dimanche 28 juillet 2013

La France, un nid d'espions comme les autres

La France joue les hypocrites en matière d’espionnage. Mais elle n’est pas la seule.

Francois Hollande en visite au salon du Bourget 2013. REUTERS/Ian Langsdon/Pool - Francois Hollande en visite au salon du Bourget 2013. REUTERS/Ian Langsdon/Pool -
A 

en croire les derniers rapports en provenance d’Europe, la France est indignée, tout bonnement indignée d’apprendre que la National Security Agency (NSA) espionne l’Union européenne au sein de sa mission à New York et de son ambassade à Washington. Certains hommes politiques français demandent à présent que la France accorde l’asile politique à Edward Snowden, l’ancien employé de la NSA au centre de la récente affaire de fuites. Le gouvernement français demande à présent des explications aux Etats-Unis à propos de ses écoutes illégales. Monsieur le président (en français dans le texte) François Hollande a demandé qu’il soit mis un terme à ces pratiques.
Tout ceci est absolument hilarant, si l’on songe que la France a souvent eu tendance à dérober des technologies militaires américaines, qu’elle met régulièrement des bâtons dans les roues des hommes d’affaires américains et fait généralement tout son possible pour gêner les efforts des services de contre-espionnage américains.
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Tous ceux qui s’intéressent à ces questions savent que la France est passée maîtresse dans l’espionnage économique et ce sans vergogne aucune. Comme le disait Pierre Marion, l’ancien responsable de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure), «en matière d’économie, nous sommes des concurrents, pas des alliés. L’Amérique dispose des informations techniques les plus avancées. Elles sont facilement accessibles. Il est donc logique que votre pays soit l’objet de l’attention toute particulière de nos services de renseignement.»
Il est par conséquent tentant de considérer les protestations françaises comme une forme ultime d’hypocrisie concernant l’espionnage économique, et c’est en effet ce qu’elles sont. Mais les fuites concernant la masse d’informations économiques récoltées par la NSA et la difficulté à expliquer les différences de traitement de ces mêmes informations de part et d’autre de l’Atlantique jette un voile de suspicion sur la cyberdiplomatie américaine à travers le globe.
Si vous avez encore des doutes en matières de pratiques d’espionnage industriel de la part de la France, il vous faut savoir que la liste est longue, documentée et publique des nombreuses affaires concernant les agences de renseignement de La République Française.

Un espionnage français «agressif et massif»

L’espionnage des compagnies américaines par la France, décrit comme «agressif et massif», remonte aux années 1960 et est né pour une large part du désir de la France de donner un coup de pouce à son industrie de défense, selon un rapport du Government Accountability Office (GAO: l’organisme sénatorial américain chargé du contrôle des comptes publics du gouvernement fédéral, NdT), qui classait la France comme un «Pays B.» La France ne dispose pas d’un marché matériel de défense interne assez grand pour se permettre de mener des recherches de pointe et a donc choisi de dérober de la technologie pour économiser des coûts de recherche et développement et disposer d’armement avancé pour ses propres troupes mais aussi pour l’exportation.
L’espionnage économique français ne s’est d’ailleurs pas arrêté à l’industrie de la défense des Etats-Unis. A la fin des années 1980, les services de renseignements espionnaient des compagnies de premier plan, comme Texas Instrument ou IBM afin de venir en aide à sa propre industrie informatique. L’histoire des micros dissimulés dans des sièges des avions d’Air France afin d’écouter les conversations des responsables de grandes firmes américaines fait partie de la légende du renseignement mondial.
L’affaire a fait son entrée dans la sphère publique en 1993, lors du salon du Bourget, la plus importante réunion mondiale des professionnels de l’aviation. Il s’agit généralement d’un salon sans anicroches pour l’industrie de l’aéronautique, et de l’occasion pour de nombreux pays de présenter leurs derniers chasseurs à réaction et avions de ligne. Mais le salon à pris une toute autre tournure quand un document de la CIA mentionnant le nom de dizaines de compagnies américaines cibles d’espionnage par la France a été rendu public, poussant certaines compagnies comme Pratt&Whitney et Hughes Aircraft à ne pas dévoiler de nouveaux produits voire à quitter le salon.
Cet espionnage continue aujourd’hui, selon un récent rapport du renseignement américain. Ce rapport place la France, aux côtés de la Russie et d’Israël, certes à bonne distance, mais à la seconde place, derrière la Chine, dans le domaine du cyberespionnage à des fins économiques. C’est le genre d’espionnage que les Américains ont, à de rares exceptions près, toujours affirmé ne jamais pratiquer.
Il est pourtant évident que l’Amérique épie les gouvernements étrangers pour obtenir un avantage dans les pourparlers commerciaux. Bien avant qu’Edward Snowden ne divulgue des détails concernant le fax fuiteur de l’Union européenne, le New York Times racontait comment les Etats-Unis avaient utilisé la CIA et la NSA dans le cadre de négociations commerciales avec le Japon.
Mais la communauté du renseignement américain n’a (presque) jamais espionné une compagnie étrangère au profit d’une compagnie américaine.

Deux types de vols de données

En d’autres termes: dérober des secrets pour aider le gouvernement, c’est bien. Dérober des secrets pour aider une compagnie, c’est mal. «Il y a une grande différence entre ce genre de pratique et un hacker lié au gouvernement chinois ou à l’armée chinoise qui craque un logiciel d’Apple afin de tenter de copier le design du dernier produit de chez Apple», affirmait ainsi le président Obama après avoir rencontré le président Chinois XI Jinping.
A présent que les tenants et aboutissants des méthodes de renseignement américaines sont connus, la distinction entre espionner Apple et espionner le département de la Défense va être plus difficile à faire. Comme Bloomberg le rapportait, une partie de la stratégie américaine visant à contrer le cyber-espionnage des Chinois à l’égard des compagnies américaines consiste à maintenir la pression sur la Chine en nommant et en désignant à la vindicte populaire les activités d’espionnage de ses compagnies afin que la Chine s’engage à respecter les règles du jeu.
Il risque pourtant d’être difficile d’embarrasser la Chine pour ne pas avoir respecté des normes non écrites et contestables que de nombreux autres pays violent allègrement. Le récent rapport américain sur le cyber-espionnage montre qu’au sein du Conseil de sécurité, la Russie, la France et la Chine tiennent cette pratique pour acceptable.
Que la France, la Chine ou d’autres pays prennent pour argent comptant les vibrantes affirmations de l’Amérique concernant les secrets économiques qu’elle engloutit ou qu’ils fassent preuve de démagogie importe peu. Il est très facile de brouiller les cartes et de leurrer l’opinion publique. Il suffit de se souvenir de 2001 et des cris d’orfraie de la France lorsque fut connue l’existence du programme Echelon, les fameuses «grandes oreilles de l’Amérique» qui faisaient alors scandale et de comparer ces protestations à celles du Parlement européen qui présentent les Etats-Unis  comme un espion économique global.
Il n’y a pas qu’en France et en Chine que les protestations américaines tombent dans l’oreille d’un sourd. Il suffit de parcourir les rapports annuels du National Counterintelligence Executive (NCIX) sur l’espionnage économique de l’étranger pour y trouver entre une demi-douzaine et une bonne douzaine de suspects et coupables avérés chroniques, année après année. Au-delà du noyau de pays posant chroniquement problème, le NCIX a découvert des entités en provenance de pas moins de 108 pays «impliqués dans une série d’action agressives à l’intention de technologies américaines sensibles et protégées.»
Par ailleurs, nombreux sont les alliés de l’Amérique qui sont loin de suivre sa vision du vol de données commerciales comme une activité criminelle, mais plutôt comme quelque chose relevant du droit civil.
Si les Etats-Unis veulent obtenir autre chose de la Chine, en matière d’espionnage économique, que la protestation outrée qu’ils viennent d’obtenir de la France, il va falloir procéder autrement. De beaux discours sur les différences de visions et les révélations sur les pratiques de telle ou telle compagnie qui ne les nomment plus qu’elles ne les humilient ne suffiront pas.
Pour la Chine comme pour les autres, la différence que nous faisons entre notre collecte illégale d’informations économiques et les leurs apparaît davantage comme une vue de l’esprit que comme une réelle différence.
Adam Rawnsley

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