lundi 13 janvier 2014

Il n’y a pas de managers parfaits

26/11/2013 | par Maurice Thévenet | Management
C'est déjà assez délicat de manager, mais quand la crise s'y met, ça devient compliqué. Pourtant, il faut se faire une raison, il n'y a pas plus d'organisations parfaites que de managers irréprochables qui réussissent tout ce qu'ils entreprennent. Alors, autant reconnaître les difficultés et les connaître, pour relativiser les échecs.
À plusieurs reprises ces derniers mois, j’ai rencontré des managers des collectivités territoriales ou du secteur associatif et social. Le but de la rencontre consistait toujours à présenter les évolutions actuelles du rôle et de la mission du manager. Les feedbacks après la rencontre ont toujours été les mêmes, à savoir une satisfaction d’avoir pris de la distance vis-à-vis d’une vision de la mission trop pessimiste, trop procédurière et culpabilisante plutôt que modestement humaine.

Assez d’être un punching-ball
En effet, nombreuses sont les institutions où le management n’attire plus. Les candidats plus ou moins volontaires sont toujours attirés par la rémunération et le statut plutôt que par la lourde mission de faire travailler ensemble des personnes. Manager est une source inépuisable d’occasions de se voir renvoyer de soi une image peu flatteuse et lasse d’être le punching-ball, la risée ou le bouc émissaire dans le travail. Beaucoup fuient cette responsabilité pour se réfugier dans des statuts d’expert.
Il est vrai que manager n’est pas facile mais on ne connaît pas de grand orchestre sans chef, d’équipe sportive sans capitaine ou de bande sans leader. Il est donc temps de dépasser la plainte ou la naïveté pour regarder en face les difficultés avant d’explorer quelques pistes pour mieux les assumer.

Les trois tensions managériales
Trois sources de difficulté sont généralement invoquées. La première tient à la situation économique. La mission du manager est de rendre efficace une action collective alors que la pression sur la performance est forte quand la croissance disparaît, quand la concurrence s’intensifie, quand il est plus difficile de persuader des consommateurs et de faire des résultats. En période de croissance et de richesse, la brise du succès cache toutes les imperfections, les faiblesses ou les hésitations mais la situation devient impitoyable en cas de mauvaise fortune. Keynes – et la Bible avant lui – nous avait pourtant invités à faire des réserves en période de croissance pour mieux traverser les périodes difficiles…
La deuxième tient à la nature même de l’action managériale : s’occuper des autres. La mission n’est pas aisée quand les observateurs nous décrivent une société de méfiance, de peur et de grande susceptibilité. Il n’est pas facile non plus de manager quand les notions d’autorité, de respect, de travail ne sont pas toujours partagées.
Les managers ont aujourd’hui, peut-être plus encore que dans le passé, le sentiment de se situer entre le marteau et l’enclume
La troisième source de difficulté tient aux managers eux-mêmes. Eux aussi ont une vie, des problèmes personnels, sans même parler d’une exposition aux risques psychosociaux. Pourquoi devraient-ils prendre en charge les autres, une tâche qu’ils considèrent comme ingrate, aussi peu reconnue par les institutions que par leurs collaborateurs. Les managers ont aujourd’hui, peut-être plus encore que dans le passé, le sentiment de se situer entre le marteau et l’enclume : d’un côté les agents leur font porter le poids de leurs maux ; d’un autre côté ils ont le sentiment que les décisions se mettent en œuvre au-dessus d’eux, par des dirigeants qui les considèrent comme des grognards, ceux qui râlent mais avancent toujours.

Les managers aussi ont une vie, des problèmes personnels, une exposition aux risques psychosociaux

Relativiser les difficultés
Évidemment, certains accuseront l’économie et les organisations actuelles, quand ce n’est pas la crise, la mondialisation ou le réchauffement de la planète. Force est pourtant de constater que manager a toujours été difficile. Il y a plus de 3 000 ans déjà, Moïse se plaignait de la difficulté à diriger des Hébreux qui n’arrêtaient de se plaindre de la marche et de la nourriture alors qu’il venait de les faire fuir d’Égypte ! S’il y a quelque chose d’intrinsèquement difficile à manager, il faut trouver les moyens de l’accepter et de faire avec. À défaut de résoudre les difficultés, il est toujours raisonnable voire utile de les relativiser. Cela peut se faire de trois manières.
Premièrement, il ne faut pas se tromper sur les sources de satisfaction et de plaisir à manager. À cette question, les managers expérimentés répondent que leur plus grand plaisir est d’avoir eu une influence positive sur la carrière ou le développement professionnel de quelqu’un : avoir repéré un potentiel, l’avoir aidé plus ou moins discrètement, avoir préparé son cheminement sans que la personne ne s’en rende toujours compte. Voici ce que les psychologues appellent une motivation intrinsèque, de celles qui vous aident à vivre beaucoup plus tard, à la retraite, quand vous cherchez les moments importants d’une carrière, ceux qui aident à s’accepter…
il suffit – ce n’est pas si simple – d’accepter que manager soit une mission ingrate
Deuxièmement, il suffit – ce n’est pas si simple – d’accepter que manager soit une mission ingrate. C’est plus facile à faire quand on le sait, quand on ne surinterprète pas de manière trop personnelle les affres du métier. Comprendre les difficultés inhérentes à la mission, c’est se donner les capacités de prendre de la distance. Pour le dire de manière cynique, à la manière de Schopenhauer, ne pas avoir d’attentes, c’est le meilleur moyen d’éviter la déception.
On ne peut pas éviter tous les frottements
Troisièmement, il est toujours nécessaire de lutter sans fin contre des approches impropres du management auxquelles on est souvent tenté de s’abandonner. L’une d’elles consiste à attendre des règles, des structures ou des systèmes – quand ce n’est pas de la loi – qu’ils définissent des modalités idéales de management. On réclame des organisations nouvelles, on attend des étages les plus élevés de l’organisation qu’ils accordent des droits, définissent des règles, encadrent l’activité managériale pour la rendre enfin incolore, inodore et sans saveur. On rêve d’un système qui éliminerait de l’expérience managériale tous les frottements ! Seuls les exercices de physique des lycéens supposent que le monde réel soit sans frottements. Ceux-ci ne sont pas une scorie de l’action collaborative, ils en constituent la nature même.
Une autre approche trompeuse consiste à imaginer l’existence d’un manager idéal. C’est souvent la réaction de managers qui admettent sans malice qu’il existe les doués et ceux qui ne le sont pas, ceux qui sont tombés très jeunes dans la marmite du management et ceux qui en ont été préservés. Les premiers sont heureux d’être si bons, les seconds ne sont pas mécontents de ne plus avoir grand-chose à faire puisque, de toute manière, ils ne sont pas doués : dans cette approche, chacun s’y retrouve. Certaines théories contestables du management renforcent d’ailleurs ce sentiment.
Injonction est faite au manager d’être charismatique, visionnaire et leader inspirateur
L’injonction faite au manager d’être charismatique, visionnaire et leader inspirateur, c’est une autre manière de lui dire que, sans ces qualités, ils ne lui reste que ses yeux pour pleurer ! Culpabilisés par cet état de fait, certains s’épuisent à atteindre le niveau du manager idéal et ils se rendent malades de ne pouvoir approcher l’inaccessible. Il n’y a pas plus de managers parfaits que de parents parfaits. Toute la question est d’apprendre de ses échecs et de ses succès, de prendre de la distance par rapport aux événements, aux personnes et aux situations. Cela ne résout pas les problèmes, diront certains, mais cela aide à les confronter.
Le plus frappant dans les réactions évoquées en introduction de cet article, c’est la difficulté, sinon la souffrance, exprimée par ces managers. Il est vraisemblable qu’ils avaient de la difficulté à cacher ces sentiments à leur entourage et les montrer aux autres ne doit pas les inviter à des attitudes plus propices à un peu de bon sens anthropologique, de mesure et de raison. Prendre de la distance, c’est aussi se donner les moyens de l’humour qui pourrait être tout aussi communicatif que l’aigreur, le pessimisme et la tristesse.

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