L’intelligence émotionnelle influence-t-elle la qualité ou l’efficacité du leadership chez un individu ?
Le pouvoir du gestionnaire moderne est d’exercer une influence sur son entourage. Un gestionnaire ne peut pas obliger son entourage à se soumettre à son leadership: son pouvoir d’influence est acquis librement. Pour exercer ce pouvoir, le gestionnaire analyse la systémique de l’entreprise et les variables de son environnement afin d’adopter les comportements requis dans un contexte particulier. Mais ce n’est pas tout d’adopter tel ou tel style de gestion : un leader doit aussi communiquer et interagir avec son entourage afin de transmettre sa vision. En définitive, c’est grâce à ses habiletés sociales qu’un leader communique et propage son influence dans toute l’organisation.
De façon simplifiée, la théorie de l’intelligence émotionnelle stipule que l’être humain possède deux cerveaux : un cerveau primaire dénommé le cerveau limbique et un cerveau secondaire dénommé le cortex cérébral. La primauté du cerveau limbique découle du fait que c’est un vestige des millénaires d’évolution qui a lentement fait passer le lézard au singe jusqu’à l’homme. Les mécanismes limbiques empruntent plus au système immunitaire et à l’intuition qu’à la raison. Fonctionnant indépendamment du néocortex et possédant une structure qui lui est propre, il est responsable des émotions et des mécanismes instinctifs de survie de l’espèce. C’est lui qui agit lorsque, par exemple, nous plaçons notre bras sans réfléchir afin d’éviter le danger d’un ballon qui se dirige sur notre tête ou lorsque nous ressentons une vive émotion en pensant à un souvenir quelconque. Le cerveau cortical s’est développé lentement, avec l’évolution de l’espèce. Il est responsable des opérations plus complexes comme le langage et la pensée.
Les émotions et la raison fonctionnent différemment : « on ne peut pas commander à une émotion d’augmenter ou de disparaître de la même façon qu’on peut commander à son esprit de commander ou de se taire »(Schreiber, 2005, p.22), d’où l’importance qui doit être accordée à notre intelligence émotionnelle, c’est-à-dire à l’équilibre entre notre raison et nos émotions. Un état de résonnance émotionnelle qualifie l’atteinte de cet équilibre et un état de dissonance émotionnel qualifie son débalancement.
La gestion des émotions n’est pas innée; c’est un processus acquis qui peut être amélioré par les apprentissages du retour sur soi. Certains individus sont en état de dissonance émotionnelle, car leur raison ne laisse aucune place à leurs émotions alors que d’autres individus sont trop émotifs et n’arrivent pas à prendre le recul rationnel nécessaire pour prendre une bonne décision. Dans un cas comme dans l’autre, une mauvaise gestion des émotions entraîne des conséquences désastreuses comme les problèmes psychologiques en milieu de travail et le surmenage professionnel. À cet égard, plus de 500 000 personnes s’absenteraient du travail chaque semaine pour des problèmes de santé mentale reliés à l’emploi (Radio-Canada, 2004).
Introduite par Salovey et Mayer en 1990, l’intelligence émotionnelle a été popularisée par Goleman en 1995 qui l’a ensuite introduit dans les sphères du management en 2004. Son argument fondamental est qu’un leader doit être en mesure de maîtriser et de comprendre ses propres émotions s’il veut comprendre les émotions de son environnement social et maximiser les relations sociales au travail. Toujours selon lui, le leader est un guide émotionnel dont le pouvoir contagieux est de propager la résonnance au sein de l’organisation. Sa force est de comprendre que les décisions au travail relèvent plus souvent des émotions que de la raison, ce qui lui permet d’adapter son style de gestion en conséquence.
L’intelligence émotionnelle est au fondement de la maîtrise de soi et des aptitudes à la vie sociale. C’est « l’habileté à percevoir ses propres sentiments et émotions ainsi que ceux des autres, à les analyser et à les utiliser dans son raisonnement et ses actions» (Trottier, 2006, para. 2). En ce sens, elle est un des facteurs du succès des communications et des interactions d’un leader avec son entourage. Lorsque, par exemple, un dirigeant éclate de colère quand il confronte un employé aux prises avec de très mauvaises performances, son choc émotionnel risque non seulement de lui faire prendre les mauvaises décisions, mais plus fondamentalement de briser le lien de confiance avec son subordonné et de détériorer leurs relations de travail.
Le fait de développer des compétences émotionnelles permet à un gestionnaire d’être en harmonie avec les attitudes, les valeurs et les croyances des membres de son organisation, ce qui favorise par le fait même son leadership et son pouvoir d’influence. Selon George (2000), un gestionnaire ayant une intelligence émotionnelle plus élevée est souvent perçu comme étant plus efficace par ses subordonnés. En fait, c’est la dimension humaine du leader émotionnel qui lui confère la légitimité de son efficacité.
Le leader émotionnel ne rationalise pas seulement les résultats de l’organisation, mais s’intéresse aussi aux émotions de son capital humain. Si, par exemple, un employé est déprimé, car il est en instance de divorce, rien ne sert de lui donner de nouvelles responsabilités, car celui-ci n’est pas en état de les accomplir. Le leader émotionnel a une facilité pour comprendre les besoins des individus qui l’entourent et élabore des buts et des objectifs réalistes qui favorisent un sentiment d’appartenance collectif. Sa perspicacité dans l’analyse de l’environnement social et émotionnel de son organisation lui permet une plus grande flexibilité décisionnelle ce qui l’aide à propager et maintenir un enthousiasme contagieux au travail. Le pouvoir de son influence est inspirant, ce qui motive les individus à adopter les comportements souhaités (Trottier, 2006).
Encore une fois, il est intéressant de constater que le phénomène de l’intelligence émotionnel advient dans un contexte où la suprématie des entreprises rationnelles, fonctionnelles et bureaucratiques est en déclin. La performance d’une organisation ne peut plus reposer uniquement sur l’amélioration de ses modes de production et de ses processus de contrôle, mais doit inévitablement passer par la synergie du travail des ressources humaines, l’amélioration et l’élargissement de leur éventail de compétences et la maximisation de leur motivation au travail.
À l’importance d’une fonction impersonnelle s’est substituée l’importance de l’individu. Le gestionnaire moderne doit exceller dans sa capacité de maintenir et d’entretenir les bonnes émotions au travail, d’autant plus que le décloisonnement de l’entreprise postindustrielle suscite de plus en plus l’autonomie décisionnelle et la participation active des employés. C’est dans une logique de leadership transformationnel et coopératif, qui prône des valeurs comme la considération et les habiletés interpersonnelles, que l’efficacité de l’intelligence émotionnelle prend tout son sens.
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