dimanche 10 novembre 2013

Faut-il avoir peur de la cybersurveillance ?

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La cybersurveillance est-elle passée de la discipline au contrôle? A quel stade en est Big Brother? C'est le thème de la Philo de l'Info, rendez-vous du vendredi à 19H15 en partenariat avec philosophie magazine.

Intrusion © Maxppp
Les scandales liés à la cybersurveillance se succèdent à un rythme rapide. Cette semaine, l'opérateur téléphonique belge Belgacom a reconnu que son système informatique avait été victime d'une "intrusion".
On ignore encore si les données possédées par Belgacom ont été "hackées" par les services secrets britanniques, américains, ou par une société privée chinoise, qui ont tous été cités parmi les suspects.
Cette affaire d'espionnage s'inscrit dans un contexte global où les révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden sur les activités de la NSA – techniquement capable d'intercepter toutes les communications mondiales – ou encore la sortie brutale de Marissa Mayer, patronne de Yahoo !, contre " le gouvernement tyrannique " des Etats-Unis, nous habituent progressivement à l'idée que l'ensemble de nos communications téléphoniques, de nos mails et de nos données personnelles sont collectées, tant par des sociétés privées comme Google que par des départements d'Etat.

Posons maintenant la question épineuse : cela pose-t-il problème ?

L'attitude de la plupart des citoyens par rapport aux outils de surveillance contemporains repose en général sur le syllogisme suivant : " Moi, je m'en fiche, je n'ai rien à me reprocher. " Pourquoi ce syllogisme est-il faux ? Parce qu'il fait comme s'il était question de morale, alors que l'enjeu porte ici uniquement sur la valeur concrète des informations, aujourd'hui ou dans le futur.

Donnons des exemples:

Si quelqu'un se met du jour au lendemain à rechercher compulsivement des articles en ligne sur le cancer du foie ou sur le sida, c'est probablement qu'il vient de tomber malade... Voilà une information pour laquelle une compagnie d'assurances pourrait verser un bon prix. Lorsque votre sœur était enceinte, elle a fait une amniocentèse et le laboratoire médical lui a envoyé quelques semaines plus tard l'examen du caryotype de l'embryon par email : très pratique, et pas complètement dépourvu d'intérêt. Le secret médical, comme toutes les zones de la vie sociale dont l'accès est en principe protégé, est aujourd'hui fragile.
Plus généralement, nous sommes en train de vivre le passage de la "société du spectacle" à la "société de l'information". Dans les années 1980, c'était la logique du spectacle qui prévalait. Pour exister, il fallait passer à la télévision. Et pour critiquer la télévision, il fallait le faire à la télévision, ce qui vous plaçait dans un cercle vicieux – Pierre Bourdieu en a fait les frais.
Comme le faisait malicieusement remarquer Guy Debord, si Karl Marx avait publié le Capital à l'ère du spectacle, il serait passé dans une émission littéraire en fin de soirée pour expliquer ses thèses, le présentateur l'aurait félicité, aurait recommandé son livre, et le lendemain tout le monde l'aurait oublié. Le spectacle était centralisé, conçu et réalisé par quelques sociétés de production et personnalités célèbres, et destiné à des spectateurs qui, s'ils n'étaient pas entièrement passifs, s'en trouvaient presque tous exclus. Mais nous n'en sommes plus là. Nous vivons à l'ère de l'information.

La télévision n'est plus le média le plus important, c'est Internet et les téléphones portables qui désormais dominent.

Conséquence, chacun est à la fois récepteur et émetteurd'informations. L'ère du spectacle engendrait des comportements de consommation moutonniers, grégaires ; à l'ère de l'information, les entreprises sont capables de cerner de manière très fine les préférences de chaque individu et de l'orienter vers des produits et des services adaptés. L'ère du spectacle altérait le fonctionnement de la démocratie par la propagande et la désinformation ; l'ère de l'information se nourrit paradoxalement de la vitalité de la conversation démocratique pour accroître le contrôle.

L'ère de l'information est effrayante, parce que vous ne pouvez plus vous cacher, que vous n'y avez pas de vie privée.

Mais elle est aussi stimulante : en effet, il est possible à un individu seul, s'il possède une information vérifiée et sensible, de déstabiliser une compagnie privée ou un Etat, fût-ce le plus puissant aumonde – c'est ainsi que Julian Assange ou Edward Snowden ont considérablement ébranlé le prestige des Etats-Unis. Ainsi, nous sommes bien confronté à unesorte de nouveau Big Brother – sauf qu'il n'a pas une seule tête mais plusieurs, et que ses pieds sont d'argile.
Alexandre Lacroix, directeur de la rédaction de Philosophie Magazine.


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