Les auteurs de "Un quinquennat à 500 milliards" étrillent la gestion du président.
Nicolas Sarkozy et son avion présidentiel, un Airbus A330-200 entièrement réaménagé, qui a coûté 176 millions d'euros à la France en 2010. Son entretien doit coûter 49 millions d'euros les trois premières années d'utilisation, puis 10 millions par an au-delà de 2013. © Charles Platiau - Thierry Perron / AFP
Posez vos questions aux auteurs d'Un quinquennat à 500 milliards, Mélanie Delattre et Emmanuel Lévy en déposant votre question dans la partie Commentaires en bas de cet article
La scène est surréaliste. "Tu vois, j'ai gagné ! J'ai gagné !" lance, triomphant et vengeur, Nicolas Sarkozy au député du Nouveau Centre Charles de Courson, présent à l'Élysée pour une cérémonie début 2010. De quelle victoire si importante se prévaut donc le président de la République ? D'avoir fait baisser le chômage ou rétabli l'équilibre du commerce extérieur ? Rien de tout cela, bien sûr. Nicolas Sarkozy se félicite des 390 millions d'euros qui vont échoir au couple Tapie (dont 45 au titre du préjudice moral) à la suite d'un arrêt du Conseil d'État qui rejette le recours intenté par quelques députés, dont Courson, contre les conclusions d'un tribunal arbitral sur l'affaire Adidas-Crédit lyonnais. "J'ai gagné ! J'ai gagné !" Stupéfiant car, si victoire il y a, c'est celle de Tapie, l'ami du président. Et pas du tout celle de l'État, contraint de faire un gros chèque.
Auteurs d'Un quinquennat à 500 milliards, Mélanie Delattre, journaliste au Point, et Emmanuel Lévy, à Marianne, recensent avec gourmandise et sévérité les petites et grandes libéralités du président de la République avec ses "amis" Liliane Bettencourt ou Guy Wildenstein, ou, fait moins connu, avec Hubert Martigny, auquel l'État a racheté à prix d'or la salle Pleyel. Quand ils ne cherchent pas la petite bête, les deux auteurs se mettent aussi en surplomb pour livrer aux lecteurs-électeurs le "vrai bilan" économique du quinquennat Sarkozy. Et là ils ne font pas dans la dentelle. Leur audit étant assez terrifiant, on pourrait le juger militant. Mais les faits sont les faits. Depuis que Nicolas Sarkozy est arrivé au pouvoir, la dette de la France a augmenté de 630 milliards d'euros, passant de 1 150 milliards à 1 780 milliards d'euros. Énorme. L'Élysée, relayé par Bercy, met ces résultats - "calamiteux", pourrait dire Alain Juppé - sur le compte de la crise économique la plus grave depuis 1929. Trop facile, rétorquent Delattre et Lévy. S'appuyant sur des documents officiels, ils montrent que la crise de 2008, en abaissant les recettes et en grevant les dépenses, aurait alourdi la dette de 109 milliards d'euros. Mais le reste, entièrement imputable au président, s'élève à 520 milliards d'euros (le titre de leur livre l'arrondit à 500). Explications : "Le budget dont a hérité Nicolas Sarkozy, à l'instar d'une voiture mal réglée (...), grillait 3,2 points de PIB." Plutôt que de "soulever le capot pour régler la machine", l'Élysée a laissé filer. En ne freinant pas cette dérive, il a fait gonfler la dette de 370 milliards d'euros. Auxquels s'ajoutent 153 milliards, car "le nouveau président a aussi appuyé sur le champignon". Nicolas Sarkozy, l'homme qui voulait mettre l'État à la diète, a fait bondir la dette publique de la France de 20 points (dont seulement 5,5 imputables à la crise) !
Le syndrome de Pénélope
Où est la "véritable révolution économique" promise au pays ? Le président a certes ouvert un nombre impressionnant de chantiers qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait osé toucher. Il s'est attaqué au marché de l'emploi, à la représentativité syndicale, au regroupement de Pôle emploi et des Assedic, à la carte des tribunaux, à la formation professionnelle et même aux régimes spéciaux de retraite (tout juste écornés, cependant)... L'hyperprésident a été hyperactif. Mais alors, pourquoi la réussite n'est-elle pas au rendez-vous ? En exposant les raisons de la dérive économique et financière du pays durant le quinquennat, les deux auteurs n'ont pu s'empêcher d'évoquer la personnalité d'un président qu'ils qualifient de "caméléon". Pour eux, Nicolas Sarkozy "n'a jamais eu de véritable substrat idéologique en matière économique". Libéral, il a un temps prôné des subprimes à la française ; interventionniste, il vole au secours des entreprises en difficulté, croyant, chaque fois, renouveler le coup d'Alstom ; ami des P-DG (ah ! le Fouquet's), il flirte aussi avec la CGT.
Sarkozy schizophrène, comme le prétendent les auteurs ? Quatre ans après, en tout cas, son "message est brouillé". Quand il arrive en 2007 à l'Élysée, Sarkozy est attiré par la Grande-Bretagne (surtout celle de Margaret Thatcher) et ignore l'Allemagne. En fin de mandat, c'est tout le contraire. Élu en promettant de baisser les prélèvements obligatoires de 4 points, il a fait preuve d'une redoutable créativité pour inventer des impôts : taxe sur le poisson, les huiles de moteur, la copie privée des disques durs, la téléphonie et Internet, les sodas, les assurances... L'acte économique fondateur du quinquennat, cela n'a pas échappé aux auteurs, c'est, bien sûr, la loi Tepa de l'été 2007. L'esprit en est limpide : il faut laisser les riches s'enrichir, car toute la société en profitera. Voilà comment arrivent les exonérations massives des droits de succession et le fameux bouclier fiscal, manière déguisée de réformer l'ISF. Voilà comment arrive aussi, en vertu du "travailler plus pour gagner plus", l'exonération d'impôts et de charges sur les heures supplémentaires, manière de contester les 35 heures. À ces mesures coûteuses s'ajouteront la pérennisation, l'augmentation ou la création de niches fiscales (exonération des plus-values sur les cessions de titres des entreprises, crédit impôt-recherche, TVA réduite pour les restaurateurs...). Le plus déconcertant, c'est que, dans une volte-face rare, le président va détricoter une partie de la loi Tepa. "Même au pays de l'instabilité fiscale, on n'avait jamais vu une majorité défaire en fin de mandat ce qu'elle avait voté à son arrivée."
Le paradoxe de Bercy
Tout aussi troublant, à aucun moment la question d'une baisse des dépenses n'est posée. Elles ne cesseront donc de grimper (de 52,4 % du PIB à 57 %, niveau exceptionnel pour un grand pays industrialisé). Sarkozy a conforté son image de "dépensier" acquise lors de son passage au Budget en 1993. Ses tentatives pour dompter le mammouth étatique n'ont ni connu de grands résultats ni ouvert de grandes perspectives. Il est vrai que le président lui-même ne donne pas l'exemple. Si - et les auteurs le soulignent - le budget de l'Élysée n'a jamais été aussi transparent, cela n'empêche pas les dérapages : voyages multiples avec des cohortes d'accompagnants, augmentation des effectifs, factures de travaux, service d'ordre à l'américaine...
Plus sérieusement, la mesure emblématique consistant à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite n'a pas produit de miracles comptables (264 millions d'euros net d'économies en 2009). Il est vrai que "plus de 80 % des économies sont allées non dans la poche du contribuable..., mais dans celle des fonctionnaires". Le "1 sur 2" pécherait par son côté aveugle : "La démarche est purement quantitative." Une critique que l'on retrouve pour la Révision générale des politiques publiques, qui ne s'interroge pas, comme l'ont fait le Canada et la Suède, sur l'utilité de certains services. Le dévoiement de ces bonnes intentions est illustré aussi par la fusion des deux services-phares de Bercy, la Direction générale des impôts (elle encaisse) et la Direction générale de la comptabilité publique (elle calcule).
Politique budgétaire
On ne compte plus les ministres qui se sont cassé les dents sur le projet. Beaucoup en avaient rêvé, Sarkozy, lui, l'a fait. Chapeau, l'artiste ! Pourtant, nos compères du Point et de Marianne (ils ont la dent dure) ne lui en reconnaissent qu'un mérite relatif. La fin des bastilles de Bercy, écrivent-ils, "aurait pu être érigée en symbole de la rupture promise avant la campagne". Au lieu de cela, le gouvernement est très "discret sur le sujet". La raison ? Les économies attendues ne sont pas au rendez-vous. Car "le choix a été fait d'aligner les salaires des personnels vers le haut", ce qui, pour certains, a engendré des gains de 30 à 40 % "sans bouger de leur siège". Si les effectifs ont baissé, la masse des rémunérations, elle, a augmenté.
"Le président a toujours été plus pragmatique que dogmatique", résume un haut fonctionnaire chiraquien cité par Delattre et Lévy. Ils expliquent de la sorte les deux bonnes surprises du mandat, la réforme des universités et la réforme sur les retraites, cette dernière n'ayant jamais été promise par le candidat Sarkozy. Tout au contraire : "Le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer", déclarait-il. Les auteurs du Un quinquennat à 500 milliards expliquent l'activisme du président à propos des retraites par le besoin de l'Élysée d'accomplir en fin de mandat "un acte politique marquant" qui permet de faire apparaître la gauche comme ringarde. La stratégie marche plutôt bien. Au point, d'ailleurs, que le président cherche à refaire le coup avec la "règle d'or" sur les équilibres budgétaires, laquelle n'était pas non plus au programme. L'homme qui pèse 500 milliards n'a peur de rien. Car l'épisode de la Cades en dit long sur la conversion toute récente du président de la République à la vertu budgétaire. En octobre 2010, la Cades, caisse où l'on a pris l'habitude de loger les déficits de la Sécurité sociale, a été autorisée à emprunter 130 milliards d'euros supplémentaires. Créée par Alain Juppé en 1996, elle devait disparaître en 2009 (en même temps que sa recette, la CRDS, acquittée par tous les Français). Lionel Jospin avait repoussé l'échéance à 2014, Jacques Chirac à 2018. Sarkozy crève le plafond en passant à 2025. Dans la crise internationale, le "candidat de la rupture" a certes fait preuve d'esprit de décision et d'initiative, souligné dans le livre. En revanche, pour ce qui est de la politique budgétaire, "il n'a fait que marcher dans les traces de ses prédécesseurs". Cela ne vaut pas condamnation, concluent Delattre et Lévy. Même si le mandat est un "fiasco" économique, "à quelques mois de la présidentielle tout laisse à penser que le président sortant sera davantage jugé sur sa stature d'homme d'État que sur son bilan".
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