Le traitement contre l’alcoolisme existe

L’alcoolisme est une vraie maladie et non un vice.
Aujourd’hui elle se soigne avec succès, grâce à un traitement : le baclofène (parfois administré à hautes doses pour cela.)
Les malades doivent le savoir et, comme les sidéens dans les années 80, doivent exiger que leur maladie encore considérée comme « honteuse » dans l’esprit populaire, soit prise en charge avec la même humanité et le même souci d’efficacité auxquels ont droit tous les autres malades atteints de maladies graves et mortelles.

Notre association AUBES (Association des Utilisateurs du BaclofènE et Sympathisants) est leur porte-parole depuis janvier 2010.

A l’heure où nous écrivons, d’énormes moyens sont déployés pour lutter contre les désastres de l’alcool au volant. Nous rêvons que les mêmes moyens soient engagés dans la lutte directe contre l’alcoolisme. Le traitement de l’alcoolo-dépendance par le baclofène à haute dose trouve enfin l’écho médiatique qu’il mérite, grâce aux essais réclamés depuis bientôt 7 ans. Ces essais devraient débuter en 2012 (1) : nous voudrions rappeler à tous de quoi il s’agit et l’urgence à propager l’information.

Olivier Ameisen et le baclofène

En 2000, Olivier Ameisen, cardiologue émérite et alcoolique lui-même, découvre qu’un vieux médicament prescrit depuis une quarantaine d’année, le baclofène, un myorelaxant destiné à traiter les contractures dans la sclérose en plaque notamment, a des propriétés exceptionnelles pour supprimer les addictions lorsqu’il est administré à haute dose. Il a été testé avec succès en ce sens sur des rats de laboratoire.

Il recherche et synthétise toutes les études déjà réalisées autour de ce traitement et décide de se l’auto-administrer. C’est une ultime tentative pour se sortir de son alcoolisme. Il a tenté toutes les thérapies existantes et rechuté à chaque fois. En quelques mois, il obtient sur lui-même ce qui était démontré avec les rats : il est devenu indifférent à l’alcool. Il n’en a plus ni besoin, ni envie. Il publie des articles dans de grandes revues scientifiques (2) pensant que le monde de l’addictologie va le soutenir. Il réclame immédiatement des essais sur les humains pour étayer sa découverte. Peine perdue, ce vieux médicament, tombé dans le domaine public n’intéresse pas les laboratoires et rend même parfois suspicieux le monde de l’addictologie. Certains craignant, à tort, d’avoir là un concurrent trop performant, mettant en péril leur raison d’exister.

Devant cet immobilisme, Olivier Ameisen décide d’écrire un livre « Le dernier verre » publié en 2008 (ed Denoël) pour informer le grand public de l’efficacité révolutionnaire de sa découverte .

Dès sa parution, le livre se vend à 40 000 exemplaires, suscite un espoir fabuleux pour un grand nombre de malades. Certains se regroupent immédiatement sur internet, créent leurs forums d’entraide. Ils diffusent ainsi l’information pour permettre à chacun d’obtenir une prescription.
Nous rappelons qu’aux USA, en Suisse, en Hollande et en Allemagne, Olivier Ameisen est régulièrement invité à donner des cours et des conférences en faculté, pour y exposer sa découverte et son protocole.
En France, il a fallu que deux colloques soient organisés par une toute jeune association (la nôtre) pour qu’il puisse prendre la parole en public et exposer sa découverte. Pas une seule université française, pas un seul chef de service et pas un seul organisme lié à l’addiction et l’alcoolisme n’a daigné consulter le découvreur de cette thérapie…

L’Association AUBES

Une association de malades et de médecin, AUBES, voit le jour en janvier 2010 et s’implique fortement pour faire reconnaître le traitement.

Il s’agit de convaincre les médecins de tenter l’aventure. Cela s’avère très difficile, un vrai parcours du combattant (3) : le baclofène à haute dose pour cette pathologie ne peut être prescrit qu’ hors Autorisation de Mise sur le Marché, (AMM). Cela rend frileux bon nombre de praticiens quand ils ne sont pas juste sceptiques à priori : un médicament pour traiter l’alcoolisme, ça se saurait ! Encore un produit miracle qui ira aux oubliettes une fois l’engouement médiatique passé, soyons sérieux !

Mais la mobilisation acharnée de ces malades permet à des centaines d’autres d’obtenir le traitement et de témoigner du succès de la thérapie. De l’autre côté, quelques médecins engagés et convaincus, Olivier Ameisen en tête bien-entendu, publient des études sur des dizaines de patients traités au baclofène. (4). La presse en parle régulièrement mais les fameux essais qui permettraient enfin la reconnaissance officiel du traitement ne sont toujours pas mis en place.

C’est du mouvement conjoint de ces malades et de ces quelques médecins révoltés devant cet immobilisme intolérable, que notre association, AUBES (Association des Utilisateurs du BaclofènE et Sympathisants) est née en janvier 2010.
Créée à l’initiative de Bernard Joussaume, médecin généraliste, prescripteur de la première heure et de plusieurs malades, administrateurs et animateurs du plus important forum sur le sujet, elle est aujourd’hui forte de 300 adhérents. Elle rassemble patients et médecins, dont les prescripteurs les plus connus, auteurs des études sur l’efficacité de la molécule (cités en note 4). Le forum est visité 3000 fois par jours depuis sa création.

Nous rappelons que ces études établissent un taux de réussite d’en moyenne 80% : environ 50% des malades cessent toute consommation sans souffrance de manque, et environ 30% reviennent à une consommation modérée correspondant aux normes établies par l’OMS (5). Le taux d’échec de l’ordre de 20% pourrait être amélioré par la pratique et son observation.
Pour rappel, les autres traitements conventionnels pratiqués jusqu’ici, sur la base d’un sevrage total et du maintient d’une abstinence douloureuse et souvent intenable, ont un taux de rechute, à court et moyen terme, de l’ordre de 90%.

Nous insistons aussi sur le fait que :
• La non toxicité de ce médicament, déjà prescrit à hautes doses par des neurologues dans d’autres pathologies a déjà largement été démontrée depuis 40 ans.
• Contrairement aux benzodiazépines abondamment prescrits (et hors AMM!) pour les sevrages, le baclofène ne crée pas de dépendance.
• Les effets secondaires, si ils sont parfois gênants, sont tous bénins et disparaissent rapidement.

La mobilisation générale

AUBES appelle aujourd’hui malades et médecins à la mobilisation générale pour étendre la prescription à tous les alcoolo-dépendants qui souhaitent en bénéficier.

Nous incitons donc les malades à demander ce traitement à leur médecin.
L’alcoolisme est une maladie mortelle qui cause 120 décès directs et indirects par jour en France.
Les alcooliques ne sont pas coupables d’en être atteints, ils ont le droit de bénéficier dès aujourd’hui du seul traitement efficace pour lutter contre leur maladie et ses conséquences sociales, professionnelles, familiales dramatiques.

Nous demandons aux médecins de rejoindre leurs confrères prescripteurs (dont le nombre serait de plusieurs milliers, selon l’Afssaps, en regard du nombre exponentiel de boîtes vendues depuis 2008, date de la parution du « dernier verre ») et d’accorder ce traitement salvateur à leurs patients alcooliques, à titre compassionnel, sans attendre le résultat des essais, ni l’AMM.

Pour cela nous encourageons malades et médecins à rejoindre notre association pour soutenir son action, pour obtenir des informations, des conseils et des orientations en s’inscrivant sur notre forum internet : http://www.baclofene.fr

Ce forum consacré, au départ, aux malades, a ouvert début septembre, un espace de discussions et d’informations, réservés aux membres du corps médical.

Aubes va prochainement devenir un réseau national avec un collège de médecins qui parcourront la France afin de former leurs confrères à la prescription, enfin nous sommes d’ores et déjà partenaires officiels des essai menés par Philippe Jaury.

Rejoignez-nous : notre nombre fera notre force pour la reconnaissance officielle de ce traitement qui peut sauver des milliers de vie chaque année. Nous avons crée dans ce but un dossier d’information disponible à la demande, des médecins de AUBES répondent sur les forums aux questions de leurs confrères et des malades.

Docteur Bernard Joussaume, président de AUBES

NOTES :

1) Traitement de l’alcoolisme : essai thérapeutique randomisé en double insu pendant un an en milieu ambulatoire du baclofène à haute dose versus placebo » – déposé par la Faculté de Médecine René Descartes – Responsable du projet P. Jaury- Projet validé par les Programmes Hospitaliers de Recherches Cliniques.
2) Depuis 2004, il a publié de très nombreux articles et études dans les revues Alcohol and Alcoholisme, Jama, Lancet, Annales Médico- psychologiques etc.
3) En 2008, seule une petite dizaine de prescripteurs étaient connus sur toute la France, les malades parcouraient parfois des centaines de kms pour avoir une ordonnance, achetaient la molécule en Espagne où elle est en vente libre où se fournissaient sur internet. Aujourd’hui, si un certain nombre de médecins acceptent de le prescrire, ils sont en général informés de son existence par leurs patients…
4) Ameisen O, de Beaurepaire R. Suppression de la dépendance à l’alcool par le baclofène à haute dose: un essai en ouvert. Annales médico-psychologiques 2010;168:159-161. Alcool et baclofène : Etude de 132 personnes suivies pendant un an en ambulatoire (sur Paris,étude menée par Philippe Jaury) – Dr Constance Alexandre Dubroeucq
5) 2 verres par jour pour les femmes, trois pour les hommes
6) Des cas de personnes tentant de se suicider en prenant des doses de l’ordre de 2500 mg, soit 250 comprimés de 10 mg, ont connu un coma passager, sans aucunes séquelles.

Alcoolisme: pourquoi un «médicament miracle» est-il interdit d’utilisation en France? le point de vue du Pr. Olivier Ameisen

Dans un entretien à Slate.fr, le médecin qui a démontré l’efficacité du baclofène contre la dépendance à l’alcool accuse désormais spécialistes et pouvoirs publics français de bloquer son utilisation. (A noter qu'il n'est pas "interdit" en France, seulement "non autorisé" aux risques et périls des ... prescripteurs!)



Alcoolisme: pourquoi un «médicament miracle» est-il interdit d’utilisation en France? le point de vue du Pr. Olivier Ameisen

L’affaire du baclofène? C’est l’histoire, récente, d’un vieux médicament et d’un médecin souffrant d’alcoolisme. Une histoire peu banale, aujourd’hui au centre d’une vive controverse. Elle commence par la découverte par un praticien franco-américain spécialiste de cardiologie –le Pr Olivier Ameisen– de ce médicament devenu générique et prescrit depuis près de quarante ans comme «relaxant musculaire» chez des personnes souffrant de spasmes musculaires bénins d’origine neurologique. Un essai clinique, dirigé par le professeur Philippe Jaury, devrait commencer en septembre à la faculté de médecine René-Descartes de Paris.

Quelques observations faites outre-Atlantique avaient laissé penser que cette substance pouvait aussi être utile dans le sevrage alcoolique. Il y a sept ans, le Pr Ameisen, qui souffrait alors d’une très forte dépendance à l’alcool, décide de se lancer dans une auto-expérimentation à hautes doses (entre 100 et 300 mg par jour).
Dès 2004, l’une des plus importantes revues médicales spécialisée publie son expérience. Dans la communauté scientifique spécialisée française, il ne rencontre que peu d’échos, à l’inverse des universités anglo-saxonnes. Il propose d’emblée des essais cliniques pour tester son nouveau modèle thérapeutique. En vain.
Le médecin choisit dès lors de s’adresser au plus grand nombre en publiant –c’était en octobre 2008— "Le Dernier Verre". Il raconte là ses origines, son parcours dérivant vers l’alcool, l’impasse mortelle dans laquelle il était; puis son retour à la vie, libéré de son addiction.
Cet ouvrage rencontre très vite une large audience chez les personnes alcooliques. Mais les professionnels français de la prise en charge de cette dépendance ne goûte guère l’enthousiasme trop communicatif de leur confrère, sa notoriété médiatique et cette histoire trop miraculeuse pour être honnête.
Peu après la parution de l’ouvrage les responsables de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Afsaaps) préconisent de lancer sans délai une étude clinique pour apprécier l'éventuelle utilité du baclofène.
L'Afsaaps précisait dans le même temps «ne pouvoir approuver les prescriptions qui seraient faites, tant que les indications formulées par l'autorisation de mise sur le marché ne comportent pas celle de l'alcoolo-dépendance».

En février 2010, Olivier Ameisen et Renaud de Beaurepaire, chef de service en psychiatrie à l'hôpital Paul-Guiraud de Villejuif (Val-de-Marne) publient des résultats a priori très prometteurs dans les Annales Médico-Psychologiques :
«Nous avons pris le parti de prescrire des doses progressivement croissantes de baclofène, dans une démarche compassionnelle, à des patients qui avaient une longue histoire d’alcoolisme résistant au traitement et qui faisaient la démarche de venir personnellement nous demander ce traitement.

Les prescriptions ont commencé en novembre 2008, suite à la publication en France du livre de l’un d’entre nous, livre qui rapportait l’expérience de l’automédication par le baclofène. A la suite de la publication de ce livre, de nombreux patients souffrant d’alcoolisme ont appelé (…). Le souhait des patients était pour certains de pouvoir complètement interrompre leur consommation et pour d’autres de pouvoir regagner le contrôle de leur consommation.»
Cette démarche s’inscrivait ainsi dans celle – qui demeure contestée dans les milieux de l’alcoologie – ne faisant plus de l’abstinence totale et définitive l’objectif absolu du traitement des malades alcooliques.
Conclusions de ces deux médecins obtenues auprès de 60 patients après trois mois d’un traitement par baclofène prescrit à doses progressivement croissantes jusqu’à ce que les patients éprouvent une diminution ou une suppression de leur appétence pour l’alcool:
«88 % des patients ont totalement arrêté ou significativement diminué leur prise d’alcool et que la plupart d’entre eux sont devenus indifférents à l’alcool sans effort. Les doses de baclofène nécessaires ont été très variables d’un patient à l’autre, allant de 15 mg à 300 mg/jour, avec une moyenne de 145 mg. Environ deux tiers des patients ont eu besoin d’une dose supérieure à celle autorisée de 80 mg/j.»

Selon son promoteur, le baclofène agit sur un récepteur du système nerveux — dit GABA(B)— en réduisant la libération de la dopamine ce qui permet la suppression complète de la dépendance en agissant sur les mécanismes de la récompense. Et ce médicament a été un produit miracle pour lui :
«En ce qui me concerne, voilà sept ans et demi que je ne remplis plus un seul des critères diagnostiques officiel de la maladie alcoolique. Je ne prends pas le baclofène pour ne pas rechuter. La rechute sous baclofène est d'ailleurs impossible chez tout patient correctement traité puisqu'il suffit de réaugmenter la dose pour supprimer l'envie. Je prends du baclofène à faible dose, comme l'a écrit récemment Martin Enserink dans la revue américaine Science, simplement pour supprimer mon anxiété. D’autres patients "disease-free" depuis 5 ou 6 ans prennent le baclofène comme anxiolytique et ou antidépresseur. Leur alcoolisme n'est plus qu'un lointain souvenir.»

Toujours en 2010, un essai clinique de 18 mois soutenu par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) est être lancé, impliquant 210 patients alcoolo-dépendants la moitié prenant du baclofène (à des doses inférieures à celles préconisées par le Pr Ameisen), l’autre moitié un placebo.

Et aujourd’hui? Alors que le recours à ce médicament ne cesse de s’élargir, aucune conclusion pratique véritable ne semble pouvoir être tirée comme en témoigne une récente synthèse publiée dans la Revue médicale suisse par Pascal Gache (Genève) :
«A ce jour, aucune étude d’ampleur suffisante ne permet de conclure mais des structures s’organisent pour prescrire le traitement en cas d’échecs répétés des thérapies traditionnelles. Dès la sortie du livre, des centaines d’alcooliques se sont précipités qui chez leur généraliste, qui chez leur alcoologue ou chez leur psychiatre en quête de la prescription dudit médicament. La plupart se sont vus notifier un refus tantôt poli, tantôt désobligeant. Seuls quelques prescripteurs acceptèrent de délivrer la poudre magique, non sans conséquences pour certains.
Alors le baclofène à hautes doses info ou intox?»
Selon le Dr Gache, on peut affirmer que le baclofène a des potentialités certaines dans le traitement de l’alcoolisme, les doses habituelles (30 mg/j) donnant des résultats assez similaires aux autres médicaments classiques dans cette indication. Une seule étude rapporte des résultats avec le baclofène à hautes doses. Elle est encourageante mais ne permet pas de conclure ni sur l’efficacité ni sur le nombre et l’intensité exacts des effets indésirables à de telles doses.
Le médecin suisse observe aussi que la controverse autour de cette molécule s’est ici essentiellement développée en France. Il note que la découverte du Pr Ameisen a conduit des spécialistes de l’alcoolodépendance à encourager publiquement, dans de nombreux pays, la prescription de baclofène à hautes doses et ce en dépit de l’absence d’un seul essai clinique. En juin dernier, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) faisait une mise au point sur le baclofène en «mettant en garde» les médecins contre sa prescription chez des malades alcoolo-dépendants.

Pour le Pr Ameisen, l’affaire n’a décidemment que trop duré. Selon lui, les données dont on dispose aujourd’hui quant à l’efficacité du médicament et à l’usage qui en est fait en pratique ne laissent plus place au doute: l’heure des essais cliniques est désormais dépassée.
Et au vu des étroites limites d’efficacité des rares traitements médicamenteux autorisés il estime que le moment est venu d’officialiser ce traitement faussement décrit comme «interdit» puisque tout médecin généraliste dispose de l’entière liberté de le prescrire.
Pour ce faire, il avance différents arguments, à commencer par le nombre croissant de personnes qui, en France et aux Etats-Unis, prennent quotidiennement du baclofène. L’Afssaps estime selon lui qu’à la suite de la parution de son ouvrage les prescriptions à haute dose (qui concernaient 20.000 malades en 2009) ont augmenté du fait non pas des spécialistes d’alcoologie mais, pour l’essentiel des médecins généralistes.
«L'Afssaps essaye de minimiser les chiffres car elle est officiellement "anti-baclofène” pour les addictions, explique le Pr Ameisen dans un entretien accordé à Slate.fr. Son attitude est proprement scandaleuse. En dépit du poids du fléau de l’alcoolisme en France (120 morts prématurées chaque jour), elle est la seule agence du médicament au monde à avoir émis une réserve intimidante aux médecins en mettant l'accent sur leur "responsabilité pénale"».
Cette responsabilité pénale existe pour la prescription hors Autorisation de mise sur le marché (AMM) de tout médicament. Or en France, 20% des prescriptions des généralistes sont hors AMM. En psychiatrie, le chiffre dépasse 60%. «Pour le traitement de l'alcoolisme, assure Ameisen, pratiquement 100% des patients sont traités non seulement hors AMM mais par des médicaments contre-indiqués. Tous reçoivent des benzodiazépines au long cours et ce durant des mois ou des années consécutives alors même que ce traitement est contre-indiqué pour tout le monde au-delà de quelques semaines et a fortiori chez les malades alcooliques».
Parce que les benzodiazépines entraînent une polydépendance et de surcroît, potentialisent les effets de l'alcool. «Ce qui rend encore plus dangereuse la conduite automobile, augmente le risque de violences conjugales ou des autres conséquences désastreuses de l’intoxication alcoolique aigue», ajoute le médecin.
Ameisen ajoute que l'Afssaps n'a probablement aucun moyen précis de chiffrer le nombre réel d'ordonnances puisque les médecins y écrivent «NR» (non-remboursable) et qu’il est donc difficile de tracer le nombre réel d'ordonnances dans la mesure où le baclofène existe sous deux noms: «Lioresal» (de la multinationale Novartis) et «Baclofène Winthrop» (de Sanofi-Aventis).
Selon lui, il est probable qu'il y avait déjà en 2009 plusieurs dizaines de milliers de malades traités et que ce chiffre doit aujourd'hui être en France nettement plus élevé sans que personne ne soit capable de fournir de chiffres exacts. Il dispose d’autre part de témoignages personnels permettant de penser qu’à l’étranger (outre-Atlantique et en Europe) plusieurs milliers de personnes sont, au minimum, traitées de la sorte.
Niant tout conflit d’intérêt («Je n'ai jamais rien touché d'un laboratoire pharmaceutique de ma vie; je n'ai jamais été consultant pour un laboratoire. Les laboratoires n’ont aucune espèce d’intérêt à promouvoir le baclofène puisque celui-ci est génériqué et donc non-lucratif pour eux»), il assure ne rien percevoir pour un travail qui absorbe tout son temps et à, pour l’heure, renoncé à une fructueuse activité de cardiologue à New York. Il cessera son action «lorsque l'alcoolisme sera, comme l'hypertension ou les ulcères digestifs, devenu un problème de médecine générale».
Quant aux raisons de l’immobilisme observé, en France notamment, il avance quelques raisons qui alimenteront sans doute la controverse :
«Les alcoologues et addictologues se gardent bien de réaliser des essais clinique. Il est de plus en plus évident, aux yeux de plusieurs sommités internationales de la neurologie, de la physiologie de l’addiction entre autres, que les essais apporteraient la preuve que le baclofène supprime l'addiction. Si le baclofène supprime la maladie les conséquences pour les alcoologues et addictologues signeraient la fin de leur "spécialité’’. Les conséquences pour eux en seraient de fermeture de lits et de services entiers. Ce serait aussi la fin pour les chefs de services des essais cliniques lucratifs de molécules nouvelles pour l'alcoolisme. Le baclofène tue leur poule aux œufs d'or.»
Enfin, dernier argument: les essais cliniques sont d’ores et déjà dépassés pour des raisons éthiques. «Si vous avez un proche atteint d’addiction à l’alcool ou à d’autres substances, connaissant le risque de mort aigu en l’absence de traitement, lui recommanderiez-vous d’attendre au plus tôt 2013 les résultats d’un essai en Hollande à dose insuffisante (150mg/j) ou en France qui ne débutera au mieux qu’à la fin 2011 et donc avec publication des résultats au mieux en 2013/14? Sachant que tout médecin généraliste en France peut prescrire du baclofène, le réflexe de survie est de courir chez son généraliste et s’il refuse, de se rendre chez le suivant.»
Pour l’heure part, et après bien des atermoiements, des spécialistes français ont annoncé jeudi 28 juillet le lancement (en décembre 2011 ou janvier 20012) d’un essai coordonné par le Dr Philippe Jaury, médecin libéral et professeur de médecine générale à Paris-Descartes.
Officiellement cet essai n’avait jamais pu être mené pour des raisons de financement, aucune firme pharmaceutique n’acceptant de soutenir une expérimentation pour un médicament tombé dans le domaine public. Il semble en définitive qu’il sera financé sur des fonds publics même si le budget ne sera bouclé qu’en septembre.
«Ce sera une étude pragmatique, dans la vraie vie», a précisé le Dr Jaury: trois cents personnes (non hospitalisées) réparties dans huit centres français. Le responsable postule déjà que l’effet baclofène sera de 40 à 50% et celui placebo de 20%. L'étude doit durer un an et ses résultats ne sont pas sont attendus avant courant 2013. Point essentiel: le critère de succès ne sera pas —forcément— l’abstinence mais une consommation d’alcool redevenue dans les normes définies par l’OMS. D’ici là combien de praticiens auront, contre l’avis de l’Afssaps et des spécialistes d’alcoologie, prescrit du baclofène?

L'auteur de l'article : Jean-Yves Nau.
Journaliste et docteur en médecine, i[Jean-Yves Nau a été en charge des questions de médecine, de biologie et de bioéthique au Monde pendant 30 ans. Il est notamment le co-auteur de «Bioéthique, Avis de tempête».