jeudi 12 juillet 2012

Les Russes, la Syrie et l’avion turc

Jana Jabbour4 juillet 2012


Le 21 juin dernier, un avion d’entraînement syrien du type MIG-21 atterrissait sur un aérodrome jordanien. Le lendemain, un avion de l’Armée de l’air turque survolant les côtes syriennes était abattu. En apparence ces deux événements, survenus à 24h d’intervalle, ne semblent pas liés. Dans les faits ils le sont et mettent en évidence l’ampleur de l’engagement russe en Syrie.
Les vieux MIG-21 sont exclusivement destinés à l'entrainement des pilotes et de ce fait démilitarisés. Mais ils offrent un avantage stratégique indéniable : ils embarquent un transpondeur et des mécanismes de décryptage et d’identification très développés pouvant servir à leurrer les radars et à atteindre des objectifs sans déclencher de riposte. Aussi, une fois les codes d’identification d’un MIG-21 décryptés, il devient facile de leurrer les défenses aériennes syriennes.
L’avion turc qui survolait la côte de Lattaquié le 22 juin a réussi à s’identifier comme syrien. Cela suggère que la Turquie avait utilisé le MIG-21 détourné pour décrypter les codes d’identification des avions syriens, probablement dans le but d’informer l’OTAN des capacités de défense syriennes et de tromper les radars dans le cas d’une éventuelle intervention militaire contre le régime Al-Assad.
Si la Syrie a réussi à reconnaître l’avion turc en dépit de son identification comme syrien, c’est grâce à une opération d’intelligence réussie russo-syrienne. Selon des sources arabes, les services de renseignement russes ont informé leurs homologues syriens d’un plan concocté en Turquie et visant à détourner des MIG-21 afin de décrypter leurs codes, de leurrer le système de défense syrien et de permettre une attaque éventuelle sans générer de riposte. Dans le même temps, les autorités syriennes se sont aperçu qu’un de leurs pilotes, Hassan Hamadé, rencontrait fréquemment des Jordaniens et se préparait à s’enfuir. En épluchant son planning, les autorités se sont rendu compte qu’un vol était prévu pour lui sur un MIG-21 le 21 juin. Elles ont donc laissé partir l’avion, quitte par la suite à l’accuser de défection et de trahison. Mais tout ceci ne semble n’avoir été que mise en scène car dans le même temps, le ministère de la Défense avait ordonné qu’aucun vol ne soit programmé pour les journées suivantes et que l’on abatte tout avion qui survolerait l’espace syrien… quand bien même s’identifierait-il comme syrien. Les renseignements provenant de la Russie étaient en effet clairs : un avion militaire turc disposant d’un code d’identification d’un MIG-21 syrien allait entrer dans l’espace aérien, et risquait de déclencher des bombardements aériens sur la Syrie.
Dans ce contexte, trois leçons sont à tirer de l’affaire de l’avion turc abattu. La première est que les responsables de l’OTAN vont désormais devoir réfléchir avant de planifier une attaque ou une intervention militaire en Syrie. Car cela signifie que les Russes sont très clairement engagés dans la défense du régime syrien. La deuxième est que, par cet incident, la Syrie a cherché à envoyer un message fort à la fois à la communauté internationale et à l’opinion publique intérieure. Au moment où le plan Annan se révèle un échec et que les discussions sur une éventuelle intervention militaire de l’OTAN en Syrie se multiplient, Damas montre par sa décision d’abattre l’appareil qu’elle est non seulement déterminée mais aussi capable de réagir contre tous ceux qui seraient tentés par l’option militaire. Quant à l’opinion publique intérieure, le régime de Bachar Al-Assad lui adresse un message clair : le régime est encore fort.
La troisième leçon à tirer de cette affaire concerne la position et l’aura de la Turquie dans la région. Alors qu’au cours des dernières années, la Turquie a réussi à s’imposer comme le leader et le champion du Moyen-Orient et comme le parrain des révolutions arabes, la période post-printemps arabe montre que la capacité et la marge de manœuvre d’Ankara dans la région sont très limitées. Si les Etats-Unis avaient pratiqué un « outsourcing » et délégué la résolution de la crise syrienne à leur allié turc en espérant que ce dernier soit en mesure de détruire ou sinon d’affaiblir le régime Al-Assad, ils ont finalement découvert qu’Ankara n’a guère les moyens de ses ambitions. Un officiel du ministère des affaires étrangères turc a d’ailleurs récemment reconnu que l’administration Obama ne cache pas sa déception face à l’impuissance de la puissance turque. La Turquie est dans l’impasse. Le Lion de Damas continue à rugir, l’OTAN est incapable de réitérer l’expérience libyenne en Syrie, et Ankara voit que le printemps arabe a transformé son « zéro problème avec les voisins » en un « zéro voisin sans problèmes ».

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