisamment prépondérant pour
attirer l’attention des autorités sur un éventuel abus de position
dominante. Google est présent sur toutes les plateformes d’accès
Internet, y compris maintenant sur PC avec leur système d’exploitation
Chrome. Ils sont premiers sur les smartphones et les tablettes (Androïd)
et ultra-dominants comme moteur de recherche sur Internet. Youtube, qui
leur appartient, est la première chaîne de télévision au monde tous
supports confondus, et leur position dans la publicité en ligne est
exceptionnelle. Il faut ajouter à cela que certains services qu’ils
développent sont intégrés à d’autres sites, comme la localisation avec
Google Maps.
Dans tout ce que nous faisons sur Internet, ou presque, Google
intervient à un moment où un autre. Les interrogations de l’Union
européenne sont donc légitimes.
Les usagers peuvent-ils réellement fonctionner sans lui ?
On peut échapper à Google, mais il s'agit c’est une démarche délibérée
et méticuleuse. Cependant, on se prive alors de la facilité
d'utilisation et de la qualité de leurs services. Trouver des
alternatives est possible mais c’est compliqué et au total l’expérience
utilisateur est moindre.
Existe-t-il des solutions alternatives crédibles ? Lesquelles ?
Pourront-elles se développer ?
Sur à peu près tous les services de Google il existe des concurrents.
Bing de Microsoft ou le Français Qwant pour les moteurs de recherche,
Facebook ou Twitter pour les réseaux sociaux, Hotmail ou Yahoo! mail
pour les mails, Firefox pour la navigation, TomTom ou Géoportail pour la
cartographie, etc. Il existe donc des alternatives, mais le principal
avantage de Google c’est l’interconnexion de tous ses services. Dès
qu’on utilise un de leurs services, la proposition est affinée pour la
prochaine utilisation d’un autre service. Si on utilise des solutions
alternatives, on perd cet avantage précieux. Or, il n’y a pas de
concurrents qui puissent proposer le même éventail de services, hormis
éventuellement Microsoft ou Yahoo!, mais avec une qualité souvent
inférieure.
Au passage, on peut s’étonner d’un retour aux portails Internet. Avant
Google, à la fin des années 1990, il existait des portails qui
proposaient toute une panoplie de services (e-mail, infos, météo,
shopping, etc.), sur une même page. C’était la grande époque d’AOL, de
Yahoo!, ou de Voila. Après l’explosion de la bulle Internet au début du
siècle, on a pensé que cette logique de portail était dépassée et
qu’elle devait laisser la place à des acteurs spécialisés par service.
Or, aujourd’hui, Google et Microsoft se rapprochent en fait du modèle
historique de Yahoo!, avec toute une série de services proposés sur une
même page d’accueil.
Ce revirement est logique. Google se rémunère essentiellement car les
internautes vont accéder, par son intermédiaire, à des sites référencés
chez lui. Google agit comme un péage. Ils ont donc forcément intérêt à
être une porte d’entrée d’Internet sur tous les supports, c'est-à-dire,
en fait, un portail.
L'Union européenne et les autorités de la concurrence ont, dans le
passé, pris des mesures pour empêcher certains monopoles de se créer en
découpant des entreprises en morceaux par exemple ou en supprimant
certaines interconnexions. Peut-elle faire la même chose pour Google ?
Ou est-ce trop tard étant donné son poids économique ? Aurait-il été
possible de réagir avant ?
Ce sera une procédure juridique longue dont on ne connait pas les
aboutissants pour le moment. Cependant, les autorités de la concurrence
ont déjà fait plier de grandes entreprises, largement dominantes en leur
temps, comme IBM dans les années 1970, AT&T dans les années 1980 ou
Microsoft dans les années 1990 et 2000. Google n’est donc pas à l’abri
d’une procédure du même type.
Cela dit, d’une manière générale, l’objectif de toute stratégie
d’entreprise consiste à créer un avantage concurrentiel, ce qui revient à
établir – légalement – une forme de concurrence déloyale. Il est normal
que les entreprises cherchent à occuper une position dominante leur
permettant de profiter le plus possible de leur avantage concurrentiel,
et il est tout aussi normal que les autorités s’assurent qu’elles n’en
abusent pas aux dépens des consommateurs. Elles ont ainsi forcé
Microsoft à dés-imbriquer Windows et Internet Explorer. On pourrait
imaginer une démarche du même type, entre le moteur de recherche de
Google, son réseau social Google+ et son service de vidéos YouTube.
Quelles conséquences a sa position dominante aujourd'hui et quelles
pourraient-elles être demain ?
L'histoire de l’informatique est faite d’époques successives. Le
vainqueur de la première époque – les ordinateurs – a été IBM. Lorsque
dans la deuxième époque la valeur est passée du matériel au logiciel,
c’est Microsoft qui l’a emporté. La troisième époque a vu le basculement
du logiciel vers Internet et la domination de Google. Nous en sommes
maintenant à la quatrième époque, le 2.0, avec la co-création des
contenus par les utilisateurs. Or, vous l’avez remarqué, chaque
vainqueur de chaque époque a perdu sa supériorité à l’époque suivante :
IBM n’a jamais dominé les logiciels, Microsoft n’est pas devenu une
entreprise Internet et de même Google n’a pas une position très forte
sur le 2.0, notamment par rapport à Facebook ou Twitter.
D’un point de vue stratégique, c’est ce que l’on appelle le dilemme de
l’innovateur : ceux qui ont été les meilleurs à chaque génération se
sont tellement spécialisés qu’ils ont beaucoup de mal à renier leurs
compétences pour passer à la génération suivante. Ils cèdent donc la
place à de nouveaux entrants. Ce processus d’obsolescence du succès est
essentiel à la vitalité du capitalisme.
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