Louis Ferrante a baigné dans l’univers de la mafia depuis sa tendre enfance. Il a commis ses premiers méfaits à 10 ans seulement. À 17 ans, il braquait des camions de livraison ; son audace l’a fait remarquer de la famille new-yorkaise Gambino, qui l’a recruté. À 21 ans, il dirigeait sa petite équipe, qui a commis des coups rapportant plusieurs millions de dollars. Sa progression a alors été stoppée net le jour où des repentis l’on balancé à la police.
En prison, il faisait face à des accusations pouvant l’amener à finir ses jours derrière des murs épais, mais il était prêt à vivre ainsi, car cela faisait partie des règles du jeu. La police lui a proposé de devenir lui-même un repenti, et donc de dénoncer ses anciens amis mafieux, en échange de la liberté, mais il s’y est refusé : le code d’honneur de la mafia l’en empêchait. Mais voilà, les années passant, il a remarqué que ce fameux code n’était pas respecté par les prisonniers. Cette découverte l’a choqué, au plus profond de son être. L’inconcevable se produisait sous ses yeux : même les chefs de famille dénonçaient les leurs afin de respirer à nouveau un peu d’air frais. Il a par conséquent décidé de quitter la mafia!
«J’ai pris la résolution de me réinventer. Complètement. De A à Z. Je me suis dit que mon rêve serait de devenir un écrivain à succès. Et je me suis donc mis à lire, pour la première fois de ma vie», m’a-t-il dit, en racontant, pince-sans-rire, avoir mis la main sur son premier livre après avoir demandé à un prisonnier couvert de tatouages «Là, sur tes bras, c’est plein de citations de la Bible, c’est donc que tu sais lire, tu peux me passer un bouquin, mec?»…
Un dictionnaire en mains, il s’est mis à lire tout ce qu’il pouvait. Sa cellule est vite devenue une mini-bibliothèque. Il lisait, lisait et lisait, jusqu’à ce que ses yeux lui fassent trop mal pour continuer. Et ce, huit années et demie durant. Le temps qu’il lui a fallu pour apprendre assez de droit pour se représenter lui-même, sans avocat, et pour démonter les dossiers d’accusation auxquels il faisait face. Résultat : il a fini par sortir de prison, alors que personne ne donnait cher de sa peau au départ.
Louis Ferrante a sorti cette année son second livre, intitulé Mob Rules – What the mafia can teach the legitimate businessman. Un ouvrage passionnant, qui part d’un principe très simple : le code en vigueur à la mafia est ce qui lui a permis d’être une organisation durable et prospère, il n’y a donc pas de raison qu’il ne puisse pas être applicable dans d’autres domaines, qui se soit pour diriger une entreprise ou une équipe.
Je sais, j’en vois parmi vous qui sourcillent en lisant ça : «La mafia flingue ses concurrents et casse des bras à ceux qui ne payent pas leurs dettes en temps et lieu. C’est facile de se faire ainsi respecter. Mais ça ne peut pas fonctionner dans le vrai monde», pensez-vous peut-être. À cela, M. Ferrante a une réponse qui me semble solide : «La violence est plus rare qu’on ne le croit dans les affaires de la mafia. Ce sont les films quoi donnent cette impression. La grande majorité du business se déroule comme dans le monde légal, et ça marche parce que tout le monde respecte le code», m’a-t-il expliqué.
Dans son livre, il souligne d’ailleurs que quantité d’entreprises légales sont gérées en toute légalité, mais aussi en toute discrétion, par des chefs mafieux, généralement depuis un siège du conseil d’administration. «Patsy Conte, un lieutenant de la famille Gambino, a longtemps dirigé les supermarchés Key Food, sans que personne ne le sache vraiment. Il a fallu qu’un journaliste sorte l’info pour que ça s’ébruite», illustre-t-il.
Alors, quels sont les enseignements de ce code de la mafia, garant semble-t-il du succès? Mob Rules en dévoile l’essentiel, à travers 88 leçons. Cela va de «Why Frankie Fever don’t believe the hype?» à «Turning garbage into gold: sniffing out opportunity» et à «Count on yourself and you’ll never be counted ou» en passant par «Capone, Harvard, and Yale: The key to growth». On le voit bien, chaque leçon vise à voir le leadership sous un nouveau jour, celui de la mafia.
Un exemple parmi tant d’autres, celui titré «Social clubs have solid steel doors – that are always open : an open-door policy»… Louis Ferrante y explique qu’à New York, il y a quantité de bars communautaires où les Italiens vont jaser et regarder les matches de soccer à la télévision. Ce sont, bien entendu, des lieux de rencontre pour les mafieux, et parfois le bureau de travail d’un chef local. Des gardes sont postés en permanence en différents endroits, mais n’entravent jamais le passage des «employés». Ces derniers ont ainsi libre accès à leur chef, sans aucun contrôle particulier. «Comment se fait-il que le boss soit efficace s’il est disponible pour tout le monde? Pour commencer, il fait virer les casse-pieds : ceux qui viennent l’embêter pour des broutilles perdent le privilège de le voir quand ils le désirent. Appliqué au bureau, c’est comme si sa secrétaire tenait une liste noire des emmerdeurs», écrit-il.
Et de poursuivre : «Un boss qui ferme sa porte aux employés se lie les mains. Il lui est alors impossible d’être au courant de tout, du moins des informations déterminantes pour la saine gestion de ses activités. Imaginez un boss qui ne parle réellement qu’à trois de ses lieutenants et à personne d’autre, eh bien, c’est comme si vous imaginiez quelqu’un enfermé dans une cellule qui ne verrait le monde qu’à travers ce que lui en disent ces trois individus».
«La politique de la porte ouverte à tous donne au leader l’accès aux informations vitales pour ses activités. Et elle lui confère un immense respect», souligne-t-il.
On le voit bien, les conseils de Louis Ferrante sont multiples et variés. De surcroît, ils sont toujours teintés d’un humour séduisant, révélateur d’une grand agilité intellectuelle. À l’image de cette petite phrase de son cru, on ne peut plus empreinte de sagesse : «Victory without follow-up is like pasta without dessert»…
Une citation permet de comprendre l’omniprésente logique en arrière des décisions des chefs mafieux, celle de Clemenza, dans le film Le Parrain : «Leave the gun, take the cannoli». De fait, pourquoi les assassins mafieux laissent-ils tomber l’arme du crime à l’endroit-même où celui-ci a été commis? La réponse : parce qu’ils ne veulent surtout pas être pris avec elle par la police durant leur fuite. C’est une question de calcul de probabilités, pas de style. À partir du moment où l’arme a été manipulée par le meurtrier sans laisser d’empreinte et où sa traçabilité a été effacée, celle-ci est guère utile aux policiers. Elle peut donc leur être laissée. Alors que si le meurtrier avec l’arme dans sa poche, c’est une toute autre histoire. CQFD.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.