Robert Bowie Johnson
Le Code du Parthénon
Traduit de l'américain par Michel Cabar
Le jardin des Livres
Ce livre comprend « Athéna et le Jardin d'Eden »
©2008 Le Jardin des Livres® pour la traduction française.
Remerciements
Je remercie d'abord, pour leur immense contribution à ma connaissance de l'antiquité grecque, les érudits suivants : Bernard Ashmole, Sir John Beazley, Sir John Boardman, T. H. Carpenter, David Castriota, Peter Connolly, B. F. Cook, Gregory Crane (rédacteur en chef du projet Perseus) et ses collègues, Hazel Dodge, Richard G. Geldard, Robert Graves, Peter Green, Evelyn B. Harrison, Jane Ellen Harrison, Kristian K. Jeppesen et les nombreux érudits ayant participé au Parthenon Kongress en 1982, Carl Kerényi, Mary R. Lefkowitz, Jenifer Neils, J. Michael Padgett, Olga Palagia, Carlos Parada, John Pinsent, J. J. Pollit, Ellen D. Reeder et tous les érudits ayant contribué à son admirable livre Pandora : Women in Classical Greece, Noel Robertson, H. A. Shapiro, Erika Simon, Panayotis Tournikiotis, Edward Tripp, Nicholas Yalouris, Froma I. Zeitlin, et tant d'autres dont je ne peux citer le nom.
Merci à la Perseus Library et à ceux qui ont rédigé les descriptifs des peintures sur vases, notamment Deirdre Beyer-Honga, Nick Cahill, Suzanne Heim, Kathleen Krattenmaker, Anne Leinster, et Beth McIntosh.
Merci à John Rothamel, Frank Bonarrigo, Michael Thompson et Mark Wadsworth pour leurs précieuses indications, à Ric et Patsy Davis, John Gauthier, Ron Pramschufer, Ian T. Taylor et Jamie Zahn-Cohagen pour leurs encouragements, à Veronica Velines pour l'exactitude de son assistance juridique.
Merci au Dr Pierre Jerlström, éditorialiste de TJ : The In-Depth Journal of Creation, publication de Answers in Genesis. Le chapitre 2 de ce livre est paru dans le volume 17(3) de cette revue internationale sous une forme légèrement differente, sous le titre "Athena and Eve."
Pour leurs critiques circonstanciées du manuscrit, je remercie Stella Stershic, Frank Bonarrigo, Nancy Beth Johnson et Richard Elms.
Merci également à Lisa Marone, Peter Perhonis, Richard Burt, Don MacMurray, Peggy Griggs, Jay Joseph et Kelly Machande.
Enfin, je dois des remerciements particuliers, pour leurs écrits inspirés et éclairants, à Dean H. Hough et James R. Coram, co-éditeurs de Unsearchable Riches, publication de Concordant Publishing Concern.
Préface
[La civilisation grecque finit par se montrer presque accueillante] envers ces Romains conquérants, grâce à qui la Grèce agonisante allait transmettre à l'Europe ses sciences, sa philosophie, ses lettres et ses arts, base vivante de notre monde moderne.
Will Durant, The Life of Greece
Athènes était l'étoile de l'ancien monde et dominait quasiment tout le champ de l'activité humaine.
Peter Connolly, The Ancient City
Athènes est le foyer originel de la civilisation occidentale.
John M. Camp, The Athenian Agora
Des érudits ont écrit des livres profonds sur le bâtiment qui se dressait devant nous. Chaque détail, ou presque, a fait l'objet d'intenses batailles d'arguments ou d'opinions. Chacun de ses blocs de marbre a été mesuré avec une précision laborieuse, qui paraîtrait ridicule pour tout autre bâtiment que le Parthénon. C'est que « l'ancien monde a culminé en Grèce, la Grèce à Athènes, Athènes sur l'Acropole et l'Acropole dans le Parthénon ».
Eugene P. Andrews, The Parthenon (1896)
On a toujours l'impression, en approchant de l'Acropole d'Athènes, d'être en compagnie de l'humanité entière. C'est l'un de ces lieux universels où l'âme et l'esprit collectifs se rassemblent et s'unissent jusqu'à en être perceptibles, et d'où le coeur le plus insensible ressort transformé.
R. G. Geldard, The Traveler's Key to Ancient Greece
L'Acropole est le moment fort de la visite, et un circuit archéologique commence nécessairement par le Parthénon, ce temple qui symbolise l'architecture grecque et qui, dans sa structure et son ornementation, représente la quintessence de la civilisation grecque.
Furio Durando, Ancient Greece
Pour moi, quant à la gloire des combats guerriers, je ferai cette ville illustre parmi les mortels.
Eschyle, Les Euménides
Notre cité est l'instructeur de la Grèce... Les âges futurs nous admireront comme l'âge présent nous admire aujourd'hui.
Périclès
Plus on contemple les Grecs, qui ont une part si grande aux structures de notre vie, plus on s'interroge sur la façon dont tout cela commença.
Michael Grant, The Rise of the Greeks
Nous avons de plus en plus conscience que la Grèce classique est non seulement le fondement de la civilisation occidentale, mais une passerelle vers les temps préhistoriques.
Ellen D. Reeder, Pandora
Oui, et qui, de ma génération, ne se rappelle que la démocratie a tellement orné la cité [Athènes] de temples et d'édifices publics qu'aujourd'hui encore, les visiteurs étrangers pensent qu'elle mérite de gouverner, non seulement la Grèce mais le monde entier ?
Isocrate, L'Aréopagitique
Introduction
D'où vient la
mythologie grecque ?
Accompagné de mon ami Mike Thompson, j'ai récemment assisté à une conférence sur le Parthénon au musée de Baltimore. L'oratrice avait reçu pour ses travaux de prestigieuses et nombreuses récompenses exposé n'éveillait rien en nous. À entendre ses obscures interprétations de certaines sculptures, on aurait dit que ces Grecs qui ont créé la base vivante de notre culture, ces artistes et architectes qui ont produit le plus glorieux des monuments, venaient d'une autre planète. Le moment des questions arrivé, j'essayai d'en trouver une qui, tout en respectant l'érudition de la conférencière, puisse éclairer le sens véritable des sculptures du Parthénon et montrer leur actualité. Tandis que je me creusais vainement la cervelle, une collégienne, assise au milieu de ses camarades, se leva et lança : « d'où vient la mythologie grecque ? »
Embarras de la conférencière. Après un petit rire condescendant et un court silence, elle expliqua que la mythologie grecque était « dynamique », « en constante évolution » et « largement métaphorique ». Ne connaissant pas la réponse, elle évita la question, que personne ne lui avait probablement posée auparavant.
L'instruction n'apporte pas toujours la lumière à l'occasion mettre une chape opaque sur la vérité. L'art grec, heureusement, ne visait pas les classes instruites mais l'ensemble des Grecs pensants. Et cela nous permet d'espérer le comprendre aussi bien qu'eux.
L'art grec et la mythologie grecque sont indissociables. L'art grec dépeint la mythologie grecque, qui réciproquement explique l'art grec. Et il s'avère que la mythologie grecque n'est que l'histoire de l'humanité, racontée selon le point de vue religieux grec. Il en résulte que les vestiges de l'art grec nous offrent rien moins que des images d'archives de l'histoire de la race humaine. Et le plus extraordinaire, c'est que nous possédons la clé du décodage des anciennes images peintes et sculptées. Pénétrés de cette idée, nous allons nous attaquer à la question fondamentale et perspicace posée par cette jeune étudiante : d'où vient la mythologie grecque ?
~ 1 ~
Le code des
artistes grecs
SNIP
Quand on s'interroge sur notre civilisation, on se rend compte que la civilisation grecque en est le fondement essentiel. Au coeur de celle-ci, il y a le Parthénon. Cet imposant monument classique, construit à l'apogée du premier âge de notre culture, s'enorgueillissait de posséder la plus riche décoration sculpturale des temples grecs antiques. Voilà plus de 2000 ans, pourtant, que sa signification réelle se cache sous des mythes et explications, divertissants certes, mais éprouvants pour notre crédulité. On y voit l'infirme Héphaïstos ouvrir de sa hache la tête de Zeus et en faire jaillir Athéna (fronton Est), Athéna et Poséidon s'opposer pour le contrôle de l'Attique (fronton Ouest), les dieux se battre contre des Géants (métopes Est), les Grecs se battre contre des Amazones (métopes Ouest), les Lapithes lutter avec les Centaures (métopes Sud), les Grecs détruire Troie (métopes Nord), et Athéna, revêtue d'un manteau brodé, conduire un grand cortège (frise). Tout cela nous échappe n'est-ce pas aberrant ? C'est comme si le chêne disait au gland : « je ne sais pas qui tu es, je ne te reconnais pas ».
Formulons cela autrement. Dans The Greek Achievement (La réussite grecque), Charles Freeman écrit : « Les Grecs ont fourni les chromosomes de la civilisation occidentale ». Le Parthénon était le centre même de cette civilisation grecque classique sur laquelle s'est édifiée la nôtre. Nous devrions comprendre, intuitivement même, ce qu'il est. Pourtant, John Boardman, spécialiste éminent du monde grec ancien, a pu écrire : « de tous les monuments antiques ayant survécu, le Parthénon et ses sculptures sont les plus connus et les moins bien compris ». Qu'est devenue l'ancienne compréhension ?
Elle est toujours là. Elle est même étonnamment facile à reconquérir. Elle est sous nos yeux, dans ces sculptures survivantes du Parthénon et d'autres temples, dans ces milliers de vases peints dont les messages simples, qu'à tort nous appelons « mythes », nous parlent de l'histoire et de la religion grecques.
~ Qu'est-ce que le Code du Parthénon ?
Le Code du Parthénon est une méthode simple inventée par les anciens artistes grecs pour communiquer des idées religieuses et des informations historiques à leurs compatriotes. La peinture et la sculpture permettaient aux artistes de transmettre des idées bien plus simples et bien moins abstraites que l'écriture. On peut les comparer à d'autres supports visuels comme les vitraux du Moyen Âge, les bandes dessinées ou encore les scénarimages (« storyboards ») de la télévision.
J'appelle cela le Code du Parthénon parce que c'est sur le temple d'Athéna que ce mode d'expression a atteint sa forme la plus haute et à bien des égards la plus directe et la plus simple. Les sept thèmes sculpturaux (à l'extérieur) et la statue d'or et d'ivoire d'Athéna (à l'intérieur) offrent tout un réseau d'informations historico-religieuses sur les origines grecques, informations qu'on retrouve, semblablement traitées, sur des vases peints et d'autres sculptures de temples. Les artistes grecs se sont donné une peine infinie pour nous dire qui ils étaient et d'où ils venaient. Il est temps de les écouter.
Une énorme masse d'informations historico-religieuses a survécu au monde grec. Les artistes antiques apprenaient l'histoire dans les œuvres de leurs prédécesseurs et, distillant l'information reçue des générations précédentes et des anciens poètes, ils présentaient ce qu'ils savaient à l'aide des images les plus simples possible. Parfois même, nous le verrons, ils concouraient entre eux à qui trouverait la façon la plus claire ou la plus créative d'exprimer un fait historique ou une idée religieuse. Les artistes grecs me rappellent les bandes dessinées classiques des années 1940 et 1950 comme Ivanhoé ou La case de l'oncle Tom en couleurs allégé, pour de nombreux lycéens, le redoutable pensum du commentaire de livre.
Les artistes antiques peignaient sur les vases comme dessinent aujourd'hui les auteurs de bandes dessinées. Comme ces illustrateurs, forcément imprégnés du livre original, les artistes grecs ne s'attaquaient pas au thème classique des débuts de l'humanité sans une solide connaissance de l'histoire originale. Dans leurs sculptures et leurs peintures, il n'y a ni tromperie ni symbolisme abscons : les artistes nous y donnent simplement leur version de l'histoire originale – leur histoire – sous la forme visuellement la plus simple.
Entrons donc sans détour dans la véritable histoire religieuse des Grecs, cette chronique artistique et mythologique dont les sculptures du Parthénon donnent l'expression la plus aboutie. Il nous faut tout d'abord cerner l'identité d'Athéna, la déesse pour qui les Grecs ont construit leur temple le plus admirable. Comprendre qui elle est et ce que les artistes grecs tentent de nous dire avec leur code simple, suppose un cadre de référence extérieur à la mythologie et à l'art grecs. Ce cadre essentiel est le Livre de la Genèse, plus précisément son début où sont décrits les premiers moments de l'humanité. En rapprochant la mythologie et l'art grecs des événements bibliques, nous allons constater que les poètes et artistes grecs racontent la même histoire, mais d'un point de vue opposé. Pour eux, le serpent n'a pas trompé Adam et Ève mais leur a apporté la lumière. Athéna représente Ève, elle est Ève, non toutefois l'Ève originelle, qui s'identifie à Héra ( nous y reviendrons au chapitre suivant et au chapitre 15 ), mais l'Ève nouvelle de l'âge grec, vénérée pour avoir ramené à l'humanité, après le Déluge, la lumière du serpent. Le chapitre suivant, qui rappelle les principaux éléments de la religion grecque et leur signification, va vous montrer que tout cela est étonnamment évident.
Athéna, le serpent et l'arbre (vase endommagé, env. -450).
Athéna entretient avec le serpent une tendre et indéniable familiarité qui renvoie directement à l'Eden. Tout son être est indissolublement lié au serpent : c'est la déesse du serpent de sagesse. Cette pièce rare et éloquente montre Athéna, reconnaissable à son égide bordée de serpents, fièrement campée près d'un arbre. Le serpent a visiblement l'oreille de la déesse à qui il paraît donner des instructions : Athéna est la femme qui accueille la lumière du serpent. Qu'ont voulu dire les artistes en bordant l'égide de serpents ? Que l'égide symbolise l'autorité et qu'ainsi les serpents délimitent, englobent la source de l'autorité d'Athéna, message simple qui ignore les barrières du langage. Athéna est presque toujours représentée avec une lance, son arme distinctive. C'est le cas sur ce vase, à un détail près : la lance qu'elle tient est en réalité une branche de l'arbre au serpent. Que tente ainsi de nous dire l'artiste ? Tout simplement que la puissance d'Athéna, que symbolise son arme, prend source dans l'arbre au serpent.
~ 2 ~
Quelques rappels
sur la religion grecque
La religion grecque, que nous qualifions de mythologie, raconte la même histoire que la Genèse, à la différence que le serpent n'y est pas l'enjôleur de l'humanité mais son illuminateur. Zeus et Héra, à la fois époux/épouse et frère/soeur, sont les homologues d'Adam et Ève. Athéna aussi représente Ève, mais une Ève venue renaître sous le nouvel âge grec. Athéna, le Parthénon et l'ensemble du système religieux grec célèbrent le rétablissement et le renouveau de la voie de Caïn après le Déluge. D'un côté, l'idolâtrie grecque contredit la parole de Dieu regarde de près, elle renforce la vérité des Écritures.
L'admirable temple d'Athéna, le Parthénon, est le monument national de la Grèce. De -447 à -432, pendant la période dite classique, les Athéniens ont construit en l'honneur d'Athéna l'une des merveilles architecturales de l'antiquité. Plus richement sculpté que tout autre temple grec, le Parthénon dominait l'Acropole, haut lieu de la cité. À l'intérieur se dressait, haute de 12 mètres, la statue d'or et d'ivoire d'Athéna. Nous reviendrons plus loin sur cette statue fameuse dont une réplique existe à Nashville aux États-Unis, reconstituée à partir de copies et de descriptions anciennes. Mais si nous voulons comprendre ce qu'elle représentait, il nous faut d'abord examiner comment elle s'intègre dans l'histoire de l'humanité telle que la percevaient les Grecs. Par chance, ceux-ci l'ont expliqué dans leurs mythes et dans leur art.
~ Le premier couple
Il n'y a pas de dieu créateur dans le système religieux grec : c'est un système qui bannit le Dieu de la Genèse et exalte l'homme, mesure de toute chose. Il vous semble que les Grecs exaltaient plutôt des dieux que des hommes ? Alors, demandez-vous pourquoi les dieux grecs sont si exactement pareils aux hommes. La réponse est évidente : parce qu'aux yeux des Grecs, la plupart des dieux représentaient simplement leurs ancêtres humains, de sorte que la religion grecque n'était qu'une forme sophistiquée de culte des ancêtres. On lit par exemple dans un dialogue de Platon intitulé Euthydème que le grand (et hypothétique) philosophe Socrate considérait Zeus, Athéna et Apollon comme ses « dieux », ses « seigneurs et ancêtres ». Les récits des Grecs sur leurs origines, divers et parfois contradictoires, s'accordent cependant sur le fait que Zeus et Héra sont le couple dont descendent aussi bien les autres dieux olympiens que les mortels. Frère et soeur, époux et épouse, roi et reine des dieux, ils correspondent à l'Adam et l'Ève de la Genèse. Adam et Ève commencement de la famille humaine, sont aussi le commencement de la famille des dieux grecs : ils sont Zeus et Héra. Dans le système religieux grec sans dieu créateur, c'est le premier couple qui tient le rôle principal.
Héra et Zeus sur la frise Est du Parthénon (env. -438).
~ Héra, la reine des dieux, est l'Ève primitive
D'après la Genèse, Ève est la femme d'Adam et la mère de tous les hommes. Dieu étant le père d'Adam et Ève, certains les considèrent aussi comme frère et sœur. Après qu'ils eurent mangé le fruit défendu, Adam nomma sa femme Ève (en hébreu : « vivante »), ce que la Genèse 3:20 explique ainsi : « car elle a été la mère de tous les vivants ». Dans un hymne écrit au VIe siècle av. JC, le poète lyrique Alcée appelle Héra panton genethla, « la mère de tous ». Première mère et première épouse à la fois, elle était vénérée par les Grecs comme déesse des naissances et du mariage.
On lit au chapitre 2 de la Genèse qu'Ève fut créée adulte à partir d'Adam. Avant de s'appeler Héra, l'épouse de Zeus avait porté le nom de Dioné qui est la forme féminine de Dios ou Zeus, et renvoie donc à la création d'Ève à partir d'Adam. Cela suggère que Zeus et Héra étaient, comme Adam et Ève, le premier couple homme-femme.
Héra est souvent représentée assise sur un trône et tenant dans sa main droite un sceptre, l'attribut qui lui est le plus fréquemment associé dans l'art antique. Elle est à jamais la reine de l'Olympe. Sœur-épouse de Zeus, elle est la déification de l'Ève originelle, la mère sans mère de l'humanité entière, la détentrice naturelle, par sa naissance, du sceptre du pouvoir.
~ Zeus, le roi des dieux, est Adam
Du point de vue judéo-chrétien, Ève et Adam ont fauté en cédant au serpent et prenant un fruit car ils ont transgressé l'ordre de Yahvé. Du point de vue grec au contraire, ils ont accompli un acte triomphant et libérateur qui a transmis la lumière du serpent à l'humanité. Le serpent, pour les Grecs, a délivré l'humanité d'un Dieu oppresseur et est à ce titre le sauveur et l'illuminateur de notre race. C'est aussi comme sauveur et illuminateur que les Grecs vénéraient Zeus, qu'ils appelaient Phanaïos, celui qui apparaît comme la lumière, qui apporte la lumière reçue du serpent en mangeant le fruit de son arbre.
Dans Zeus et Héra, le mythologue Carl Kerényi avance que le sens profond de Zeus/Dios serait « le moment effectif, décisif, dynamique où la lumière se fait ». Par leurs noms, Dios et Dioné renvoient ainsi à cet instant où, mangeant le fruit de l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, il reçurent pour la première fois l'illumination du serpent. La foudre, force naturelle, symbolise parfaitement ce qu'est Zeus et ce qu'il a apporté à l'humanité, et l'on ne s'étonne donc pas que l'art antique en ait fait l'attribut par excellence de Zeus, presque toujours représenté avec la foudre dans la main droite. Du point de vue grec, s'il existe dans l'histoire humaine un « moment effectif, décisif, dynamique où la lumière se fait », c'est celui où Adam et Ève ont reçu la lumière du serpent, et rien ne le symbolise mieux que la foudre de Zeus.
Zeus tenant la foudre et le sceptre du pouvoir (vase d'env. -410).
Un vase grec montre Zeus nu, tenant le sceptre royal dans sa main gauche et la foudre dans sa main droite. C'est le roi de l'Olympe, dans sa libre nudité. Le fruit de l'arbre, lumière du serpent, lui a été transmis : c'est la source véritable de sa puissance.
~ Zeus et Héra sont le premier couple décrit par la Genèse
Dans les Travaux et les Jours, l'ancien poète Hésiode écrit que « les dieux et les hommes mortels sont issus d'une même source ». Cette source, c'est le premier couple Zeus et Héra. Héra, la mère unique de l'humanité entière, Zeus qu'Hésiode qualifie de « père des hommes et des dieux » et qu'Homère, dans son œuvre, désigne à plus de cent reprises sous le terme de « père Zeus » : Zeus et Héra, source d'une histoire nouvelle dont ils sont les dieux.
La Genèse affirme qu'Adam vécut 930 ans. Elle est muette sur la longévité d'Ève mais rien ne permet de douter qu'elle ait été du même ordre. Cela seul suffirait à leur donner une stature divine. Qui les avait précédés ? Personne. Il n'est que trop naturel, par conséquent, que les Grecs aient vénéré Adam et Ève en Zeus et Héra : ceux qui ne croient pas au Créateur n'ont rien à exalter, sinon la nature, eux-mêmes et leurs géniteurs.
D'un côté nous avons la tradition grecque qui affirme que Zeus et Héra furent le premier couple, de l'autre la tradition judéo-chrétienne qui affirme qu'Adam et Ève furent le premier couple. Une même base de faits unit ainsi ces deux perspectives spirituelles opposées, et l'on est tenté de penser que les Grecs ont cherché à relier Zeus et Héra à un paradis, un serpent et un arbre fruitier. C'est exactement ce qu'ils ont fait.
Vase représentant le serpent et le pommier du jardin des Hespérides (env. -410).
~ Le jardin des Hespérides, équivalent grec de l'Eden
Les Grecs avaient le souvenir d'un paradis originel qu'ils appelaient le jardin des Hespérides, et ils associaient à Zeus et Héra ce lieu délectable et le pommier entortillé d'un serpent qui s'y trouvait. Les Hespérides, entités spirituelles associées à l'arbre, aux pommes et au serpent, tiraient leur nom du mot grec Hespere, qui signifie le soir et par extension le couchant. Cela rejoint la Genèse qui affirme que la civilisation s'est développée à l'est de l'Eden. Retrouver l'Eden supposait donc d'aller à l'ouest, et c'est justement en Extrême-Occident que les Grecs situaient le jardin des Hespérides et son pommier entortillé d'un serpent.
Des mythologues ont voulu faire des Hespérides les gardiennes de l'arbre, ce qu'elles n'étaient certainement pas. Leur langage corporel, leur aisance, leur nom même, tendent au même but : montrer que ce jardin était un lieu merveilleux, un lieu d'insouciance. La figure ci-dessus représente un pot à eau sur lequel est peint le jardin des Hespérides. Le serpent s'enroule sur le pommier aux fruits d'or. Les noms des personnages sont inscrits sur le vase. Deux Hespérides, Chrysothémis (ordre d'or) et Astérope (visage d'étoile) se tiennent à gauche de l'arbre. Chrysothémis avance vers l'arbre pour cueillir une pomme, tandis qu'Astérope s'appuie plaisamment sur elle avec ses bras. À gauche, Hygeia (santé), juchée sur un monticule, tient un long sceptre symbolisant le pouvoir et se tourne pour regarder l'arbre.
À droite du pommier, Lipara (peau brillante) tient des pommes dans le pli de son vêtement et dégage son épaule de son voile. Les noms des Hespérides nous renseignent sur le jardin. C'est un lieu où la lumière des étoiles est douce, où l'or surabonde, où la santé est parfaite, où la beauté émerveille. Apollodore, écrivant au IIe siècle av. JC, cite quatre noms d'Hespérides : « Eglé (lumière éblouissante), Erythie (terre rouge), Hespérie (étoile du soir) et Aréthuse (fontaine). Il est difficile d'imaginer bruit plus paisible que celui d'une fontaine : quel lieu enchanteur ce devait être ! Le mot hébreu Eden signifie, quant à lui, « être doux, agréable », et au figuré « se délecter ». On n'en peut guère douter : le jardin des Hespérides est le jardin de la Genèse.
Si Adam et Ève sont devenus Zeus et Héra dans le système religieux grec, on doit trouver des traces littéraires de leur présence dans ce jardin. Tel est bien le cas. Apollodore, par exemple, écrit que les pommes des Hespérides « furent offertes à Zeus par Gaïa [la Terre] après qu'il eut épousé Héra ». Cela concorde avec la Genèse : Ève devient la femme d'Adam après avoir été créée à partir de lui (Genèse 2:21-25), et aussitôt après, le premier couple cueille le fruit. Reliés aux Hespérides, Zeus et Héra sont par là même reliés au serpent et à l'arbre fruitier avec lesquels ils sont toujours représentés. Euripide de même, dans sa pièce Hippolyte, évoque le « rivage des Hespérides, où les pommes poussent », où d'éternelles fontaines coulent « près du séjour de Zeus, et où la terre sacrée, répandant ses bénédictions, fait croître la prospérité des dieux ». Ainsi, Euripide place lui aussi Zeus dans le jardin et affirme textuellement que c'est de là qu'il est venu.
Vous avez certainement entendu dire qu'Ève a mangé la pomme. En fait, le mot hébreu utilisé dans le chapitre 3 de la Genèse signifie fruit grecque que nous vient l'idée de pomme.
Dans le jardin des Hespérides, disent les poètes grecs, se trouvait aussi un personnage nommé Atlas. Hésiode écrit dans la Théogonie :
Et Atlas, contraint par une dure nécessité, soutient le large ciel de sa tête et de ses bras inlassables, debout aux frontières de la terre face aux Hespérides à la voix claire telle est la part que le sage Zeus lui a assignée.
Sa présence dans le jardin éclaire la position religieuse grecque : son rôle était d'éloigner des Hespérides l'autorité du ciel. Sur l'assiette de la figure suivante, on le voit repousser le ciel (dont on distingue les étoiles), et par là le Dieu qui s'y trouve et qui est l'objet véritable de ses efforts.
Atlas repoussant les cieux, et avec eux le Dieu des cieux.
Tout le système grec tend à bannir le Créateur, à l'éjecter du tableau, à annuler son influence afin que les hommes deviennent libres de croire et faire ce qu'ils veulent. La voie religieuse grecque, qui n'est autre que la voie de Caïn dont parlent les Écritures, est celle d'une vie où Dieu ne se mêle plus des désirs de l'homme. Pour que réussisse la religion de Zeus, le Créateur doit être rejeté et ignoré. Yahvé, dans la Genèse 3:14, maudit et condamne le serpent : « tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie ». Dieu chassé du royaume de l'humanité, la malédiction cesse et le serpent s'élève, comme le montre cette illustration, au rang d'illuminateur de la race humaine.
~ Les deux fils ennemis de la première famille
Si Zeus et Héra correspondent à Adam et Ève, ils doivent avoir, comme eux, deux fils ennemis. Ces deux fils existent effectivement. L'aîné s'appelle Héphaïstos, le second Arès. Et ils s'opposent aussi violemment que Caïn et Seth.
Adam et Ève ont eu trois fils : Caïn, Abel et Seth. Caïn ayant tué Abel avant que celui-ci ait eu une descendance, on peut considérer qu'Adam et Ève ont eu deux fils, Caïn et Seth. La lignée de Seth, disent les Écritures, est celle dont est issu le Christ. L'Evangile de Mathieu fait remonter la lignée du Christ, via David, jusqu'à Abraham, et l'Evangile de Luc la fait remonter d'Abraham à Adam en passant par Seth au dieu créateur, ou lignée de la foi. Par contraste, les Écritures définissent la lignée de Caïn comme celle de la non-croyance au dieu créateur : « Caïn, qui était du malin », lit-on dans I Jean 3:12, expression qui fait écho au « serpent ancien, appelé le diable et Satan, qui séduit toute la terre » dont parle l'Apocalypse 12:9.
Les Grecs firent de Caïn leur Héphaïstos, le dieu de la forge. Pour Seth, le cadet, ils en firent Arès, le turbulent dieu de la guerre. Dans la tradition judéo-chrétienne, Caïn est le mauvais, celui dont il faut éviter la voie. Chez les Grecs au contraire, c'est Arès, le Seth de la Genèse, qui est le traître et qui apporte ruine et désolation.
~ Héphaïstos/Caïn
Héphaïstos, le Caïn déifié, est le dieu de la forge et de la fonderie, comme le rappelle son nom romain de Vulcain. D'après la Genèse 4:22, les descendants de Caïn furent les premiers à forger « tous instruments d'airain et de fer », parmi lesquels certainement le marteau, la hache et les pincettes, outils les plus fréquemment associés à Héphaïstos dans l'art grec. Le « mythe » d'Héphaïstos banni de l'Olympe (lieu d'où le Créateur est exclu), puis y revenant, est un élément essentiel de la religion grecque que les périodes archaïque et classique évoqueront sans relâche, dans la peinture, dans la pierre et dans le bronze. Ce bannissement fait écho à l'ordre donné par Yahvé à Caïn dans la Genèse 4:12 : « tu seras vagabond et fugitif sur la terre ».
Dans les sources grecques, c'est tantôt Zeus, tantôt Héra, tantôt les deux qui bannissent leur fils aîné rejetant le dieu créateur, les Grecs attribuaient fort logiquement le bannissement d'Héphaïstos à ses parents.
Selon la Genèse, Caïn erra quelque temps puis finit par se fixer, désobéissant ainsi à Yahvé : « Puis Caïn connut sa femme, qui conçut et enfanta Hénoc ville Hénoc, du nom de son fils (Genèse 4:17) ». Ignorant l'ordre de vagabonder donné par Yahvé, Caïn bâtit une cité, point de départ d'une lignée arrogante qui suivra les préceptes du serpent. À son exemple, l'Héphaïstos grec regagne l'Olympe. Il y reçoit comme épouse, pour fêter son retour, la belle et sensuelle Aphrodite qui est aussi sa sœur – tout comme la femme de Caïn était probablement sa sœur. Zeus est en effet le père d'Aphrodite et d'Héphaïstos, et la mère d'Aphrodite, Dioné, s'identifie à Héra bien qu'appartenant à une tradition orale différente et plus ancienne.
Dans un dialogue de Platon intitulé Cratyle, Socrate présente Héphaïstos comme « le seigneur et prince de la lumière ». Son nom, d'après Robert Graves, est la contraction de hemeraphaestos, « celui qui brille le jour ». Un vase de la période archaïque nous montre le jeune Héphaïstos debout sur les genoux de son père, devant sa mère Héra. Il a deux torches dans les mains et porte le titre de « lumière de Zeus ». Héphaïstos brille parce qu'il est Caïn, le fils aîné d'Ève qui rejette le Créateur et reçoit l'illumination du serpent, base même de la religion de Zeus.
Zeus (Adam), Héra (Ève) et leur fils aîné Héphaïstos (Caïn),
le « seigneur et prince de la lumière » (peinture sur vase, env. -500).
~ Arès/Seth
Zeus aimait son fils Héphaïstos qui remplissait la fonction indispensable et appréciée d'armurier des dieux. Par contraste, il considérait son benjamin Arès comme sans valeur et le qualifiait de « haineux », de « pestilent » et de « renégat ». L'ancien poète Homère appelle Arès le « fléau des mortels ». Si Arès figure au panthéon grec, c'est uniquement parce qu'il est fils de Zeus et l'un des deux enfants du premier couple Adam et Ève dont Zeus et Héra sont la déification. Zeus déteste Arès mais se reconnaît responsable de l'avoir engendré : « tu es mon enfant, et c'est de moi que ta mère t'a conçu ». Puis il s'emporte et lui dit que s'il était né d'un autre dieu, il y a beau temps qu'il se serait retrouvé « plus bas que les fils du ciel ». Certains érudits disent la religion grecque anthropomorphe. En réalité, il s'agit d'un système reposant sur des ancêtres humains réels qui, tout en gardant leur identité, ont pris un caractère divin. Arès, le Seth déifié, est en quelque sorte piégé par une histoire qui contraint son père Zeus à le haïr et les héros grecs à tuer ses enfants.
SUITE DANS LE LIVRE
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