En soutanes ou en costumes, ils avancent masqués. Ancrés à l’extrême droite, écoutés par l’UMP, ils sont le bras politique des intégristes catholiques. Inquisiteurs modernes, ils partent en croisade contre le mariage homosexuel et veulent fonder des îlots de chrétienté aux municipales.
- Un crucifix, lors d'une manifestation contre la pièce Golgota Picnic, le 11 décembre 2011 à Paris. REUTERS/Benoit Tessier -
Lancée le 3 septembre 2012, la pétition nonaumariagehomosexuel.com a dépassé les 13.634 signatures. Sur le site, on peut lire:«Ces exigences du lobby homosexuel nient la réalité anthropologique. Elles contreviennent à la fois aux lois de Dieu, aux lois naturelles et au simple bon sens le plus élémentaire.»Derrière cette déclaration, l’institut Civitas, le mouvement catholique qui avait été médiatisé à l’automne 2011, en mobilisant des milliers de personnes contres des pièces de théâtre jugées blasphématoires.
«Avant le vote à l’Assemblée nationale en octobre, notre objectif, largement réalisable, est d’atteindre 100.000 signatures», avoue, confiant, Alain Escada, le secrétaire général de Civitas.
«Nous allons utilisé tous les moyens disponibles. Nous voulons convaincre les évêques de rallier notre cause, mais aussi les élus, au niveau national et au niveau local. Si le projet de loi passait, les premiers concernés seraient les maires.»Encore méconnu il y a un an, l’institut Civitas revendique aujourd’hui un millier d’adhérents et 100.000 sympathisants, et serait, dans la bouche de ses dirigeants, un lobby catholique traditionaliste et apolitique, qui chercherait à influencer pacifiquement les politiques familiales, éducatives et religieuses.
Un lobby catholique
«Nous voulons être un lobby catholique dans le débat public», explique sans détours Alain Escada, un libraire belge de 42 ans. «Nous avons la volonté de chercher à influencer tous les milieux politiques. Nous sortons du clivage gauche-droite», tente de convaincre l’ancien porte-parole du Front national belge et du Front nouveau de Belgique (FNB). Il reste aussi le fondateur d’un journal, Polémique Info, qui a ouvert ses colonnes à des personnalités issues de mouvances néonazies.Aujourd’hui à la tête de Belgique et chrétienté, un lobby belge contre le racisme anti-chrétien, il voyage entre le siège de Civitas, en banlieue parisienne, et Bruxelles, où il tient une petite bouquinerie d’occasion. Alain Escada jure n’être pas très fier de son passé de militant d’extrême droite, et balaie toutes les accusations de violence de Civitas:
«Je ne prône pas la violence mais la détermination. Je ne suis pas pour le consensus mou.»En décembre 2011, pendant les deux semaines de représentation de Golgota Picnic au Théâtre du Rond-Point, des centaines de catholiques courroucés avaient siégé tous les soirs devant le théâtre, à l’appel de Civitas. En cols blancs et soutanes noires, des prêtres avaient organisé des prières de rues sous la pluie, chapelet dans une main, bible dans une autre. Mais pas que des prêtres.
«Deux types, à 3 heures du matin, sont venus avec un marteau, des bombes lacrymogènes. On a aussi retrouvé des cutters avec écrit “christ” sur les lames», se souvient Jean-Michel Ribes, le directeur du Théâtre du Rond-Point, qui assure avoir reçu «des menaces de morts d’une violence inouïe». «Ce ne sont que des gens d’extrême droite déguisés en curés», résume Jean-Michel Ribes.
«Ça ne fait pas l’ombre d’un doute que Civitas est un mouvement catholique intégriste d’extrême droite», analyse Jean-Yves Camus, politologue, spécialiste des extrémismes en Europe. «Il y a la dénonciation par Civitas d’un prétendu lobby gay, alors que Civitas agit lui-même comme un lobby», explique Marie-Cécile Naves, corédactrice du Dictionnaire de l’extrême droite. «C’est typique de l’extrême droite: “nous sommes les seuls à dire la vérité, mais on nous en empêche par des manœuvres secrètes”.»
Une longue tradition
Civitas s’inscrit dans une longue tradition historique de l’intégrisme catholique en France, depuis la Cité catholique, un mouvement de laïcs intégristes, en 1946. Son fondateur, Jean Ousset, ancien cadre du régime de Vichy, veut «former, pour en offrir le bienfait à notre pays, la France, un nombre de cadres politiques et sociaux suffisant pour être décisif». Dans les années 1950 et 1960, La Cité catholique est de plus en influente. Via sa revue Verbe, elle légitime la torture en Algérie, et s’emploie à former des soldats dans l’armée française. En 1970, son pendant religieux, la fraternité sacerdotale St-Pie-X, est créée par l’ancien archevêque de Dakar, Marcel Lefebvre. Cette nouvelle Eglise rassemble les radicaux, tous les déçus du concile Vatican II.En 1988, l’Eglise St-Pie-X se sépare du Vatican, et la Cité catholique se scinde en deux. Les ralliés à l’Eglise prennent le nom d’Ichtus, association catholique traditionaliste qui existe encore de nos jours. Les plus radicaux restent dans l’ombre de St-Pie-X, jusqu’à ce que Civitas voie le jour il y a une dizaine d’années. Une «nouvelle» association qui a compris l’importance des coups médiatiques. «Contrairement à la Cité catholique, ils arrivent à faire parler d’eux dans les grands médias», alerte Jean-Yves Camus.
«Civitas tient ses ordres de la fraternité intégriste Saint-Pie-X. Alain Escada n’est qu’un porte-parole», avance Christian Terras, rédacteur en chef de la revue catholique de gauche, Golias. Aujourd’hui, la fraternité St-Pie-X, qui négocie sa réintégration au sein du Vatican, compte 150.000 fidèles et 600 prêtres à travers le monde, dont plus de la moitié dans l’Hexagone.
Basée en Suisse, elle administre une cinquantaine d’écoles privées hors contrat avec l’Etat en France. Ses références sont Charles Maurras, Pétain ou Franco. Les liens avec l’institut Civitas, instrument médiatique et politique, sont omniprésents. Les deux hommes forts de St-Pie-X, les abbés Régis de Cacqueray à Toulouse, et Xavier Beauvais à Paris, prieur de la très influente église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, ont dirigé les manifestations contre les pièces de théâtre à l’automne. L’abbé Lorens, porte-parole du mouvement en France, intervient dans les sessions de formation de Civitas, quand les écoles de la fraternité servent d’universités d’été pour les militants de l’association.
Les accointances avec l’extrême droite sont aussi politiques. Parmi les responsables de Civitas, le «cercle» proche d’Alain Escada, Léon-Pierre Durin est un ancien cadre départemental du MNR de Bruno Mégret. Bras droit d’Alain Escada, le commissaire-colonel à la retraite, Jean-Claude Philipot, est intervenu au club «Idées nations» du Front national, en décembre 2011, bien que le FN condamne officiellement Civitas.
Dans les manifestations automnales contre les pièces de théâtre, l’institut Civitas a attiré dans son sillage des groupuscules d’extrême droite violents comme le Groupe union défense (GUD) ou les Jeunesses nationalistes d’Alexandre Gabriac, jeune conseiller régional évincé du FN en 2011 pour cause de salut nazi. Le 29 octobre, lors de la manifestation contre la christianophobie à Paris, qui a rassemblé 2.000 personnes, se joignaient même au cortège les islamistes de Forsane Alizza, interpellés à la suite de la tuerie de Toulouse.
Des députés UMP à l’écoute de Civitas
Mais l’influence de Civitas dépasse le cadre du militantisme d’extrême droite. Au pic des manifestations contre la christianophobie, des chrétiens modérés, des membres de l’Eglise et même des élus s’étaient montrés compréhensifs. Grâce à une newsletter de 100.000 abonnés et une lettre électronique à 40.000 élus selon l’association, Civitas s’emploie à toucher tout catholique sensible à son discours. Et trouve des relais dans les grandes entreprises ou les partis politiques.D’après nos informations, un actionnaire du groupe LVMH, proche de Jacques Buffet, cadre de Civitas, a donné son aval pour qu’un membre de l’association le représente à l’assemblée générale de la multinationale, le 5 avril 2012. Le but étant de médiatiser la question du mécénat culturel envers des œuvres jugées «blasphématoires». En avril 2011, LVMH avait été l’un des investisseurs de l’exposition du Piss Christ à Avignon.
Côté politique, si Christine Boutin et son Parti chrétien-démocrate se montrent hostiles, plusieurs députés UMP n’hésitent pas à recevoir, écouter et même appuyer Civitas. Début décembre, à la suite des manifestations contre la christianophobie, 56 députés de la majorité publient un texte commun, et s’interrogent sur le bien-fondé des subventions publiques accordées aux théâtres. Jacques Remiller, député de l’Isère et président du groupe d’études sur les relations avec le Saint-Siège, est à l’origine du texte. Il justifie son action:
«Quand il y a eu l’épisode des caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo [en novembre 2011, NDE], tout le monde est monté au créneau. Quand c’est la religion catholique, personne ne bouge.»Le député UMP jure pourtant n’avoir aucuns contact avec Civitas, «condamne leurs méthodes», et estime comme «une simple coïncidence» les manifestations de Civitas avec «un texte prévu depuis longtemps». Parmi les signataires, en majorité issus de la Droite populaire, les mémoires semblent vaciller. Aucun élu ne veut être associé à Civitas. Le député villepiniste de l’Hérault, Jean-Pierre Grand, ne se souvient même plus avoir signé le texte. Le député du Nord, Christian Vanneste, qui a pourtant reçu Alain Escada et Jean-Claude Philipot en février, avait dit sur Canal+ ne pas «connaître vraiment ces personnes, ne pas savoir si elles sont intégristes». Et justifie sa signature:
«Je comprends qu’ils manifestent. Ce sont des œuvres sans génie, ni talent, qui portent atteinte à une catégorie de la population.»En février, dans l’Indre, la communauté d’agglomération castelroussine (CAC) a vendu 26 hectares de terrains militaires à l’école Saint-Michel-de-Niherne, établissement de la fraternité St-Pie-X et base arrière de Civitas. C’est ici, près de Châteauroux, qu’ont été préparées, durant l’été 2011, les manifestations contre les pièces de théâtre.
Le président de la CAC et maire UMP de Châteauroux, Jean-François Mayet, tient à louer «une école qui a fait ses preuves depuis 37 ans, avec zéro échec au bac». Et ajoute, sans pudeur:
«Ça ne me pose aucun problème que l’école dépende de St-Pie-X. Je connais bien le directeur, c’est un type bien. Tant que ces gens-là respectent la loi républicaine, je leur fiche la paix.»Valérie Boyer, députée UMP, s’est rendue en février à un loto de l’école Saint-Ferréol à Marseille, qui dépend de la fraternité St-Pie-X, et a été accueillie par la branche locale de Civitas. En tant que présidente à l’Assemblée nationale du groupe «Enseignement privé sous contrat et hors contrat», Valérie Boyer a milité et obtenu que les écoles privées hors contrat avec l’Etat puissent obtenir des dons déductibles des impôts, à l’instar des organismes de cours privés comme Acadomia.
Or, dans les écoles hors contrat, si les contrôles de l’Education nationale existent en ce qui concerne les thèses révisionnistes et les dérives sectaires, la loi républicaine n’empêche pas d’instaurer dans les programmes les valeurs et la vision de l’Eglise traditionnelle sur l’histoire ou les sciences. Mais pour Valérie Boyer, il y a aujourd’hui une stigmatisation des catholiques.
«Oui, il y a un développement de la christianophobie en France. Je le pense et je le constate.»Pourtant, pour Marie-Cécile Naves, «en France, il n’y a pas de haine contre les chrétiens, mais ce que Civitas ne supporte pas, c’est que ses principes ne soient pas appliqués par l’Etat». La sociologue ajoute:
«Parfois, les élus se “font avoir” en ne saisissant pas la différence, au niveau local, avec des associations catholiques lambda qui ont un but éducatif ou culturel, et leur donnent des subventions.»
Des îlots de chrétienté aux municipales
Mais l’institut veut aller au-delà du simple rôle de lobby politique. Depuis deux ans, Civitas a un dessein sacré: les municipales de 2014. Investir les petites communes, les villages ruraux, avec des maires sans étiquette. Alain Escada l'annonce:«Nous voulons créer des îlots de chrétienté. Dans une commune dirigée par un maire catholique, il n’y a pas de place pour le salon de l’érotisme, ni la volonté d’accueillir une mosquée.»Tout un programme, qui touche aussi l’éducation.
«Nous voulons faciliter l’existence des écoles catholiques hors contrat avec l’Etat. L’Education nationale ne propose pas une bonne vision de la société, comme avec la théorie du genre.»Au programme des manuels de biologie depuis la rentrée 2011, cette théorie ouvre le débat sur le genre et la préférence sexuels, qui pourraient être des constructions sociales et culturelles, au-delà des différences biologiques. Selon Alain Escada, «il y a cette obsession de certains hommes politiques de développer les cours d’éducation sexuelle, qui favorisent l’orientation homosexuelle». La culture, elle aussi, serait chambardée.
«L’attribution des budgets culturels devrait être plus fidèle à l’esprit français catholique. Pas de rap, de hip-hop, ni de tags. Pas de metal. Nous profiterons du mandat municipal pour contrôler le contenu des bibliothèques.»Dans un document qui sert de plan de bataille pour les municipales de 2014, Alain Escada, que nous avions quitté sympathique et avenant, écrit:
«La Croix... Par ce signe, tu vaincras. Le glaive... Proclamer la Vérité à temps et à contre-temps. Savoir être offensif. Le bouclier... Investir l'échelon local et mettre en place des îlots de chrétienté. Non pas pour s'y isoler, mais pour s'y prémunir en vue de mieux rayonner, pour faire connaître les bienfaits de la Croix lorsqu'elle est au centre de l'existence.»Mathieu Martinière
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