Nouvelle étape dans notre découverte des « techniques secrètes pour faire craquer le consommateur »
avec une affirmation qui remet en cause une grande partie de
l’enseignement en économie et en marketing tel qu’il est encore
largement pratiqué (et appliqué). On a longtemps fait le pari, dans les
départements marketing et les écoles, que le consommateur exerce ses
choix en analysant rationnellement, le mix produit, c’est à dire l’offre qu’on lui propose.
Il n’en est rien !Les échecs du marketing
Au fil du temps, les traditionnelles recherches de marché, questionnaires, sondages, groupes de discussion ont montré leur limite.C’est bien connu que 80% à 90% des produits lancés sur le marché, échouent au cours de la première année. Pourtant, des études ont précédé leur lancement. Il y a donc un fossé entre ce que les gens disent et ce que les gens font.
Les questionnaires sont biaisés, le fait même de poser la question, fausse la réponse. Pourquoi ?!
Non le consommateur n’agit pas rationnellement !
Au départ, le marketing conçoit le consommateur à la lumière des connaissances issues de la micro-économie (classiquement vue comme la fonction de maximisation de l’utilité pour le consommateur) et de la psychologie (la psychanalyse, le béhaviourisme) dont on dispose dès les années 1960. L’homme est perçu dans les modèles microéconomiques, comme une boite noire, dont les décisions reposent sur le postulat de la rationalité : l’homme est un « homo oeconmicus » qui fait des choix rationnels ; des choix qui sont donc modélisables.C’est tout l’édifice de la théorie économique qui a historiquement posé l’hypothèse d’un agent économique rationnel, le fameux « Homo oeconomicus » que l’on va retrouver partout, raisonnant en accord avec les probabilités et qui est la cible du marketing, des publicités et des stratégies commerciales modernes.
L’avantage est évident : un consommateur rationnel décide de manière prévisible d’acheter tel ou tel produit / service en jaugeant ses caractéristiques, son « mix », en termes de prix, de valeur d’usage, de qualité, etc.L’Homo oeconomicus
L’homo oeconomicus est supposé être rationnel, ce qui veut dire, en économie, que ses critères de choix sont cohérents, et qu’ils sont guidés par un calcul-comparaison des coûts et des avantages.
Si
on martèle, avec une bonne pub bien répétitive, qu’un produit a les
meilleures caractéristiques, on peut prévoir que le consommateur va –
logiquement – le préférer aux autres grâce à ces arguments explicites, le mot a son importance comme vous allez le voir.
Le deuil du consommateur rationnel et prévisible
Mais voilà, cohérence et capacité de calcul ne suffisent généralement pas à déterminer des choix clairs et précis. Autrement dit, le consommateur réagit d’une manière qu’on ne comprend pas !
Au début des années 1970, la psychologie met en évidence de nombreuses erreurs commises par l’homme dans son processus de jugement (en tant qu’opération mentale consistant à accorder une probabilité à un événement). Un intérêt croissant s’est alors développé concernant nos capacités à raisonner (ou pas) de façon rationnelle dans des situations incertaines, pourtant quotidiennes (estimer la valeur future de l’euro, deviner le gagnant de la coupe Davis, le vainqueur de la future élection présidentielle, choisir telle ou telle offre commerciale..).Car il faut le reconnaître, le consommateur s’acharne à ne pas se conformer exactement aux prévisions et aux théories du marketing : si c’était le cas, alors tous les lancements de produits seraient des succès. Or, on ne sait pas toujours expliquer les échecs de certaines stratégies commerciales pourtant parfaitement pensées, parfaitement « rationnelles ». De même que certains succès spectaculaires sont tout à fait imprévus et sidèrent les professionnels…
L’objectif de tout consommateur rationnel est d’obtenir de son revenu dépensé un maximum de satisfaction : or, que fait Michel quand il choisit d’acheter un 4×4 allemand plutôt qu’un Duster Dacia ? Il ne fait pas le choix du meilleur rapport qualité-prix. Que fait Sonia quand elle achète tout son thé et son café dans une marque équitable plus coûteuse ? Elle ne fait le choix du meilleur prix mais se fonde sur d’autres critères ?
Le consommateur rationnel des modèles économiques ne se retrouve pas dans les magasins.
Pourquoi Daniel a-t-il choisi une bouteille de Bordeaux prestigieux, influencé par la musique classique du magasin ? Pourquoi Stéphanie achète-t-elle toujours plus qu’elle n’en n’avait l’intention dans ce magasin au couleurs vives fréquemment renouvelées ?De fait, de plus en plus de travaux d’économie expérimentale le confirment : la plupart des expériences avec des personnes en chair et en os montre qu’elles ne se comportent pas comme le postule la microéconomie — ce qui met en cause la pertinence même de celle-ci, du moins sous sa forme actuelle.
Un consommateur soumis à des normes et à une inertie sociales
Pas grave, rétorquent certains économistes, qui expliquent que puisque l’homo oeconomicus n’est pas rationnel, c’est parce qu’il est avant tout un homo sociologicus, soumis dans ses choix à des critères sociologiques et sociaux qui guident ses choix. (1) Le respect des normes, sociales notamment pèserait sur nos choix comme un déterminisme.
Pendant
des années, la bataille va faire rage entre deux camps : celui issu du
monde économique et celui issu du monde de la sociologie qui prend en
compte l’homme sous un ange plus large « Une des lignes de clivage
les plus tenaces à l’intérieur du domaine des sciences sociales est
celle qui oppose deux formes de pensée que l’on associe respectivement
aux noms d’Adam Smith et d’Emile Durkheim : c’est l’opposition entre
Homo oeconomicus et Homo sociologicus » explique Ion Olster.
Le poids incontournable des émotions
Des économistes (Deppe et al. 20054) ont montré que le consommateur ont tendance à mobiliser des perceptions et des idées personnelles quand ils sont dans la phase de décision d’achat. Tout un courant de pensée (issu de la réflexion sur la rationalité située) s’appuie sur les apports de la psychologie : .
On
a commencé d’accorder de plus en plus d’attention aux hypothèses d’un
consommateur qui n’est pas parfaitement capable d’émettre des jugements
rationnels. La rationalité (du consommateur) devient un nouvel objet
d’étude au sein de la démarche scientifique (par exemple de l’économiste
Simon [1985]).
Les théories cognitives des émotions réfutent l’homo oeconomicus
On voit apparaître des théories somatico-cognitives des émotions (inspirée de d’Antonio Damasio. ) qui considèrent que les émotions sont constituées de jugements ou de croyances axiologiques, et qui donne aux émotions un grand rôle dans l’explication du processus d’achat.Des théories plus ou moins complexes (les marqueurs somatiques, etc.) nous expliquent que, pour faire simple, nous sommes ne sommes que des animaux biologiques soumis à leurs émotions.
L’avoir
oublié est la grande faiblesse de tout un pan du marketing moderne
représenté par le fameux Kotler et Dubois, un manuel de marketing que
des générations d’étudiants ont utilisé et utilisent encore dans le
monde entier.
Pourtant, ce manuel,
icône de l’édition universitaire, fait quasiment l’impasse sur tout ce
que la science nous a appris et considère toujours le consommateur comme
un être rationnel faisant des choix explicites et prévisibles !
La 13ème édition de Marketing Management de Philip Kotler ne consacre qu’une seule simple page, sur 700, « aux heuristiques » et aux découvertes des neurosciences. Marketing Management
ne dit rien de tout ce qui réfute la théorie de « l’homo oeconomicus»,
base conceptuelle du Marketing hérité de la micro-économie des années
1960.
Toute décision implique des émotions et … des processus physiologiques
A partir de là, on commence à s’intéresser à nos représentations mentales, comprises comme des images au sens large, c’est-à-dire impliquant les cinq sens.
Ces images peuvent tout autant être directement perceptives qu’imaginaires, seraient naturellement associées des manifestations affectives, nos émotions donc. Ces émotions, en tant que telles, sont soit positives soit négatives, c’est-à-dire soit agréables soit désagréables, comme le sont respectivement la joie et la peur, et cette bipolarité est ainsi directement corrélée au contenu de nos représentations.On comprend alors que l’émotion est vecteurs de rationalité pratique : autrement dit, ce sont les émotions qui sont sur quoi s’appuient nos décisions (d’achat). Des chercheurs ont mis en évidence le rôle profond de l’empathie :
Cela fait suite à la découverte des neurones miroirs « qui
s’activent lorsqu’on fait un geste particulier, lorsqu’on imagine le
faire ou encore lorsqu’on le voit s’accomplir chez autrui (même de façon
statique sur une photo) », et qui seraient le support de l’empathie et de l’apprentissage par imitation. Ils en tirent la leçon que toute « présentation produit » doit se faire en situation avec un utilisateur actif, pour que les neurones miroirs du regardant soient activés « comme si » le geste était réalisé. Cette « empathie » motrice serait plus persuasive que la vision simple du produit.
Les bases de l’irrationalité du jugement humain
Mais les bases de notre non rationalité ne se limite pas au rôle des émotions. En effet, des chercheurs expliquent que ce sont nos limites propres qui font que nos processus de décisions sont limités voire déficients :
Lévy-Garboua
et Montmarquette [2004] font l’hypothèse d’agents cognitivement limités
qui sont soumis à la séquentialité de leur perception. L’homme ne peut traiter simultanément toutes les perceptions qu’il reçoit. C’est pourquoi, son jugement ne peut être parfaitement prédit par la norme bayésienne (rationnelle).
L’homme
que le marketing suppose capable de faire des évaluations, des
« probabilités », pour calculer le meilleur choix, est remis en
question.
Plusieurs
approches psychologiques remettent en cause cette hypothèse d’un «
homme statisticien » par nature. Nous nous attarderons particulièrement
sur ce que Kahneman et Tversky [1974] appellent « l’heuristique de
représentativité ». Lévy-Garboua et Montmarquette [2004] proposent un
modèle de jugement qui fait l’hypothèse d’un individu fondant ses
jugements de manière disproportionnée sur la valeur normative des
probabilités et sur « l’impression » des événements : autrement dit, ils
nous expliquent qu’au lieu de « calculer », le consommateur se
raccroche à des idées toutes faites et à ses sensations.
Résumons la vision classique de la boîte noire qui décide
Des économistes nous ont démontré (2) comment les théories économiques de la prise de décision — comme par exemple une décision d’achat— ont jusqu’à il y a peu fait l’hypothèse que ces décisions sont le résultat d’une délibération consciente, voire rationnelle.Les modèles les plus traditionnels supposent ainsi que la prise de décision, et, partant, le traitement de l’information d’une manière générale, consiste en 3 étapes organisées de manière strictement linéaire et sérielle :
(1) La perception d’un stimulus (par exemple, un message commercial),
(2) L’évaluation consciente,
via des processus inférentiels opérant sur des représentations mentales
de différents aspects du problème, de la valeur affective ou économique
de ce stimulus, et
(3) La programmation de la réponse comportementale appropriée.
Or,
cette perspective « entrée-sortie» du traitement de l’information est
maintenant totalement obsolète, en particulier depuis l’avènement des
modèles d’inspiration neurale (McClelland & Rumelhart, 1986).
On sait aujourd’hui que le cerveau opère selon des principes radicalement différents : nos actes d’achat sont directement influencés et même déterminés par des facteurs cognitifs et affectifs
On ne peut pas se fier à notre cerveau !
Notre cerveau nous trompe tout le temps ! Eh oui. Comme on le verra avec les 9 principaux biais cognitif, nous sommes influencés dans nos choix sans nous en rendre compte.De plus les décisions d’achat que nous faisons, ne passent la plupart du temps pas par la case « conscience » mais vont directement au cerveau limbique, dans la case « inconscience », autrement dans le lieu des décisions faites à notre propre insu ! Rappelez vos la Madeleine de Proust et le rôle puissant de l’émotion liée aux sens.
Le marketing ne prenait en compte que la pointe de l’iceberg qu’est l’homme. Aujourd’hui, on sait que c’est dans la partie immergée de la nature humaine que se joue une grande partie du processus de décision. Mais cette partie immergée est autrement plus complexe que la vision boite noire simpliste qu’on en avait il n’y a encore pas si longtemps.
A quoi peut-on se raccrocher pour convaincre le consommateur potentiel ?
Alors si le consommateur ne réagit plus de manière prévisible ni rationnelle, sur quoi s’appuyer pour proposer un marketing ou des publicités efficaces qui aient les résultats escomptés ? C’est à ce stade qu’interviennent deux notions :1 – la formule de Bayes qui va servir pour modéliser la cognition : nous y reviendrons dans un article dédié à cette formule magique que la science moderne redécouvre.
2 – les neurosciences qui permettent de sonder le fonctionnement (irrationnel) du cerveau
Dans les deux cas, on cherche à cerner la « logique floue » dans laquelle évolue le consommateur quand il fait ses choix. On va voir qu’il y a de multiples manières de le faire. A bientôt pour la suite…
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