dimanche 28 juillet 2013

Les lanceurs d'alerte, un concept fourre-tout ?

Delphine Batho, lors d'une conférence de presse à l'Assemblée nationale, après son éviction du gouvernement.

Venu des Etats-Unis, le concept de whistleblower – "lanceur d'alerte" en français – fait des émules en France. Depuis les révélations de WikiLeaks et les divulgations sur l'espionnage de la National Security Agency (NSA), respectivement rendues possibles par Bradley Manning et Edward Snowden, les "cas" de lanceurs d'alertes se multiplient en France.

Traîtres pour les uns, héros pour les autres, les lanceurs d'alertes ont pour point commun de justifier leurs actes par les mêmes arguments. Civisme, action citoyenne, éthique : voilà pour les ressemblances. Car leur statut, très peu défini et encadré par la loi française, recouvre un concept fourre-tout et des situations multiples. L'actualité récente en donne quelques exemples.
Depuis le 5 juillet, l'ex-cadre bancaire Pierre Condamin-Gerbier est placé en détention préventive en Suisse. L'ancien associé-gérant de Reyl Private Office, société de gestion de patrimoine suisseJérôme Cahuzac avait ouvert son compte, a été entendu comme témoin par une commission d'enquête parlementaire française dédiée à l'affaire Cahuzac.
En marge de cette affaire, les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire instruisent une information judiciaire pour "blanchiment de fraude fiscale" à l'encontre de la banque Reyl & Cie. Instruction dans laquelle cet ancien employé est également mis en cause. Lors de son audition, Pierre Condamin-Gerbier a affirmé qu'il était en possession d'une liste de quinze personnalités politiques détentrices d'un compte en Suisse. Des documents qu'il souhaite rendre publics, et qui incrimineraient plusieurs ministres actuels ou anciens.
Côté Suisse, la banque Reyl & Cie n'a pas vraiment apprécié les fracassantes déclarations de son ancien associé. Le 17 juin, l'établissement a donc porté plainte contre Pierre Condamin-Gerbier. Motif : "vol, falsification de document et violation du secret professionnel et commercial", selon le communiqué de presse de la banque.
Hervé Falciani à Madrid devant un tribunal espagnol, chargé d'examiner la demande d'extradition suisse, le 15 avril 2013.
Même histoire ou presque pour Hervé Falciani, ancien informaticien de la succursale suisse de la HSBC, promu "lanceur d'alerte" pour avoir dérobé les données bancaires de milliers d'évadés fiscaux présumés. En 2008, il s'était emparé des fichiers contenant les noms de quelque 130 000 clients. Transmis à la justice française un an plus tard, ces fichiers avaient permis d'identifier 8 993 évadés fiscaux français et de rapatrier 1,2 milliard d'euros.
Depuis ces révélations, Hervé Falciani vit un enfer. Traqué par les autorités suisses (il risque jusqu'à sept ans et demi de prison), il fuit de pays en pays. Jusqu'à atterrir en Espagne, où il bénéficie du statut de témoin protégé. La Suisse l'accuse d'espionnage économique, de soustraction d'information et de violation de secret commercial et bancaire. Mais la justice helvétique se heurte au refus de Madrid d'extrader le Franco-Italien. Depuis ses révélations, Hervé Falciani serait menacé de mort et placé sous la protection de la police.
  • Scandales sanitaires : Irène Frachon (Mediator)
En mars 2009, Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, signale à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) onze cas de valvulopathies sous Mediator. Après une étude de la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) sur un million de diabétiques, le lien est confirmé. Si le Mediator est retiré des ventes le 30 novembre 2009, l'Afassaps reconnaît que le médicament est à l'origine d'au moins 500 décès.
Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest et auteure du livre "Mediator 150 mg. Combien de morts ?".
A la suite de ses révélations, Irène Frachon déclarait, en mai 2013, qu'elle se sentait isolée au sein de la communauté médicale. Sur son statut de lanceuse d'alerte dans le milieu de la santé, elle déclarait : "Ce que je fais depuis quelques années, ça ne se fait pas." Pour éviter ce sentiment de solitude et la discrimination professionnelle, une loi a été adoptée en avril pour protéger les lanceurs d'alerte "sanitaire". Les scientifiques ne pourront plus être sanctionnés ou isolés "pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi", à leur employeur ou aux autorités, "des faits relatifs à un danger pour la santé publique ou l'environnement".
  • Critiques politiques : Delphine Batho ("mauvais budget" de l'écologie)
Pour se définir lanceur d'alerte, il n'est plus nécessaire de divulguer des documents ou des données confidentielles. Certaines personnalités justifient ce statut par des accusations auxquelles peu de preuves sont apportées, prenant quelques libertés avec ce concept. En témoigne l'exemple récent de Delphine Batho, autoproclamée "lanceuse d'alerte".

Le 2 juillet, après son éviction du gouvernement, l'ancienne ministre de l'écologie déclarait : "C'est sur l'écologie que se concentre l'affrontement avec le monde de la finance. Les forces opposées au changement sont puissantes. Le moment est venu de se mobiliser pour y faire face." Avant de lancer, après avoir dénoncé la faiblesse du budget de l'écologie et accusé le gouvernement de céder à "certaines forces économiques" : "J'assume ma responsabilité d'être une lanceuse d'alerte."
  • Risques écologiques  : Greenpeace (centrales nucléaires)
Le 16 juillet, vingt-neuf militants de Greenpeace se sont introduits sur le site de la centrale nucléaire du Tricastin, dans la Drôme. Peu après l'arrestation des activistes, le gouvernement faisait part de sa volonté de renforcer les sanctions pénales contre ce type de délit.
Barbara Pompili, coprésidente du groupe écologiste à l'Assemblée nationale, réfute toute qualification de "délinquance" dans l'"action citoyenne" de l'organisation écologiste au Tricastin. Au contraire, l'élue a salué mardi 16 juillet le "rôle de lanceur d'alerte" de Greenpeace, rappelant que les vingt-neuf militants n'étaient pas armés. Avant d'ajouter : "Mais vous imaginez par contre des gens qui viennent avec des explosifs sur eux et qui rentrent comme Greenpeace a pu le faire, là ce serait dangereux."

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