Dans
un siècle, le biographe de Mark Zuckerberg remerciera-t-il dans les
notes de bas de page ses descendants pour avoir mis à disposition emails
et messages Facebook, comme les biographes remercient aujourd’hui les
héritiers d'une personnalité de leur avoir donné accès à ses courriers?
Pas besoin d’être le fondateur de Facebook pour avoir une vie en
ligne: courriels, documents conservés sur Google Drive, comptes Facebook
ou Twitter, comptes PayPal et musique sur iTunes... Nous avons tous des
biens numériques.
Devrait-on les inclure dans un testament, du type:
Devrait-on les inclure dans un testament, du type:
«Je soussignée Cécile Dehesdin lègue mes emails à mon conjoint et ma bibliothèque iTunes à mes enfants...»
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La loi Informatique et Libertés prévoit que les héritiers peuvent demander l'actualisation des données personnelles d’un défunt
(la possibilité de dire qu'une personne est décédée et de demander que
cette mort soit prise en compte dans les fichiers), mais pas qu’ils
puissent se les voir transmettre, explique l’avocate Luce-Hélène Capsie,
qui donnera une présentation sur les données et la mort en janvier prochain dans le cadre de l'université des Correspondants Informatiques et Liberté, à Issy-les-Moulineaux.J’ai posé la question à mon notaire, Maître Marc Cagniart, pour qui cette loi réglemente l’usage des données, «mais pas la transmission d’une succession». Pour lui, on «ne distingue pas une chanson d’une voiture» à la mort d’une personne: «Quand quelqu’un décède, ses héritiers héritent de tout son patrimoine», et les emails, les photos, font partie du patrimoine du défunt.
En théorie, donc, vos enfants pourront avoir accès à vos messages
Facebook. Le plus simple pour ça reste encore de connaître vos
identifiants et mots de passe, ou d’hériter d’un ordinateur où ils sont
enregistrés, histoire de ne pas avoir à demander d’autorisation.
Mais le cas échéant, estime Maître Nathalie Couzigou-Suhas, notaire à Paris, vous
pouvez demander l’accès au compte au service en ligne, pourvu d’une
preuve du décès de la personne et de votre statut d’héritier légal.
Pour Maître Cagniart, on peut faire la comparaison avec quelqu’un qui aurait ouvert un coffre-fort à la banque:
Récupérer des données, peut-être, mais récupérer des identifiants? Il n’est pas sûr que le juge donnerait raison à des héritiers voulant les mots de passe de leurs parents pour autant. Dans un passionnant mémoire à l'Edhec intitulé Mourir en ligne: les héritiers peuvent-ils accéder aux données du défunt? (PDF), Juliette Crouzet explique que les différents hébergeurs se fondent généralement sur le respect du contrat passé avec le défunt, qui comprenait des engagements de leur part.
En droit français le contrat n’a d’effet qu’entre les parties signataires, les ayants droit devenant parties au contrat à la mort du signataire, détaille-t-elle, sauf si c’est un contrat «intuiti personae», qui prend fin à la mort du cocontractant.
Pour Juliette Crouzet, les sites pourraient arguer que les contrats
qui les lient à leurs utilisateurs sont intuiti personae, et que les
héritiers n’ont rien à faire là-dedans, et un juge français pourrait
tout à fait leur donner raison.«Les héritiers peuvent dire ouvrez-nous le compte et permettez-nous de récupérer ce qui nous appartient.»Et aller devant la justice si on le leur refuse.
Récupérer des données, peut-être, mais récupérer des identifiants? Il n’est pas sûr que le juge donnerait raison à des héritiers voulant les mots de passe de leurs parents pour autant. Dans un passionnant mémoire à l'Edhec intitulé Mourir en ligne: les héritiers peuvent-ils accéder aux données du défunt? (PDF), Juliette Crouzet explique que les différents hébergeurs se fondent généralement sur le respect du contrat passé avec le défunt, qui comprenait des engagements de leur part.
En droit français le contrat n’a d’effet qu’entre les parties signataires, les ayants droit devenant parties au contrat à la mort du signataire, détaille-t-elle, sauf si c’est un contrat «intuiti personae», qui prend fin à la mort du cocontractant.
Les services en ligne proposent d’ailleurs généralement un moyen de faire parvenir une partie ou tout le contenu des données d’un défunt, sans pour autant donner son mot de passe. Etudions d’un peu plus près quelques cas de figure (évidemment non exhaustifs, étant donnée l'omniprésence de l'Internet dans nos vies...) en fonction de votre héritage numérique.
1 Les comptes PayPal
Comme nous l’ont rappelé les services fiscaux français récemment, un compte PayPal est un compte bancaire comme un autre. Il fait partie de votre patrimoine au même titre que vos autres comptes en banque, et ses fonds (s’il y en a) peuvent donc être transférés et le compte fermé.Les conditions générales d’utilisation et le règlement propre à la vie privée du porte-monnaie électronique n’évoquent pas la marche à suivre en cas de décès, mais tout est bien expliqué sur ses forums.
A défaut, vous pouvez aussi faxer certificat de décès, copie du
testament ou d’autres documents légaux prouvant que vous êtes bien
l’administrateur du patrimoine, votre pièce d’identité, et une lettre
indiquant quoi faire des fonds restants.
Là, ça se corse. Comme on l’expliquait au moment où circulait une rumeur affirmant que Bruce Willis voulait attaquer Apple pour pouvoir léguer la bande-originale de sa vie à ses filles, vos chansons ne vous appartiennent pas.2 Votre librairie iTunes ou Amazon
Quand vous achetez un produit iTunes, vous acceptez qu’il ne vous soit «concédé que sous forme de licence»,
préviennent les conditions générales d’utilisation (vous savez, le long
texte qu’on ne lit jamais alors qu’on devrait...). Cette licence
précise par exemple que vous avez le droit de télécharger sur 5
ordinateurs maximum et 10 appareils au total vos produits iTunes…
Dans la pratique, si vos héritiers récupèrent votre iPod ou votre
ordinateur, conserver les morceaux ne sera pas compliqué. Les CGU
d’iTunes vous autorisent à «graver une liste de lecture audio jusqu’à
sept fois maximum». Une autre solution est donc de graver votre
librairie sur CD histoire d’obtenir un bien physique à léguer.
Comme le notait Rue89 en se plongeant dans les CGU d’iTunes, Amazon et Google, ce n’est pas possible pour les livres achetés sur l’iBookStore ni
pour les ebooks achetés sur Amazon. Mieux vaut donc laisser son Kindle
et ses codes d’accès si on veut que ses héritiers puissent se plonger
dans ses livres... Autrement dit, il faut léguer un bien physique pour
pouvoir léguer les biens numériques qui y sont stockés.
3 Les emails
Peut-on récupérer les emails d’une personne quand elle décède? Google, dont le service Gmail était en 2009 utilisé par plus d’un internaute français sur deux, a mis en ligne depuis avril 2013 une interface pour déterminer le destin de son compte une fois que celui-ci devient inactif.
Les personnes que vous désignerez comme vos bénéficiaires recevront un mail de ce type après un temps d’inactivité décidé à l’avance par vous (minimum 3 mois):
Il s’agit de savoir de quels utilisateurs parle Google. En France, une célèbre jurisprudence sur un livre du médecin de Mitterrand a statué que «le droit d’agir pour le respect de la vie privée s’éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit».
Google ne pourrait donc pas opposer la protection de la vie privée du
titulaire du compte décédé à ses héritiers. Mais la loi protège aussi le
secret des correspondances, et les emails sont des correspondances. Or
les destinataires de ces emails ont droit au secret de leur
correspondance. Et on voit mal comment Google pourrait vous transmettre
les mails reçus par le défunt sans que soient inclus certains de ses
mails reçus.Jean Dupont (jean.dupont@gmail.com) nous a demandé de vous envoyer cet e-mail automatiquement une fois qu'il aura cessé d'utiliser son compte.Cet exemple donné par Google lègue tout à un bénéficiaire, mais vous pouvez choisir quelle personne reçoit quel type de données. Si vous n’avez pas prévu ce cas, vos proches peuvent tout de même demander à Google d’accéder à vos comptes sur ses services. Mais là, bon courage, puisqu’après avoir envoyé certificat de décès et compagnie, ils vont devoir présenter «une ordonnance d’un tribunal des Etats-Unis» après une «procédure judiciaire complémentaire». Google justifie ce parcours du combattant par son «engagement à protéger la vie privée des utilisateurs».
Il vous a autorisé à accéder aux données de compte suivantes :
· +1· Blogger· Drive· E-mails· Picasa Albums Web· YouTube
Comme le notait Numerama en 2012, Yahoo a également un processus en place, qui semble plus simple à suivre, tout comme Microsoft pour les comptes hotmail, MSN et Outlook. Microsoft demande beaucoup d'informations sur le compte (comme la ville tapée comme lieu de résidence lors de la création du compte...), et les deux services se proposent de transmettre les mails du défunt et/ou de fermer son compte.
4 Facebook
Le réseau social, qui est en pleine perte d’ados et pourrait avoir plus d’utilisateurs morts que vivants d’ici 50 ans, a réfléchi au sujet. Les proches d’une personne décédée peuvent au choix fermer ou «mémorialiser» son compte, comme on vous l’expliquait en 2010.Le droit à ne rien léguer
Et si, à l'inverse, vous ne voulez pas que vos héritiers aient accès à vos mails ou vos messages Facebook coquins? «Il ne peut pas y avoir un bien qui n’appartient plus à personne», explique Maître Cagniart. «Ce qui est dans votre patrimoine se transmet», donc il faudrait demander à un exécuteur testamentaire de fermer les comptes en question.Une de ses clientes qui n’avait pas d’héritiers a par exemple récemment légué son patrimoine à des associations, à condition que tous les ordinateurs et disques durs soient détruits. Espérons pour vous que vos enfants n’aient pas récupéré un ordinateur où vous avez fait l’erreur d’enregistrer vos identifiants, et/ou qu’ils acceptent de respecter vos volontés, sans quoi il vaut mieux que cet exécuteur fasse vite…
Un problème potentiel des testaments, c’est qu’ils sont souvent
ouverts plusieurs semaines voire plusieurs mois après le décès, explique
Gaël Perdriau, qui a co-fondé Edeneo.fr,
un site qui permet entre autres de laisser ses identifiants à un ou
plusieurs destinataires. En vous inscrivant sur le site, vous désignez
des «vérificateurs», deux personnes de confiance de votre
entourage qui sont chargés de prévenir Edeneo de votre décès. L’équipe
vérifie ensuite auprès de la mairie, puis les personnes désignées comme «bénéficiaires» reçoivent un mail leur expliquant qu’ils ont reçu des choses du défunt, auxquelles ils ont accès via un lien sécurisé.
Bien sûr, vous pouvez aussi vous contenter de dire à vos proches ce
qui, de vos messages Facebook, de votre musique iTunes, etc. devrait
revenir à untel ou unetelle. Et, pour laisser un héritage numérique sans
tache, effacer régulièrement vos messages compromettants, histoire que
personne ne tombe dessus. Un conseil pas forcément facile à suivre, mais
qui vous rendra la mort (et la vie d'ailleurs) plus tranquille.Cécile Dehesdin
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