dimanche 1 décembre 2013

Ce qui vous rend vraiment heureux au travail

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INTERVIEW Le salaire ou les horaires sont loin d'être les éléments les plus déterminants. Les explications de Mickaël Mangot, enseignant à l’ESSEC.

Mickaël Mangot, enseignant à l’ESSEC et consultant en économie comportementale et économie du bonheur. (C) SIPA
Mickaël Mangot, enseignant à l’ESSEC et consultant en économie comportementale et économie du bonheur. (C) SIPA
Une étude réalisée pour le site Monster et publiée ce lundi 18 novembre note que les Français interrogés se déclarent plus heureux au travail que leurs homologues allemands. La semaine dernière, un autre sondage, réalisé par le CSA pour Actineo, indiquait que les trois éléments les plus importants aux yeux des actifs du point de vue de leur situation professionnelle sont, dans l'ordre, l'intérêt du travail en question, la qualité de vie au bureau puis le niveau de rémunération.
Mais alors, qu'est ce qui nous rend heureux au travail et comment bien choisir son métier pour garder le sourire? Challenges.fr est allé poser la question à Mickaël Mangot, enseignant à l’ESSEC et consultant en économie comportementale et économie du bonheur.

Challenges : Qu'est-ce qui est le plus important pour être heureux dans son travail?
Mickaël Mangot : La recherche académique s’est intéressée à ce sujet depuis plusieurs décennies déjà et on connait maintenant assez bien les caractéristiques les plus propices à la satisfaction au travail. Peter Warr, de l’institut de psychologie du travail de l’université de Sheffield en Angleterre, en a fait la liste. Celle-ci comporte douze éléments. Il s’agit :
  1. du niveau de contrôle personnel sur son travail
  2. de l’opportunité d’utiliser ses compétences et d’en acquérir de nouvelles
  3. d’objectifs stables, cohérents et atteignables
  4. de la variété (dans les tâches, les relations sociales, les lieux de travail…)
  5. de la clarté (dans la fonction, les objectifs, les perspectives, l’évaluation du travail…)
  6. des contacts interpersonnels (la quantité, la qualité, la part du travail en équipe…)
  7. des contreparties financières
  8. de la sécurité physique
  9. de la valorisation sociale de la fonction (contribution à la société, prestige social à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation)
  10. du soutien hiérarchique (considération, bienveillance, reconnaissance et traitement équitable par les supérieurs…)
  11. des perspectives de carrière (sécurité de l’emploi, possibilités de promotion et de mutations…)
  12. du sentiment de justice (dans les traitements au sein de l’entreprise, dans les relations avec le reste de la société…)
L’influence des différentes dimensions dépend en outre des caractéristiques personnelles des travailleurs. Plus l’individu a une préférence marquée pour une certaine dimension, plus l’impact de cette dimension sur sa satisfaction au travail sera important. Pour bien choisir son emploi, il s’agit donc d’identifier ses propres besoins et d’essayer d’estimer si l’emploi visé saura les satisfaire.

Y a-t-il des personnalités qui sont plus heureuses que d'autres dans leur travail ?
Il y a d’abord une certaine stabilité dans les  évaluations que font les individus de leur emploi… même quand ils en changent. Cette stabilité indique que les caractéristiques personnelles influencent la satisfaction au travail. Les déterminants personnels de la satisfaction au travail sont à chercher du côté de la personnalité et de la représentation du travail.
Les travaux reliant la satisfaction au travail aux cinq traits centraux de la personnalité (les Big Five) ont observé une meilleure satisfaction chez les personnes appliquées et extraverties et une moindre satisfaction au travail chez les personnes instables émotionnellement. D’autres éléments de personnalité semblent également jouer un rôle important. Par exemple avoir un haut niveau d’estime de soi tend à augmenter la satisfaction vis-à-vis de son travail.

Tout dépend aussi de la manière dont on perçoit son job…
Oui. On peut diviser les travailleurs en trois groupes selon qu’ils voient leur travail comme "gagne-pain", comme "carrière" ou comme "vocation". Les premiers considèrent le travail comme un moyen d’obtenir de l’argent pour financer les autres activités de leur vie. Les seconds travaillent pour gravir les échelons et acquérir le statut et le pouvoir qui vont avec. Enfin, les troisièmes sont intéressés par le contenu intrinsèque de leur travail  et tendent à le considérer comme inséparable du reste de leur vie comme de leur identité.
De manière contre-intuitive, Amy Wrzesniewski, de l’université du Michigan, a montré que ces trois orientations se retrouvaient dans des proportions comparables (environ un tiers pour chacune) pour la plupart des postes, tous niveaux hiérarchiques confondus. Comme le travail a de multiples dimensions (les contreparties matérielles et non-matérielles, les caractéristiques de la fonction, l’environnement de travail, l’objet social et le prestige de l’entreprise, etc.), on peut presque toujours trouver les trois orientations pour un même emploi.
Les différences de représentation d’un même poste ont une influence sur la satisfaction au travail des individus. Ceux qui perçoivent leur travail comme relevant d’une vocation tendent à être davantage satisfaits de leur travail et… de leur vie.

On a tendance à se tromper dans ses choix de métier ou d'entreprise… Pourquoi ?
Les décisions en matière d’emploi sont loin d’être efficaces. Les décisions paraissent se fonder essentiellement sur des critères extrinsèques (prestige social, revenus, perspectives de carrière, sécurité de l’emploi) qui ne coïncident ni avec les résultats de la recherche sur la satisfaction au travail ni avec les préférences exprimées par les travailleurs eux-mêmes !
La satisfaction au travail est en réalité bien davantage influencée par les facteurs intrinsèques et sociaux que par ces facteurs extrinsèques.  Les études qui quantifient l’impact des différentes caractéristiques des emplois sur la satisfaction au travail assurent que le facteur le plus important est la qualité des relations sociales, suivie par le contenu du travail. Les perspectives de promotion, les revenus, la sécurité de l’emploi et le temps de travail viennent après. Lorsqu’on prend une décision aussi importante que de choisir un emploi, on le fait en s’appuyant sur des critères qui paraissent rationnels mais qui ne sont pas les vrais leviers de notre satisfaction.

La rémunération reste un élément important pour être heureux, non ?
Le niveau absolu de la rémunération, pas tant que ça. Il ne faut pas surestimer l’impact des revenus sur le bonheur, surtout chez les hauts salaires. L’impact de revenus plus élevés sur le bonheur est en fait important pour les bas salaires puis se tasse assez vite à mesure que les revenus supplémentaires ne sont plus utilisés pour répondre à des besoins fondamentaux qui n’étaient pas satisfaits jusque-là (l’autonomie, la sécurité, la mobilité…).
En revanche, avoir une rémunération que l’on considère comme juste est très important. Si tous les matins on part au travail avec l’idée que l’on est sous-payé, exploité ou moins bien considéré que son voisin de bureau, il y a de grandes chances que cela vienne alimenter des émotions négatives et diminuer son niveau général de bonheur...

Les gens heureux sont-ils plus performants professionnellement que les autres sur le long terme ?
Oui, et c’est vrai à court, moyen et long terme. Des études s’intéressant au niveau de bonheur des étudiants ont observé que leur niveau de bonheur était positivement associé à leur réussite professionnelle dans les trimestres qui suivirent (la probabilité d’avoir un job, leur premier salaire) mais également… vingt ans après! En fait, le bonheur est associé à une plus grande créativité, une plus grande productivité (on est moins souvent absent) et à de meilleures relations sociales avec ses collègues et ses chefs. Autant de caractéristiques qui aident une carrière. Avec un bémol: les gens les plus heureux (ceux qui donnent un 10/10 à leur vie) ne  sont pas ceux qui connaissent les meilleures réussites professionnelles. Quand on a le sentiment de tout avoir déjà, on manque sans doute d’un ressort pour vouloir (et obtenir) encore plus.

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