mercredi 12 septembre 2012

Les neuf travaux de facebook

Vous avez dit rentable ?
Mark ZuckerbergLe champion du social sur le Net vit des moments délicats. Chahuté depuis son introduction en Bourse, Facebook est sanctionné pour sa carence de stratégie et de business model. Actionnaires et investisseurs veulent y voir plus clair dans la logique économique de la plateforme. Près d’un milliard d’individus utilisent quotidiennement sur la planète un service dont ils igno
rent le modèle. Certes la gratuité est un formidable booster d’audience et l’excellence opérationnelle un gage de longévité. Mais huit ans après son lancement, ce média social est aujourd’hui confronté à de nombreux défis s’il veut conserver son leadership. Dans la Silicon Valley, les étoiles s’éteignent plus vite qu’ailleurs. Revue de détail des 9 chantiers urgentissimes d’une entreprise hors norme…
Cela devait être le point d’orgue de son époustouflante success story. En ce joli vendredi ensoleillé du mois de mai, le 18, Facebook devenait ami avec la Bourse et sa valorisation y dépassait symboliquement les 100 milliards de dollars. Du jamais vu. Choc de cultures entre Wall Street et la Silicon Valley. Mais pas de façon vraiment positive, la lune de miel entre banquiers et geeks a fait long feu. Quatre mois après son introduction, l’action Facebook perd plus de la moitié de sa valeur. Introduit à 38 dollars, le titre flirte aujourd’hui avec les 18 dollars. Il faudra au moins deux ans avant que celui-ci ne dépasse sa cotation initiale selon les spécialistes. Cette cotation de la plateforme sociale fut l’un des événements financiers les plus attendus de ces dernières années.
Quel désenchantement ! La disgrâce est à la hauteur des espoirs suscités. Aujourd’hui, les investisseurs sont furieux. Des actions en justice sont en préparation. Certaines banques sont soupçonnées d’avoir omis de rendre publiques des informations négatives sur les perspectives de croissance de la société. Informations qui se sont vérifiées au deuxième trimestre 2011, Facebook a affiché des résultats dans le rouge, publiant une perte opérationnelle de 743 millions de dollars et une perte nette de 157 millions de dollars en raison de charges exceptionnelles passées dans le cadre de l’introduction en Bourse.
“Il y a quelques mois, Facebook était encensé pour ses 100 milliards de dollars de valorisation en Bourse. Aujourd’hui, c’est un cas unique, celui d’une entreprise qui a perdu 60 milliards en 5 mois !”, ironise Frédéric Fréry, professeur de stratégie à l’ESCP Europe. Le management comme leurs banquiers-conseil ont eu les yeux plus gros que le ventre. L’ego de Mark Zuckerberg, obnubilé par la barre des 100 milliards de dollars de valorisation, n’est sans doute pas étranger à cette subite boulimie. Pour Philippe Torres, directeur des études et du conseil à l’Atelier de BNP Paribas, “l’enjeu de l’introduction était aussi de rémunérer toutes les entreprises qui avaient soutenu financièrement Facebook. Il fallait les récompenser. Une introduction très haute a été le moyen”. Ceux qui ont pris le relais en sont pour leur frais. Désormais, ils demandent des gages et des précisions sur le modèle économique et la stratégie de Facebook.
Un champion de l’audience
Ce violent revers boursier fait glisser le groupe dans une sérieuse zone de turbulence, certes. Ce n’est pas pour autant un crash inévitable. Facebook dispose actuellement de solides atouts, à commencer par une audience record. En juin dernier, la barre des 950 millions d’utilisateurs a été franchie. Le cap symbolique du milliard sera sans doute atteint d’ici à la fin de l’année. Pour Brett Gordon, professeur associé à la Business School de Colombia à New York, “le réseau est devenu le lieu de la socialisation mondiale. Il continuera de croître car sa raison d’être perdurera”.
Difficile en effet de péricliter quand on propose un service universellement recherché. “Ce service est un succès consommateur incroyable. Facebook est un vrai phénomène de masse qui mobilise de 20 à 30 minutes du quotidien des gens”, rappelle Marco Tinelli, PDG du groupe FullSix, spécialisé en publicité et marketing digital. Sans compter ces dizaines de milliards de sites, de blogs et de pages ayant adopté les fameux petits boutons bleus “J’aime”.
Précoce, Facebook a identifié un nouvel usage sur Internet : la mise en relation d’individus qui en fait un outil social de première grandeur. L’innovation technologique comme sa grande rigueur opérationnelle ont permis un déploiement mondial. Par ailleurs, il s’est constitué un véritable écosystème grâce à ces milliers de start-up gravitant autour de sa plateforme. Plus leur nombre grandit, plus la valeur du réseau augmente. Facebook demeure la seule entreprise, avec Google, capable d’atteindre une telle audience si rapidement. “L’audience est la première marche d’une stratégie Internet. S’il n’y a pas d’audience, on ne joue pas”, résume Philippe Torres. La partie peut commencer. Facebook doit affûter ses armes. Il dispose des moyens nécessaires. Grâce à la Bourse, il possède un trésor de guerre de plus de 10 milliards de dollars. Reste à identifier les chantiers. Revue de détail des neuf grands défis de l’enfant chéri de la Silicon Valley.
1. Un modèle économique, tu trouveras
L’échec boursier met en lumière incertitudes stratégiques et fragilité de son modèle économique. Aujourd’hui la vente d’espaces publicitaires sur le site Web représente plus de 80 % du chiffre d’affaires. Le solde est généré par les commissions de tiers présents sur la plate-forme. Ainsi, l’éditeur de jeux Zynga paye un “loyer”pour proposer ses services. Facebook a donc deux sources de revenus, la publicité et les applications. Ce schéma doit être affiné. “Un peu comme Google, Facebook s’est d’abord concentré sur l’usage et l’expérience utilisateur, maintenant il doit réfléchir à l’économie du service en continuant à creuser les leviers de monétisation”, explique Mats Carduner, président de Fifty-five, agence de conseil en marketing digital, et ancien numéro 1 de Google en France.
Il y a urgence actuellement. Beaucoup de groupes de l’Internet subissent les foudres de Wall Street. La valorisation de Groupon a fondu de plusieurs milliards de dollars, Zynga a perdu la moitié de sa valeur, Renren, principal réseau social chinois, a vu son cours de Bourse également reculer. Cette tendance, pénalisante pour Facebook, l’est aussi pour l’ensemble des acteurs de l’innovation, contraints de vivre avec le spectre d’une “bulle” Internet pas nécessairement justifiée.
2. Ton offre publicitaire, tu amélioreras
Au dernier trimestre 2012, la publicité a rapporté à Facebook un peu plus de 1 dollar par utilisateur soit 1,2 milliard de dollars. Quand, dans le même temps, Google engrange plus de 7 dollars de revenus par utilisateur. Le manque d’efficacité de la plateforme a conduit certains annonceurs à lever le pied. Comme General Motors il y a quelques mois. “L’offre publicitaire n’a pas fait ses preuves, témoigne Marco Tinelli. Elle n’arrive pas à transformer l’engouement du public en quelque chose d’utile aux marques. Facebook n’est donc pas indispensable aux annonceurs.” La plateforme a donc opéré un virage pour offrir aux agences des outils publicitaires performants.
De nouveaux formats sont présentés. Le site vend désormais de la publicité “pleine page”, format ayant davantage d’impact et donc commercialisé plus cher que les petites vignettes habituelles. Des opérations spécialisées pour les fans de marques sont aussi proposées. Le réseau rendra davantage visibles certaines campagnes. Enfin, une offre de publicité ciblée est également étudiée. L’acheteur d’un livre sur Amazon pourra ainsi se voir proposer ce type d’articles directement sur Facebook.
Pour les agences, la plateforme est légitime pour la publicité à la performance – les liens sponsorisés -, comme sur le branding, les campagnes de marque. “Facebook doit traiter le sujet de la publicité avec davantage de concentration, moins d’arrogance. Aujourd’hui c’est de l’artisanat.” Demeure une interrogation. Dans un univers social, convivial, entre amis, l’utilisateur sera-t-il enclin à cliquer sur des publicités ? Pas évident. L’internaute n’est pas dans les mêmes dispositions que sur un moteur de recherche ou devant un comparateur de produits en ligne. Pour Philippe Torres, “il y a de l’argent à faire avec la publicité sur les réseaux sociaux mais ce n’est pas le modèle dominant à terme”.
3. A faire payer des prestations, tu parviendras
Ne pas faire dépendre le chiffre d’affaires uniquement des recettes publicitaires est l’un des enjeux clés à relever. Déjà, environ 15 % des revenus de la plateforme – près de 250 millions de dollars au dernier trimestre – viennent de cette source. Comment ? En un mot, du commerce. Facebook n’est rien d’autre, face à sa multitude de chalands, qu’une méga galerie marchande dans laquelle des milliers de boutiques s’installent. L’éditeur de jeux Zynga est l’un des plus connus mais Dailymotion y diffuse des vidéos, Spotify de la musique, The Guardian des articles, Nike ses chaussures. Toutes ces entreprises contribuent au chiffre d’affaires de la plate-forme.
Facebook s’inspire du modèle de kiosque à applications d’Apple dont il a lancé sa propre version. Baptisé App Center, il vise à trier et à classer les applications disponibles sur toutes les plateformes du marché. Certains nouveaux services doivent y faire leurs preuves ; ainsi, l’application destinée aux éditeurs de presse “social reader” et permettant à chaque lecteur de recommander des articles à ses amis, connaît un démarrage poussif. “Facebook est en train de devenir une plateforme de distribution pour les commerçants, comme eBay et ou Amazon, résume Philippe Torres. Virage logique si la publicité pèse 80 milliards de dollars par an, le commerce électronique mondial représente 700 milliards de dollars. Les taux de croissance sur Internet sont équivalents. La stratégie de Facebook sur le long terme passe par le commerce, pas par la publicité.”
En témoigne, la tentative de mise en place de moyens de paiement avec les Facebook credits. Face au faible entrain des partenaires à adopter cette nouvelle monnaie, l’entreprise devra peut-être revoir sa copie mais la courbe d’expérience est amorcée.
4. Le mobile, tu monétiseras
Facebook est confronté au transfert brutal des usages sur le mobile. Le public nomade est passé de 155 millions au deuxième trimestre 2010 à 543 millions mi-2012. Selon le cabinet Strategy Analytics, plus de 51 % des connexions à la plate-forme se font désormais à partir de mobiles. Dans son document d’introduction en Bourse, la société explique qu’elle “n’avait pas encore réussi à tirer de substantiels revenus de l’activité des utilisateurs sur sa plateforme mobile”. Le mobile est incontestablement le talon d’Achille du groupe né en 2004. Epoque à laquelle Internet se limitait aux seuls ordinateurs. Facebook dans la position de nouvel entrant n’a plus la position centrale qui le caracté́rise sur le Web ; c’est une application parmi toutes les autres.
Signe des difficultés, le résultat particulièrement décevant de la monétisation via la publicité mobile : 72,7 millions cette année, presque la moitié de Twitter, selon eMarketer. “Nous avons perdu 2 ans sur le mobile”, a déclaré Mark Zuckerberg lors d’une conférence TechCrunch à San Fransisco. Aucune offre publicitaire n’a fait ses preuves sur le mobile. “Les formats publicitaires mobiles sont encore trop pauvres et semblables à ce que l’on connaît sur le Web. Ceci explique le mauvais taux de clics et la déception des annonceurs, explique Alessandro Thellung, PDG de Redshift, une agence de marketing mobile. Sans compter qu’il y a encore plein de liens qui ne sont pas adaptés, ce qui provoque un décrochage de la part de l’utilisateur.”
Sur les mobiles, le groupe se cherche. Il a acheté pour 1 milliard de dollars l’application de partage de photos “Instagram”. D’autres pistes sont explorées, comme la diffusion de publicité dans les flux d’actualité consultés par les mobinautes. L’AppCenter est aussi disponible sur mobile. Ce kiosque se positionne en amont des plateformes de distribution. Il cré́e de la valeur tant pour les utilisateurs que pour les é́diteurs d’applications mobiles. En revanche, il n’est plus question de téléphone Facebook. “Cela n’a aucun sens a déclaré son patron”, jugeant que ce serait “clairement la mauvaise stratégie”. Pour certains, s’imposer sur mobile ne serait qu’une question de temps. Jusqu’ici, le géant du social ne disposait pas des ressources en interne pour concevoir des espaces et des offres. Désormais il recrute à tour de bras des ingénieurs et des développeurs spécialisés dans ce média.
5. La croissance dans les pays émergents, tu développeras
La puissance de Facebook est liée à sa présence sur les cinq continents. Sur ses 955 millions d’utilisateurs mensuels, seuls 186 millions vivent aux Etats-Unis. Le pays concentre le plus grand nombre d’utilisateurs mais le plus gros de l’audience réside dans “le reste du monde”. Malgré son interdiction en Chine, l’Asie compte 255 millions d’utilisateurs. L’Amérique latine enregistre une croissance exponentielle des fans. L’Inde et le Brésil sont respectivement les pays comptant le plus d’utilisateurs derrière les Etats-Unis. Seul problème – de taille -, les pays émergents ne contribuent que très faiblement au chiffre d’affaires du groupe.
La croissance d’abonnés dans des pays comme l’Indonésie ou le Brésil est coûteuse, en particulier en serveur et bande passante Internet, et ne rapporte rien en publicité. Aussi, les Etats-Unis génèrent encore la moitié des revenus. Le cabinet de conseil Strand Consulting explique :“L’une des principales difficultés de Facebook est que ses annonceurs sont occidentaux et ne s’intéressent pas aux clients des pays émergents.” Par ailleurs, tôt ou tard, la plateforme se posera la question de la stratégie à adopter en Chine. Pour l’instant, elle n’y est pas. “Pour s’implanter en Chine, ils devront faire des concessions avec les risques d’image que cela comporte”, estime Frédéric Fréry, professeur de stratégie à l’ESCP Europe.
6. Tes talents, tu conserveras
La Silicon Valley est un univers où l’on n’hésite pas à changer d’employeur. La guerre des talents fait rage. Attirer les meilleurs reste l’une des clés de succès de l’innovation. Facebook n’échappe pas à la règle. Plus l’entreprise grandit, plus le management devient une problématique complexe. Le groupe a multiplié par trois le nombre de ses employés en quatre ans. Et il faut fidéliser les équipes. Or depuis juin dernier, cinq hauts dirigeants sont partis. Dont le directeur du marketing en charge du mobile. Les cadres millionnaires en actions qui auraient émis le souhait de partir ne le feront sans doute pas. Dans l’immédiat…
7. Ton informatique, tu géreras
Les pannes et autres bugs informatiques de ces derniers mois – Blackberry, Sony, Twitter, Orange… – rappellent à quel point l’informatique est un élément vital et sensible. L’usage de tous ces services est si simple que l’on en oublie la complexité de leur mise en œuvre. Dans son dossier d’introduction en Bourse, Facebook a révélé l’importance de son infrastructure informatique. En 2011, plus de 600 millions de dollars ont été investis en serveurs, équipements de stockage et construction de datacenters. En 2012, ces investissements seront triplés à 1,8 milliard de dollars.
Quand ils se sont lancés, aucun fournisseur informatique au monde n’était capable de leur proposer une offre satisfaisante en cloud computing. “A l’instar des autres géants du Web, Facebook fait partie de ces entreprises qui ont réinventé l’informatique, rappelle Philippe Torres. Elle n’a que 14 ans. A terme, elle devra évoluer, prévient-il. La bête noire de l’informatique est le vieillissement. C’est très complexe à gérer en interne. Il y a inévitablement des résistances.”
8. Tes concurrents, tu surveilleras
“Quand ils arrivent à l’école, mes étudiants sont sur Facebook. A la fin de leurs études, ils sont sur LinkedIn.” Les élèves de Fréderic Fréry à l’ESCP Europe ne sont pas la majorité. Mais si tout le monde se met à utiliser Facebook, il perd nécessairement un peu de son côté exclusif. A l’inverse, surfer sur un réseau peu fréquenté n’a pas grand intérêt. Et pourtant de nouveaux réseaux sociaux, de plus en plus ségmentés, ciblés, voient le jour. Twitter bien sûr mais aussi Pinterest et Tumblr pour la photo, Path pour les mobiles ou encore “Best of All Worlds”, plateforme lancée récemment et réservée à 1 % de la population, l’élite mondiale. La concurrence vient aussi des nouveaux réseaux sociaux spécialisés. A l’instar de LinkedIn. Sans compter les offensives des concurrents directs comme Google qui ajoute une dimension sociale à toutes ses applications et ses services via sa propre plateforme baptisée Google+.
9. Tes utilisateurs, tu rassureras
Avec l’explosion de sa base d’utilisateurs, Facebook a maintenant beaucoup plus de responsabilité́s. De nombreuses plaintes ont déjà mis en cause la faible confidentialité et protection des données personnelles. En France, la Cnil est en première ligne. Concernant la problématique du ciblage publicitaire, puiser dans le vivier d’informations sur les utilisateurs est tentant. Pour les annonceurs, la valeur est immense. Mais attention, la performance publicitaire ne peut en aucun cas se faire au détriment de la confiance. “Le business de Facebook est de faire du datamining sur les clients. Pendant combien de temps les utilisateurs vont-ils tolérer d’être des produits ?”, s’interroge Frédéric Fréry. Les questions de e-réputation préoccupent de plus en plus les utilisateurs. Facebook doit en tenir compte et mieux prendre en compte la protection de ses utilisateurs. C’est ce qui différencie une start-up d’un grand groupe.
Chiffres clés
Facebook Chiffre d’affaires* : 1,2milliard$
Résultat d’exploitation* : - 743 millions $
Résultat net* : – 157 millions $
Capitalisation : 40 milliards $
Variation depuis l’introduction : – 51 %
Trésorerie : 10,4 milliards $
Utilisateurs : 955 millions, dont 81 % en dehors des Etats-Unis
Effectif : 3 976 employés
*(Q2 2012 en dollars)

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