Les coûts du stress au travail par Joëlle Surply par Intelligence-RH
http://www.capital.fr/carriere-management/interviews/les-etats-de-stress-aigu-peuvent-enfin-etre-reconnus-en-accident-du-travail-602595
"Les états de stress aigu peuvent enfin être reconnus en accident du travail"
Jusqu'au 10 juin, la Qualité de vie au travail est à l'honneur dans les entreprises. A cette occasion, Marie Pezé, docteur en psychologie, responsable du réseau des consultations "Souffrance et travail" estime que les modes de management maltraitants perdurent.
Capital.fr : Après le best-seller "Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés" (éd. Pearson, 2008), vous publiez "Travailler à armes égales". Pourquoi ce deuxième ouvrage sur la souffrance au travail ?
Marie Pezé : Depuis 15 ans que je consulte, j'ai mis en place des outils pour déceler les symptômes évidents, mais échappent souvent aux salariés comme aux employeurs. Je me suis donc associée à un médecin de l'Inspection du travail et à une avocate en droit social pour apprendre à reconnaître les techniques de management pathogènes. Car bien souvent, c'est l'organisation même d'une entreprise qui est maltraitante.
Capital.fr : C'est-à-dire…
Marie Pezé : Les Français figurent au troisième rang mondial en termes de productivité. Du coup, nos dirigeants ont fini par se convaincre que leurs méthodes sont efficaces. Mais la course aux résultats et l'intensification du travail favorisent la mise en concurrence des salariés, l'isolement des plus vulnérables et la méfiance entre les équipes. Résultat : toute action collective devient quasiment impossible et la plainte individuelle inaudible. Dans toutes les affaires de suicide, les salariés avaient envoyé des mails, des courriers pour alerter collègues, managers ou DRH, avant de commettre l'irréparable.
Capital.fr : Comment expliquer une telle indifférence ?
Marie Pezé : La montée du chômage favorise des conduites de soumission. Toute une chaîne d'employés laisse faire, voire évince ceux qui contestent cette organisation pour protéger leur emploi. Résultat : celui qui est en difficulté se retrouve vite isolé, au lieu d'être soutenu.
Capital.fr : Quelles sont les solutions pour prévenir ces comportement ?
Marie Pezé : J'en appelle à un sursaut civique : il est temps que les salariés se ressaisissent pour imposer un management plus respectueux de leur travail. Laisser-faire est déjà une façon de cautionner les agissements de la hiérarchie. Il est possible d'alerter les délégués du personnel, le CHSCT pour sensibiliser la direction. Surtout, le salarié en souffrance ne doit pas hésiter à s'entourer d'un avocat pour rédiger un courrier correctement et se protéger, à consulter le médecin du travail, à prévenir l'Inspection du travail. Seulement, très peu de salariés savent à qui s'adresser.
Capital.fr : Le médecin du travail est souvent réputé inefficace…
Marie Pezé : C'est un tort. D'ailleurs, les consignes de la Sécurité sociale évoluent très vite sur la prise en compte du stress. Le 15 mars dernier, tous ses médecins conseils, dont je fais partie, ont reçu des consignes très claires pour reconnaître des traumatismes psychologiques au titre des accidents du travail. Désormais, les états de stress aigu peuvent être reconnus en accident du travail. Même si le cadre est encore très strict, c'est une vraie avancée.
Capital.fr : Pourquoi ?
Marie Pezé : Pour le salarié, ce statut est plus protecteur qu'un arrêt de travail classique : leur rémunération est alors prise en charge à 100% et il ne peut être licencié. Mais l'enjeu est surtout financier. Il s'agit d'imputer le coût des arrêts maladie dus au stress (ndlr, estimé à 2,5% du PIB) à la branche "accident du travail" de la Sécurité sociale, financée par les employeurs. S'ils doivent payer, les dirigeants d'entreprise seront plus enclins à faire de la prévention.
Capital.fr : Les 240 accords de prévention du stress signés dans les entreprises vont-ils déjà dans le bon sens ?
Marie Pezé : C'est de la poudre aux yeux. Le gouvernement ferait mieux d'investir dans des centres pluridisciplinaires avec des avocats, des ergonomes, des médecins du travail, capables de conseiller les salariés comme les entreprises. L'Etat prétend officiellement lutter contre la souffrance au travail, mais le budget de l'Agence nationale pour l'Amélioration des conditions de travail (Anact) a fondu cette année. Le projet de réforme de la médecine du travail prévoyait de remplacer les médecins par des infirmières embauchées par les employeurs. Tous ces actes n'encourageront certainement pas les employeurs à prévenir les risques psycho-sociaux.
Capital.fr : Vous-même, vous avez été licenciée de la consultation "souffrance et travail" que vous aviez créée à l'hôpital de Nanterre, officiellement pour des raisons budgétaires. Où en êtes-vous ?
Marie Pezé : Je suis moi-même victime de la violence au travail que je décris depuis tant d'années. Centre médico-psychologiques, hôpitaux publics… j'ai reçu à chaque fois une fin de non-recevoir. J'en suis à me demander si les établissements n'ont pas reçu une consigne officielle pour ne pas me recruter. En attendant, je donne des formations à la prévention dans les entreprises et je dirige toujours le certificat de psychopathologie du travail du Cnam, qui forme 40 cliniciens spécialisés par an. Mais pour continuer mes expertises judiciaires, il faut absolument que je sois rattachée à une institution publique d'ici la fin de l'année.
Propos recueillis par Sandrine Chauvin
Pour consulter la liste des consultations Souffrance et travail" : www.souffrance-et-travail.com
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