Michel Riguidel est un imposteur
Première rédaction de cet article le 25 Mars 2011Dernière mise à jour le 26 Mars 2011
Je m'étais dit que je n'allais pas me livrer aux attaques
personnelles contre Michel Riguidel, malgré les
innombrables inepties dont il inonde régulièrement les médias à propos
de l'Internet. Néanmoins, comme il continue, et
semble disposer de bons relais médiatiques (il vient d'obtenir un
article dans le Monde et, apparemment, un certain nombre de
personnes croient qu'il est expert en réseaux
informatiques), j'ai décidé qu'il était temps de dire clairement que
Riguidel est à l'Internet ce que les frères
Bogdanoff sont à
l'astrophysique.
Il y a longtemps que Michel Riguidel
est... disons, « dans une autre sphère ». Rappelons-nous son immortel
appel à la lutte contre les « photons malveillants » dans le journal du
CNRS, sa mobilisation contre les « calculs illicites » et son show
au forum Atena.
Comme, sur les questions scientifico-techniques, les médias de
référence ne remettent jamais en cause leur carnet d'adresses, il
suffit d'avoir travaillé sur un domaine il y a de nombreuses années,
et on est un expert à vie, même dans les domaines assez éloignés
(cf. Claude Allègre parlant du
réchauffement climatique). Le tout peut être aidé par des titres ronflants comme « professeur émérite » (titre purement honorifique qui ne signifie rien et semble s'obtenir assez facilement) Riguidel a donc
obtenu pas mal de place dans le Monde, pour
nous expliquer que les Mayas avaient mal
déterminé la fin du monde, celle-ci surviendra, non pas en
2012 mais en 2015, suite à une « imprégnation
de la réalité physique et humaine par l'informatique » (la fusion des
robots et des humains, si j'ai bien compris son gloubi-boulga
pseudo-philosophique).
Certaines personnes de bonne foi m'ont demandé si je pouvais
répondre techniquement et concrètement à ses articles. Mais non, je ne
peux pas ! On peut argumenter contre un point de vue opposé, on ne
peut pas répondre à des textes qui ne sont « même pas faux », dont il
n'est tout simplement pas possible de voir quels sont les éléments
concrets, suspectibles d'analyse scientifique.
Prenons l'exemple de son long texte contre la
neutralité du réseau. (Malheureusement, il ne
semble plus en ligne. Florian Lherbette a fouillé et a trouvé une copie dans le cache de Yahoo que je mets en ligne sans autorisation et sans authentification. Je demande donc à mes lecteurs de me faire
confiance pour les citations ci-dessous. Remarquez, en les lisant, on
comprend que Riguidel n'ait pas republié ce texte ailleurs.)
On ne peut pas le corriger techniquement, il ne contient que des envolées
et du charabia (qui peut passer pour de la technique auprès d'un journaliste de Sciences et
Vie).
Tout son article mérite un prix global, ainsi que des prix
spécialisés.
Prix des faits massacrés : « Internet a été inventé par quelques
fondateurs, et rien n'a réellement changé techniquement depuis 1973. »
En 1973, IPv4, TCP, le DNS et BGP n'existaient pas... (Et ils
n'avaient aucun équivalent, la couche 3 et 4 n'étaient pas encore
séparées, par exemple.)
Prix de la frime : « En effet, sur un clavier, il est impossible
d'obtenir des octaves, des tierces, des quintes pures dans chacune des
tonalités et le demi-ton dièse et bémol ne produit qu'un son unique,
contrairement aux instruments comme le violon où il est possible de
diviser un ton en 9 commas et de distinguer un sol dièse d'un la
bémol. »
Prix de la langue française : Akamai, que Riguidel écrit Akamaï.
Prix d'Économie, option Capitalisme : « mieux vaut faire du MPLS de
transaction financière entre Boston et Los Angeles que de faire de la
Voix sur IP entre Paris et Dakar ! »
Prix du gloubi-boulga technologique : « Les success stories (comme
Skype) récentes sont souvent des applications qui utilisent une
liaison étroite entre l'application et le réseau, avec des protocoles
(STUN : RFC 3489 de l'IETF [...]), ouverts mais agressifs dans le but
de transpercer les architectures sécurisées. » alors que Skype,
service ultra-fermé, n'utilise pas le protocole standard STUN (qui est
d'ailleurs dans le RFC 5389).
Prix Robert Langdon : « Pour injecter de la sémantique dans les
« tuyaux » et sur les flux d'information des réseaux filaires (IP,
MPLS) et des réseaux sans fil de diverses technologies (environnement
radio 3G, Wi-Fi, WiMAX), on exhibe le volet cognitif par une
infrastructure de phares et de balises. On colle un système
d'étiquettes sur les appareils de communication (point d'accès Wi-Fi,
antennes WiMAX, boîtier ADSL , routeurs IP) et sur les trames Ethernet
des flux d'information. Ces étiquettes constituent, par combinaison de
symboles, un langage. »
Prix de l'envolée : « C'est cette « épaisseur des signes » de la boîte
grise de la communication qui permettrait d'éclairer une nouvelle
perspective de la neutralité informatique, en accord avec la science,
la technologie et l'économie. »
J'arrête là. L'article récent du Monde est de la même eau. Mais
Riguidel n'est pas qu'un pittoresque illuminé. C'est aussi quelqu'un
qui est cité comme expert dans des débats politiques, comme la
neutralité du réseau, citée plus haut ou comme
l'HADOPI dont il est le collaborateur
technique (tout en détenant des brevets sur les techniques que promeut
l'HADOPI. Celle-ci, dont l'éthique est limitée n'y voit pas de conflit
d'intérêts). Si Michel Riguidel n'était qu'un amuseur public, plutôt
inoffensif, je ne ferais pas un article sur lui. Mais c'est aussi un
promoteur de la répression (« Il est urgent d'inventer des instruments
de sécurité, opérés par des instances légales. » dans l'article du
Monde, glaçant rappel de la LOPPSI ou bien
« Ceux qui n'ont rien à se reprocher n'ont rien à craindre. » dans
l'article du journal du CNRS), un adversaire de la neutralité du
réseau et un zélateur de l'organisation de défense de l'industrie du divertissement.
Pourquoi est-ce que des organisations, certes répressives et
vouées à défendre les revenus de Johnny Halliday
et Justin Bieber, mais pas complètement
idiotes, comme l'HADOPI, louent-elles les services de Riguidel ? Parce
qu'elles sont bêtes et n'ont pas compris qu'il était un imposteur ?
Certains geeks voudraient
croire cela et pensent que l'HADOPI est tellement crétine qu'elle
n'est pas réellement dangereuse. Mais ce serait une illusion. L'HADOPI sait parfaitement que Riguidel n'est pas
sérieux. Mais son usage par cette organisation est un message fort :
HADOPI a choisi Riguidel pour bien affirmer qu'elle se fiche de la
technique, il s'agit juste de prouver qui est le plus fort, au point
de n'avoir même pas besoin de faire semblant de s'y connaître. Avoir
un imposteur comme consultant technique est une façon de dire
clairement aux geeks : « on se fiche pas mal de vos critiques
techniques, nous, on a le Pouvoir ».
Et pourquoi des journaux « sérieux » comme le Monde lui laissent-ils tant d'espace ? En partie parce que
personne n'ose dire franchement que Riguidel n'est pas un expert mais
un souffleur de vent. Et en partie parce qu'il faut bien remplir le
journal, que le contenu de qualité est rare, et qu'un histrion
toujours volontaire pour pondre de la copie est la providence des
journalistes paresseux. (Heureusement, les commentaires des lecteurs,
après l'article, sont presque tous de qualité et, eux, ils
correspondent à la réputation traditionnelle du journal.)
Sur le thème de l'article du Monde (la catastrophe planétaire par
extinction d'Internet), on peut lire des articles plus informés comme
le mien ou comme le
dossier de l'AFNIC sur la résilience. Sur l'article du Monde,
voir aussi un très bon point de vue dans un blog du Monde, l'analyse
de PCinpact et celle de Numérama. Si vous trouvez les commentaires trop favorables à ma thèse, lisez l'article de ZDnet où les commentaires mettent en doute mes compétences, mon savoir-vivre, ou la « technoscience » en général.
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