dimanche 28 juillet 2013

Curés et francs-maçons, qui sont-ils, quelles sont leurs raisons...

Un curé français démis de ses fonctions pour appartenance à la franc-maçonnerie engage une «marche sur Rome» où il espère rencontrer le pape. Après trois siècles de rapports orageux entre l’Eglise et la franc-maçonnerie, l’intolérance n’a pas disparu.

Symbole de la franc-maçonnerie dans une loge à Bordeaux, en 2008. REUTERS/Regis Duvignau - Symbole de la franc-maçonnerie dans une loge à Bordeaux, en 2008. REUTERS/Regis Duvignau -
Etre curé et franc-maçon, c’est incompatible. Pascal Vesin, 43 ans, démis brutalement de ses fonctions de curé de Megève (Haute-Savoie) par son évêque, en raison de son appartenance active à une loge maçonnique, vient d’en faire l’expérience. Il a commencé, dimanche 14 juillet, une «marche vers Rome», accompagné de quelques anciens paroissiens. Il compte sur la durée de cette marche pour réfléchir à la sanction qui lui a été imposée, avant, espère-t-il, de rencontrer le pape François pour plaider sa cause. Il voudrait proposer à ce pape réputé plus ouvert de se mettre au service d’un groupe de travail pour lever l’incompréhension qui demeure entre l’Église et la franc-maçonnerie.
C’est à la suite d’une lettre anonyme qui dénonçait son appartenance au Grand Orient de France que le prêtre savoyard reçoit, en 2010, un premier avertissement de la part d’Yves Boivineau, évêque d’Anneçy. Celui-ci le somme de quitter sa loge pour se consacrer pleinement à son ministère de curé. Mais le prêtre n’en fait rien. Invoquant sa liberté de conscience, il veut continuer de vivre une double appartenance. Le Vatican est alors alerté et la démarche aboutit en mars dernier, juste avant l’élection du pape François. La congrégation pour la doctrine de la foi suspend Pascal Vesin: « Le prêtre a réitéré sa volonté de rester au sein de la franc-maçonnerie. L’évêque lui a donc notifié les conséquences de son choix ».

L’Eglise et la franc-maçonnerie sont passées de la guerre ouverte à la paix muette. Mais cette affaire montre que l’intolérance, vieille de trois siècles, n’a pas tout à fait disparu. La première condamnation de la franc-maçonnerie remonte en effet à une bulle du pape Clément XII, datée de 1738, 20 ans après la fondation de la Grande loge de Londres, acte de naissance de la maçonnerie moderne. Les griefs traditionnels contre les francs-maçons sont déjà énoncés dans ce texte: illégalité, immoralité, hérésie et culte du secret. «Si ces hommes ne faisaient pas le mal, auraient-ils une si grande horreur de la lumière?», interroge le pape. L’adhésion aux «sociétés ou conventicules de francs-maçons» est proscrite par l’Eglise sous peine d’excommunication.
Ces condamnations sont politiques. A l’époque, toute association non autorisée et secrète est perçue comme subversive à l’ordre public. Le procès fait par Rome à la maçonnerie s’inscrit dans la chaîne des interdictions alors formulées par tous les gouvernements européens. L’Inquisition frappe la franc-maçonnerie en Espagne, au Portugal, en Italie, en Amérique latine. Une littérature antimaçonnique se développe, à un degré moindre dans la France gallicane où la maçonnerie progresse. Sous Louis XVI, on compte déjà plus de 800 loges et 30.000 adhérents, dont des centaines d’ecclésiastiques de haut rang.          
La Révolution française est attribuée par l’Eglise à un «complot maçonnique». Thèse rejetée par l’histoire: s’ils ont servi de relais à la diffusion des Lumières et des idées nouvelles, les «ateliers» maçonniques ne furent en rien des officines de subversion. Mais le discours contre-révolutionnaire se confond avec la vulgate anti-maçonnique. La cour du pape est à la pointe du combat contre ceux qu’elle appelle «la secte» et les «premiers-nés du diable». Tous les papes du XIXe siècle condamnent les sociétés secrètes. La lutte contre la franc-maçonnerie est inséparable de celle qu’ils mènent, avec véhémence, contre le libéralisme, le positivisme, le modernisme.

Anticléricalisme et complot judéo-maçonnique

Elle atteint son sommet dans la chasse aux carbonari qui menacent le pouvoir temporel du pape. La prise de Rome, en 1870, est attribuée à l’action conspiratrice de maçons comme Cavour et Garibaldi, artisans de l’unité italienne. D’où l’acharnement que met le pape Pie IX à condamner la franc-maçonnerie et ses «chefs occultes». Dans la France de la IIIe République, des francs-maçons sont aussi à l’origine des lois laïques: loi de Jean Jaurès sur l’instruction publique en 1882, loi d’Alfred Naquet sur le divorce en 1884, loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, aboutissement du combat d’Emile Combes contre l’Eglise. Les congrégations religieuses sont expulsées et spoliées, les établissements congréganistes fermés, les relations rompues entre la France et Rome. L’anticléricalisme atteint son sommet. Il déclenche en retour une littérature délirante contre le «complot judéo-maçonnique».  
C’est dans ce climat qu’est publiée, en 1884, une encyclique capitale du pape Léon XIII qui décrit deux camps ennemis: d’un côté, la vérité et la vertu, celles de l’Eglise, «royaume de Dieu sur terre»; de l’autre la franc-maçonnerie, «royaume de Satan», qui conteste tout dogme, vise à la destruction de la religion catholique et à sa substitution par une autre religion fondée sur le libre examen.
Le pape combat la prétention de la maçonnerie à séculariser la société par le biais du divorce et de l’école, dénonce la confiscation des biens ecclésiastiques. Au début du XXe siècle, le code de droit canon punit d’excommunication tous ceux qui appartiennent à la «secte» maçonnique ou à des associations qui «machinent» contre l’Eglise.

Détente

Il faudra attendre le concile Vatican II (1962-1965) et l’effort de pionniers, comme en France le jésuite Michel Riquet, pour que l’Eglise catholique convertisse son regard sur la franc-maçonnerie. C’en est fini des encycliques assassines. La polémique fait place à la volonté de dialogue. La franc-maçonnerie n’est plus citée dans le nouveau code de droit canon de 1983. L’appartenance aux loges n’entraîne plus l’excommunication ipso facto. Le canon 1374 écrit seulement que «celui qui donne son adhésion à une association qui agit contre l’Eglise est puni d’une juste peine». Mais, preuve que toutes les préventions ne sont pas levées, le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, alors préfet de la congrégation pour la doctrine, écrit, la même année 1983, que la position de l’Eglise reste inchangée. L’inscription à une loge demeure interdite à un catholique. Celui qui contrevient à cette règle est dans un état de «péché grave» et ne peut avoir accès aux sacrements.
On en est là aujourd’hui. La pratique du secret et le «relativisme» maçonnique —qui exclut toute Vérité absolue et dogmatique— continuent d’opposer deux systèmes de pensée et d’explication de l’univers. Des valeurs fondamentales séparent catholiques et maçons sur l’avortement, l’euthanasie, le mariage homosexuel, l’homoparentalité. Mais, jusqu’à cette sanction frappant le curé de Megève, la tolérance semblait l’emporter: les funérailles religieuses de maçons ne sont plus interdites; des «tenues blanches fermées» ont lieu en présence de prêtres et d’évêques; enfin des catholiques vivent sereinement la double appartenance, pour témoigner qu’au delà de l’incompatibilité entre le message évangélique et le discours franc-maçon, des hommes de bonne volonté peuvent se réunir autour de valeurs de progrès, d’humanisme et de liberté.
Henri Tincq

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