Mises en cause des patrons, plaintes pour risques psychosociaux,
souffrance au travail face à des chefs qui manient l’humiliation…
Que se passe-t-il dans l’entreprise ?
Que se passe-t-il dans l’entreprise ?
L’actualité regorge de phrases directes, assassines et irrespectueuses.
Comme si les débats de fond ne pouvaient plus avoir lieu et étaient
parasités par des formes langagières de plus en plus ouvertement
brutales et violentes.
Revue de presse du management au quotidien.
Dans la presse d’abord…
Taisez-vous !
"Ils ne partiront pas en vacances ensemble",
c’est le jugement des journalistes devant la petite guerre des mots
entre les nouveau et ex-présidents du MEDEF. Pierre Gattaz a voulu
mettre un terme aux critiques de son ex-collègue, Laurence Parisot, sur
des sujets difficiles, tel le SMIC, en lui envoyant une lettre
d’admonestation, publiée complaisamment.
La petite histoire retiendra un "Taisez-vous madame Parisot !" presque aussi célèbre que le "Taisez-vous Elkabbach ! (vidéo) " #1 de l’ancien chef du PCF, Georges Marchais.
Laurence Parisot a répondu que "cette lettre est aussi un superbe exemple de misogynie, une façon de dire : femmes taisez-vous ! "
Cette guerre des mots occulte le débat de fond : la volonté réformatrice du MEDEF est masquée par la piètre qualité du dialogue. Un mauvais exemple de gouvernance ?
Laurence Parisot a répondu que "cette lettre est aussi un superbe exemple de misogynie, une façon de dire : femmes taisez-vous ! "
Cette guerre des mots occulte le débat de fond : la volonté réformatrice du MEDEF est masquée par la piètre qualité du dialogue. Un mauvais exemple de gouvernance ?
Perte de confiance.
Mardi 13 mai, sept rédacteurs en chef (sur un total de 11) du quotidien Le Monde, ont annoncé qu'ils démissionnaient de leur fonctions managériales. Ils dénonçaient des "dysfonctionnements majeurs" et une "absence de confiance et de communication avec la direction".
Les syndicats ont relayé le mécontentement en affirmant constater "une perte globale de confiance dans la gouvernance du journal (et) un problème de méthode et d'organisation qui exige un vrai ressaisissement au sommet". Ils ont demandé la mise en place rapide "d'une direction collective et fonctionnelle et que ceux qui font le travail soient vraiment entendus". Il s’agissait de la mise en cause nominative de la patronne du journal, Natalie Nougayrède, qui a, depuis, annoncé sa démission#2.
De quoi l’accuse-t-on ? De "manque de loyauté" et "d’ambitions personnelles". "Nous vivons une crise managériale terrible", a déclaré un journaliste. "Natalie
Nougayrède, qui a été élue avec un score stalinien est désormais
détestée par la rédaction. Elle ne sait pas faire confiance, elle
n'écoute pas. Dans les couloirs, on parle d'une dérive poutinienne du
pouvoir…"
Prescriptions contradictoires.
CGT contre CGT ! La CGT du journal de la CGT (La Nouvelle Voie Ouvrière) accuse sa directrice, Agnès Naton, membre du bureau confédéral de la CGT, de mauvais management. Elle a assigné les élus CGT du CHSCT devant le tribunal de grande instance pour leur demander de ne pas donner suite à la demande d’expertise de ses élus concernant un "risque psychosocial grave".
Que lui reprochaient-ils ? "Des défauts de management, par exemple
des prescriptions contradictoires, un manque de compétence dans la ligne
hiérarchique, un travail cloisonné, etc. Et aujourd’hui on ne sait
toujours pas quel est le projet éditorial."
Tour d’ivoire.
Nicolas Demorand, ex-directeur du journal Libération, aujourd’hui en grand danger de dépôt de bilan, avait déjà, l’an dernier, essuyé les désaveux des salariés, et avait eu contre lui une motion de défiance demandant son départ votée à 90%.
Comment avait-il réagi ? "J'ai décidé de démissionner de ma fonction de Directeur et de quitter Libération. Je cristallise une partie des débats."
Depuis son arrivée en mars 2011, on lui reprochait d’être absent. La
rédaction décrivait un homme s'enfermant dans son bureau avec ses
proches qu’il avait fait venir de l’extérieur.
Gestion à la petite semaine.
Le service français de l’agence de presse Reuters vient de voter à 95,12%, une motion de défiance contre la Direction de la rédaction. "d’habitude, c’est une entreprise qui ne fait pas de vagues", note un journaliste de cette agence à la fois généraliste, comme l’AFP, et financière, comme Bloomberg : "Destructions d’emplois, services exsangues, logique comptable sans vision éditoriale", "gestion à la petite semaine."
Mépris face à l’inquiétude.
La rédaction nationale de France 3 a voté à 74% contre la confiance "dans le projet éditorial de Thierry Thuillier" (162 votants sur 201 inscrits). Cette motion fait notamment suite aux craintes exprimées depuis plusieurs semaines pour l'avenir de l'information nationale sur France 3. Cette inquiétude prend sa source dans la mise en commun de moyens avec France 2.
Dans les musées aussi.
Brutalité et humiliation.
Anne Baldassari, Directrice du musée Picasso, a été "démise de ses fonctions" hier#3, face à la fronde de la totalité des conservateurs du musée dont elle était la patronne, malgré sa compétence artistique reconnue. "Admirée par un petit cercle de fidèles, Anne Baldassari a été débordée par son style de management en force".
Un audit de l’IGAC#4 l’avait précédemment décrite comme "une personnalité paranoïaque et irrationnelle" et faisait état de "témoignages très douloureux", d’un "management brutal", d’un "mode de communication agressif, de menaces, d’intimidation et d’humiliations publiques".
Serait-elle seule en cause dans les institutions culturelles ?
Un journaliste du quotidien Le Monde s’interrogeait la semaine dernière sur le comportement des Directeurs de musée.
Il nommait Alain Seban (Centre Pompidou), Anne Baldassari (Musée Picasso), Guy Cogeval (Musée d’Orsay) en égrenant "la liste de griefs" qui leur est reprochée dans leur management…
- • Brutalités verbales
- • Humiliations publiques
- • Collaborateurs écartés
- • Volonté de tout régenter
- • Considérer l’institution comme leur chose
Il concluait son article sur les valeurs managériales incarnées par Jean-Luc Martinez, patron du Musée du Louvre en mettant en évidence sa modestie et son recentrage sur l’interne
et reconnaissait à Stéphane Martin (quai Branly) et Jean-Paul Cluzel
(Grand Palais) une qualité faisant défaut aux premiers: la courtoisie.
Que reproche-t-on vraiment à tous ces patrons ?
D’une part, on leur reproche de ne pas avoir su articuler le mandat donné par l’actionnaire, privé ou public, consistant à obtenir des financements et de l’audience, et d’autre part, à accompagner l’inquiétude des salariés face au changement des organisations.
Obnubilés par la performance économique et culturelle, ils oublient la performance sociale.
Comment ont-ils réagi face à ces mises en cause ? Très souvent, deux réactions successives et contradictoires:
- • D’abord le déni ou le mépris, voire la justification pour certains.
- • Puis une tentative de compréhension, qui a souvent été interprétée de manière insincère, car tardive.
Petits exemples rapides :
- • "On exagère la souffrance au travail !" (Déni ?)
- • "Il y a des putschistes dans cette rédaction" (C’est un complot ?)
- • C’est une "manoeuvre de dernière heure" (Tactique déloyale ?)
- • "L’assignation au tribunal fait partie des relations sociales". (Les mots "tribunal" et "relation" font-ils bon ménage ?)
- • "Un grave risque psychosocial doit être avéré dans les faits. Or il n’y a pas de faits" (circulez, y a rien à négocier ?)
Puis, après réflexion, on essaie de comprendre :
- • "Je ne mésestime pas (...) l'importance du malaise qui peut exister au sein de cette maison. Nous devons rester concentrés sur l'essentiel qui est de recréer du collectif et de la confiance. A cet effort, je prendrai toute ma part". (Je prends ma part de responsabilité.)
- • "J'estime qu'il est de ma responsabilité de patron de redonner des marges de manœuvre et de négociation aux différentes parties. J'espère que mon départ permettra aux uns et aux autres de retrouver la voie du dialogue." (Je reconnais que j’aurais dû négocier.)
- • "On sait aussi que de tels changements peuvent provoquer de l'inquiétude chez certains d’entre vous à titre personnel et, collectivement, au sein de l'entreprise. Il est normal de se poser des questions, toutes les questions, et de les poser à ceux qui portent ce projet. Il est du devoir et de la responsabilité de la présidence d’y répondre avec ses directions." (Je reconnais un manque d’écoute.)
- • "Une clarification s'impose et le résultat de ce vote est un message d'inquiétude légitime". (Bon, on commence à comprendre…)
Conclusion : quelle perte de temps !
Tous ces exemples, pris dans l’actualité récente, illustrent la conception traditionnelle de la relation humaine dans l’entreprise, qui est:
"Négocier, cela prend trop de temps!"
A force de vouloir gagner ce temps, on en perd, on s’y perd.
Trois conseils aux managers :
- • Prendre le temps d’écouter ses opposants.
- • Intégrer les raisons de ses opposants dans de nouvelles options.
- • Considérer toute opposition comme, a priori, légitime.
Et, par dessus tout, se souvenir que l’autorité ne fonctionne qu’associée à la modestie.
Jacques Rojot nous dit "qu’il
ne s’est pas passé grand chose dans le domaine de la pratique du
management des personnes entre Tocqueville et Crozier (vidéo)."#5
Il explique que la fabrication des élites est encore aujourd’hui le fond du problème.
Il nous rappelle que la pratique française de l’autorité est défensive : on ne peut être remis en cause quand on est patron ; et offensive : on fait appliquer les règles et on s’en exonère soi-même.
Il explique que la fabrication des élites est encore aujourd’hui le fond du problème.
Il nous rappelle que la pratique française de l’autorité est défensive : on ne peut être remis en cause quand on est patron ; et offensive : on fait appliquer les règles et on s’en exonère soi-même.
Enfin, on constate que la démocratie dans l’entreprise est en retard par rapport à la démocratie citoyenne.
Quel patron accepterait aujourd’hui de faire sienne l’interpellation de Georges Clemenceau, Président du Conseil, en pleine guerre#6 : "Le droit d’insulter les membres du gouvernement est inviolable !" ?
Pour Tocqueville, la société démocratique produit des différenciations
sociales qui sont constamment remises en question parce qu'elles ne sont
pas compatibles avec l'idéal égalitaire si elles prennent un caractère
durable.
Pour Michel Crozier, tout le problème est : "quand vous écoutez vraiment parler quelqu’un, il est content ; il aime parler ; tous les gens adorent parler ; il suffit qu’il y ait une oreille, mais l’oreille n’est pas là tout le temps ; et les gens se fatiguent de parler et ça tourne mal (vidéo)."
Faire confiance à l’intelligence collective permet d’éviter
beaucoup de crises. Encore faut-il considérer que l’écoute réelle en
amont de toute décision est un investissement très rentable, en dépit du
temps qu’il demande.
1 Contrairement à la légende, ni Marchais, ni Gattaz, n'ont dit, à proprement parler, "taisez-vous"
2 Natalie Nougayrède a démissionné de son poste de directrice du Monde le 14 mai 2014
3 Anne Baldassari a été viré de la direction du musée Picasso le 13 mai 2014
4 Inspection Générale des Affaires Culturelles
5 Tocqueville, le philosophe la démocratie
américaine et de l'évolution des démocraties occidentales; Crozier, le
Sociologue des organisations. (La Société bloquée publié en 1970, On ne change pas la société par décret en 1979, État modeste, État moderne en 1987).
6 Le 8 juin 1918 à l’Assemblée Nationale
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