En résumé, elle fait l'hypothèse d'une catastrophe généralisée "trouvant son origine dans une série imprévue de pannes informatiques et de cybersattaques concomitantes", sorte de "guérilla numérique" orchestrée par des "opérateurs de télécommunications (et) fournisseurs de services voyous".
Ce pour quoi Michel Riguidel prône urgemment la mise au point de nouveaux "instruments de sécurité, opérés par des instances légales", et d'"imaginer une ingérence numérique démocratique afin de reconquérir notre souveraineté numérique".
Comme c'est souvent le cas, la lecture des commentaires permet de mesurer l'ampleur, sinon des dégâts, tout du moins du peu de cas que font les lecteurs de la proposition du professeur, nombreux étant ceux qui dénoncent un gloubi-boulga truffé de termes techniques abscons et mâtinés de bien mauvaise science fiction :
Jean-Marie Viprey :
Comment un texte aussi creux et aussi typique de la sous-littérature du complot peut-il se trouver indexé en page d'accueil du Monde ?
Qui veut (vendre de quoi) tuer son chien
l'accuse de la rage
Une des explications a trait à la personnalité de l'individu. Je ne
suis pas suffisamment expert en sécurité informatique pour savoir si,
comme l'estime Stéphane Bortzmeyer (qui, lui, est un véritable spécialiste des ces questions, cf Peut-on éteindre l'internet ?), "Michel Riguidel est à l'Internet ce que les frères Bogdanoff sont à l'astrophysique : un imposteur".Je sais, par contre, que Michel Riguidel a financièrement intérêt à souffler sur les braises, et prôner le contrôle de l'internet : il est en effet co-titulaire d'un brevet sur la sécurisation des flux internet, et il s'est vu confié une mission sur les moyens de sécurisation et le filtrage par l’HADOPI.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'HADOPI n'y voit aucun conflit d'intérêt.
La loi, c’est comme le code, on peut la « hacker »
Au-delà du petit commerce que pourrait éventuellement faire Michel Riguidel du contrôle (sinon de la censure) de l'internet, la conception politique qu'il se fait du réseau témoigne bien de cette moutarde qui semble monter au nez et à la tête d'un certain nombre de nos élites, comme le souligne, toujours en commentaire, une certaine Aline Maginot :L'explication n'est pas technique, elle est politique et tient tout entière dans la dernière phrase : "Il reste à imaginer une ingérence numérique démocratique afin de reconquérir notre souveraineté numérique." M. Riguidel, professeur "émérite" (ça veut dire "qui a fait son temps") veut le retour de l’État fort, comme sous De Gaulle. Il ne supporte pas ce qui fait pourtant tout le sel de l'internet : l'impossibilité pour les États-nations d'y imposer leur souveraineté.Mr Riguidel, les défenseurs des libertés sur l'internet sont certes minoritaires en nombre, et de plus en plus minoritaires plus on gravit l'échelle sociale de ceux qui ont aujourd'hui du pouvoir, tant dans les administrations publiques que dans les entreprises privées.
Nous sommes minoritaires tout comme l'étaient celles et ceux qui, dans les années 60-70, ont prôné la libération sexuelle, la révolution féministe, les droit des homosexuels.
Et je suis désolé, Mr Riguidel, mais je pense que nous avons déjà gagné, ne serait-ce que parce que vous avez perdu d'avance : sur l'internet, il ne peut pas y avoir de "souveraineté numérique", ou alors il faudrait nous expliquer qui serait en droit d'exercer cette souveraineté : l'Hadopi, le gouvernement français, celui des Etats-Unis ? Mais quid de la Chine, de la Corée du Nord ou bien encore de la Libye ?
L'internet est un réseau décentralisé, mondial, conçu pour que les paquets d'information arrivent à destination, quelles que soient les routes utilisées. Sauf à imaginer un gouvernement mondial, je ne vois pas de quelle souveraineté Michel Riguidel voudrait parler.
Les "petits cons" parlent aux "vieux cons"
Ce qui est étonnant, dans le scénario catastrophiste dressé par Michel Riguidel, c'est de voir à quel point ce qu'il dénonce s'inspire, en creux, de ce qui s'est déjà passé au moment de la création de l'Hadopi, qui a effectivement vu des citoyens anonymes se dresser, de concert avec des opérateurs de télécommunications et des fournisseurs de services, pour dénoncer un projet de loi inique, contre-productif, et dangereux (voir Rions un peu avec l'Hadopi).Ceux qui défendent les libertés numériques en général, et la neutralité du Net en particulier, ne sont pas des "voyous", et leurs méthodes n'ont rien d'une "guérilla numérique", mais tout d'un combat politique, motivés par le fait que, comme l'avait très bien résumé l'un des fondateurs d'eucd.info, ancêtre de la Quadrature du Net, "La loi, c’est comme le code, on peut la « hacker »", et qu'il n'y a pas de raison de s'en priver.
Ce qui, en d'autres termes, pourrait également être qualifié d'"ingérence numérique démocratique", non pas pour "reconquérir notre souveraineté numérique", mais pour peser dans le débat politique. Et nous ne sommes pas prêts de nous arrêter. Ne serait-ce que parce que nos conceptions de la société de l'information sont, sinon à l'opposé, tout du moins incompatibles (voir, par exemple, comment Marie-Françoise Marais, avant de présider la Hadopi, contribua à la censure de 45 000 sites web français).
Dans la bataille des anciens et des modernes, les "petits cons" font souvent peur aux "vieux cons" (expression qui, ici, n'a rien d'insultant, au demeurant, cf Les “petits cons” parlent aux “vieux cons”). C'est normal, et le contraire serait étonnant. Gageons que d'ici quelques années, de plus en plus nombreux seront ceux qui comprendront ce pour quoi les "petits cons" ne sont finalement pas si dangereux que ça, et que les "vieux cons" se feront une raison (voir aussi Les internautes, ce “douloureux probleme”).
La révolution sexuelle n'a pas fait du monde occidental un lupanar géant. La révolution de l'information ne fera pas des mondes numériques un bordel sans nom. Comme l'écrit si bien Laurent Chemla :
Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé.Illustrations extraites des affiches réalisées par Geoffrey Dorne à l'occasion du lancement d'une campagne de soutien à la Quadrature du Net.
Autant s’y faire.
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