Le déficit des finances publiques et le déséquilibre de nos échanges extérieurs ont la même origine, l'insuffisance du «made in France».
«Pour sensibiliser ses concitoyens, Valérie Pécresse aurait pu leur faire remarquer qu'en dépit de tous les efforts demandés, les dépenses de l'État (366 milliards d'euros) ne seront couvertes qu'à 79 % par des recettes en 2012»
Notre pudeur dût-elle en souffrir, «nous sommes scrutés», a lancé Valérie Pécresse, en présentant le projet de loi de finances 2012. On ne saurait reprocher à la ministre du Budget sa candeur tant elle dit vrai. Elle fait allusion bien sûr aux agences de notation qui pourraient nous retirer la note «triple A» synonyme de financement à conditions privilégiées. On regrettera seulement qu'il faille recourir à ce genre d'argument pour convaincre les Français d'assainir leurs finances publiques. Comme si l'opinion ne pouvait comprendre que les déficits constituent un mal en soi, à l'origine de toutes nos difficultés, et notamment le chômage.
Valérie Pécresse a raison de dramatiser la situation. Des six pays bénéficiant du triple A dans la zone euro, la France est le seul qui affiche un «déficit primaire». Nous ne sommes pas capables d'équilibrer nos comptes publics, même si l'on fait abstraction du paiement de la charge de la dette, laquelle s'élèvera cette année à 46,8 milliards d'euros. Selon le FMI, le déficit primaire français a représenté 4,9 % de notre PIB en 2010, le même chiffre que pour la Grèce.
Les gouvernements ont renoncé à s'exprimer en des termes simples
Or loin d'être un concept technique, le déficit primaire revêt une dimension pratique considérable. Imaginons que la Grèce jette l'éponge et fasse défaut. Certes, elle n'aura plus à payer ses créanciers, mais du jour au lendemain il lui sera impossible d'obtenir le moindre crédit nouveau : l'Argentine en a fait la cruelle expérience en 2001. Comme son budget resterait fortement déséquilibré (4,9 % du PIB), Athènes n'aurait d'autre choix que d'ajuster instantanément ses dépenses au niveau de ses recettes. L'actuel plan d'austérité qui fait tant souffrir les Grecs apparaîtrait comme une promenade de santé en comparaison.
L'Hexagone n'en est pas là. Même si la dette tricolore était dégradée, nous continuerions d'obtenir des prêts. Le Français est scruté, mais il n'est pas (encore) fait comme un rat. Pour sensibiliser ses concitoyens, Valérie Pécresse aurait pu, et dû, leur faire remarquer qu'en dépit de tous les efforts demandés, les dépenses programmées de l'État (366 milliards d'euros) ne seront couvertes qu'à 79 % par des recettes (288,8 milliards) en 2012. N'importe quel ménage comprend qu'il ne pourrait gérer son propre budget ainsi.
Mais curieusement les gouvernements ont renoncé depuis des lustres à s'exprimer en des termes simples qui fassent appel à l'intuition du public. Ainsi ne cesse-t-on de présenter les déficits et la dette en pourcentage du PIB (le produit intérieur brut), ce qui est bien trop abstrait. Rappelons que la règle des «3 % du PIB» - plafond «autorisé» pour le déficit annuel, au cœur de la réglementation européenne - est à l'origine une invention française. Comme il l'a rappelé lui-même dans un article de La Tribune, Guy Abeille, chargé de mission au ministère des Finances en 1981-1982, avait concocté ce ratio à la demande du gouvernement Mauroy soucieux de se donner des garde-fous. Guy Abeille est le premier à admettre que «ce seuil magique, pour un peu chamanique» n'a aucun fondement économique.
Il aurait été bien plus parlant d'instaurer une «règle d'or» selon laquelle les dépenses courantes de l'État - hors investissements - devraient obligatoirement être financées par des recettes de l'année. Au lieu de quoi la norme totalement arbitraire des 3 %, qui devait valoir comme une «limite infranchissable», a permis toutes les dérives. Les Français ne perçoivent plus qu'avec un déficit qui représentera encore 21 % des dépenses l'an prochain, ils vivent très au-dessus de leurs moyens.
Nos exportations représentent à peine 84,7% de nos importations
Il est une autre façon de s'en apercevoir, c'est de regarder le commerce extérieur. Là aussi la France est le seul pays «triple A» qui soit déficitaire. Nos exportations représentent à peine 84,7 % de nos importations. Entre ce que nous achetons et ce que nous vendons à l'étranger, l'écart est donc d'un peu plus de 15 %. Prévoyant un déficit global historique de 75 milliards d'euros en 2011, Pierre Lellouche avoue que «le déficit commercial avec la Chine» représente pour lui «un cauchemar quotidien». Espérons que le secrétaire d'État au Commerce extérieur parviendra à s'en éveiller. Sa présentation de la Chine comme bouc émissaire est en tout cas réductrice. Car dans la mondialisation des chaînes de production, ce qui est assemblé en Chine et vendu en France, comme les iPad, est en réalité «made in world» bien plus que «made in China».
Comment expliquer l'insouciance avec laquelle les Français observent la dégradation de leurs comptes extérieurs ininterrompue depuis 2002 ? L'euro a certes servi d'anesthésiant. Les déficits commerciaux ont cessé d'avoir un impact sur le taux de change : finies les dévaluations humiliantes du franc ! S'y ajoute cette sottise de gros calibre, proférée par les ministres de l'Économie successifs : «La consommation est le moteur de la croissance en France» (sic), disent-ils. Or ce moteur a besoin de carburant pour tourner, autrement dit de revenus, de salaires et donc de production. Voilà le véritable moteur de la croissance française. Les deux déficits, externe et interne, respectivement de 15 % à 20 %, sont étroitement liés et ils ont la même origine : l'insuffisance de notre appareil productif et du «made in France». Reconnaître une telle évidence constituerait déjà un grand progrès.
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