Les révélations sur les pratiques de la NSA en matière de surveillance informatique peuvent légitimer le positionnement des acteurs français, qui misent sur le caractère souverain de leurs offres.
L'affaire
Prism n'en finit pas de provoquer des remous sur la scène
internationale, même si les tensions semblent s'apaiser entre Européens
et Américains. Néanmoins, les répercussions pourraient également être
importantes dans le monde de l'informatique, et plus particulièrement
sur le marché du « cloud computing ». Les révélations de l'ex-agent de
la CIA, Edward Snowden, à l'origine du scandale, ont mis au jour les
pratiques de la NSA, l'agence nationale de sécurité américaine, et les
requêtes formulées auprès de groupes comme Google, Facebook
ou Microsoft sur des données appartenant à leurs clients. La nouvelle a
évidemment jeté un froid dans le secteur et chez les utilisateurs de
ces technologies. « L'affaire Prism risque de renforcer les
craintes des entreprises européennes, voire asiatiques, à l'égard des
hébergeurs de données américains, accentuant ainsi le sentiment de
défiance qui relevait jusqu'à présent plus d'une perception générale que
de risques avérés », souligne Ahmed Baladi, avocat associé chez Allen & Overy, spécialiste des questions d'informatique.
Les
géants américains ont tenté de rassurer leurs clients, comme Amazon la
semaine dernière, lors d'un événement organisé à Paris à destination de
sa clientèle. « On ne constate pas de vent de panique parmi les clients »,
relativise le représentant d'un autre groupe américain. Mais, après
l'épisode du Patriot Act (cette loi qui contraint, sous certaines
conditions, les entreprises américaines à divulguer les données de leurs
clients au gouvernement américain), le malaise devient perceptible sur
le marché. Nombre d'entreprises s'inquiètent de savoir comment sont
gérées leurs données informatiques, qu'elles travaillent avec des
entreprises américaines ou pas. « J'ai reçu pas mal d'appels de clients inquiets. Ils veulent connaître précisément l'empreinte que laissent leurs données », commente Jules-Henri Gavetti, le PDG d'Ikoula, un hébergeur informatique français dont les infrastructures sont basées dans l'Hexagone.
« Loyauté et transparence »
« Cette affaire va renforcer la méfiance des industriels sur l'usage du "cloud computing" »,
témoigne Luc Renouil, directeur technique de Bertin Technologies, une
PME innovante, et membre du Comité Richelieu. En France, la sécurité et
la maîtrise des données figurent justement dans les principaux freins à
l'adoption du « cloud » dans les entreprises. « Le scandale Prism
peut favoriser la résistance au changement. Cela risque, à court terme,
de pénaliser l'ensemble de la profession », regrette Philippe
Tavernier, le président de Numergy, la société créée l'an dernier par
SFR et Bull, avec le soutien financier de l'Etat.
Les
opérateurs de « cloud » à la française, comme Numergy et son
concurrent Cloudwatt, fondé par Orange et Thales, espèrent néanmoins
tirer profit de la situation. Ils voient, là, un moyen de justifier leur
positionnement, basé sur le principe de souveraineté des données et
applications informatiques. « La sensibilité
des entreprises sur la localisation de leurs données et la crédibilité
de leurs fournisseurs va croissant. Mais notre discours ne va pas
changer. Nous restons positionnés sur la loyauté et la transparence
contractuelle », explique Patrick Starck, le PDG de Cloudwatt. Pour
Fabrice Barros, consultant au sein du cabinet Kurt Salmon, l'affaire
Prism « peut effectivement être bénéfique à Numergy et Cloudwatt, dont le business plan est ainsi renforcé ».
Peu de chances pour autant d'assister à un afflux massif de clients chez les deux opérateurs souverains. « L'activité accélère en ce moment, mais je ne suis pas sûr que ce soit directement lié à cette actualité », reconnaît Philippe Tavernier. Numergy aurait franchi le cap de son premier million d'euros de chiffre d'affaires au premier semestre. Quant à Cloudwatt, ses premières offres seront réellement commercialisées à partir de la rentrée.
Les acteurs privés du secteur comme OVH et Ikoula ont aussi une carte à jouer. « Avec
Prism, il va y avoir une prise de conscience dans les entreprises.
Elles vont découvrir qu'il existe d'autres solutions que celle d'Amazon
pour migrer dans le "cloud". C'est une bonne chose, considère Jules-Henri Gavetti d'Ikoula. Après, c'est aussi à nous de travailler et de faire découvrir nos offres pour pouvoir offrir le choix aux consommateurs. »
Romain Gueugneau
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.