Il paraît que, pour tuer le temps, il joue encore aux échecs. Depuis quelques jours, Dominique Strauss-Kahn attend, place des Vosges, à Paris, sa convocation dans l'affaire du Carlton de Lille, où son nom a été cité par des témoins. Il a pris les devants dès que son nom est apparu dans la presse et demandé à s'expliquer.
"Il est chez lui toute la journée, il tourne en rond", confie un proche. Seul, ces derniers jours. Anne Sinclair est restée dans son riad, à Marrakech. Dehors, ceux qui, à la rentrée encore, criaient à l'"opération politique" quand la justice française examinait la plainte pour "tentative de viol" déposée par Tristane Banon, gardent le silence. Y compris Michel Taubmann, le biographe du futur candidat, l'auteur d'un Roman vrai de Dominique Strauss-Kahn (Editions du Moment) qui devait dire l'histoire officielle. Même Michèle Sabban, la fidèle d'entre les fidèles, celle qui, pour lui, avait endossé toutes les accusations "complotistes", ne répond plus.
L'ex-patron du Fonds monétaire international (FMI) ne sort pas de chez lui, par peur des insultes, fréquentes. Et ceux qui lui rendent visite dans sa "prison dorée" se comptent sur les doigts de la main. Il y a eu François Pupponi, son héritier dans son fief de Sarcelles (Val d'Oise), lui-même entendu dans une autre affaire, celle du cercle de jeux Wagram. Son ex-lieutenant, Jean-Christophe Cambadélis, rallié à François Hollande. C'est presque tout. "Après le Sofitel, on l'appelait, glisse une de ses têtes chercheuses. Là, c'est fini. On ne lui téléphone plus. Plus envie."
"JE NE VEUX PLUS JAMAIS ENTENDRE PARLER DE CE MEC"
Entre l'ex-favori de la primaire PS et ceux qui se préparaient à devenir ses apôtres, la ligne est définitivement coupée. Un de ceux qui avaient placé en lui ses espoirs et planché depuis des mois sur le scénario présidentiel résume le sentiment d'une strauss-kahnie qui s'avoue trahie : "Je suis très en colère. On a été trompés. Il nous a trompés. Je ne veux plus jamais entendre parler de ce mec." Au lendemain des premières révélations sur le scandale lillois, la phrase a fait florès chez les socialistes : "On devrait édifier une statue à Nafissatou Diallo." "Je ne me dis pas comme certains 'à quoi a-t-on échappé ?', mais bien 'heureusement qu'il n'a pas été élu'", confie Marisol Touraine, strauss-kahnienne et députée de l'Indre et Loire. "Il ne pouvait pas être président. Maintenant, je ne veux plus en entendre parler. C'est derrière moi."
Laurent Fabius a parlé, vendredi 28 octobre, de "tristesse". Sandrine Mazetier, députée de Paris : "C'est plus que de la déception, c'est de la colère. On est tous très marqués par cette affaire. On trouve inimaginable de n'avoir rien su, rien vu. C'est comme dans les dénis de grossesse, où l'entourage immédiat ne voit rien non plus. C'est vertigineux." Même M. Cambadélis ne peut plus le soutenir. Il soupèse une phrase qui, comme toujours chez lui, prend l'allure d'un communiqué. "Aujourd'hui, je ne veux ni l'accabler, ni l'excuser."
Au bord du gouffre, soumis, en conseil fédéral ou réunions de section, aux quolibets de leurs camarades – "franchement, ton Dominique…" – les anciens amis de DSK sont saisis de vertige. Car le scandale les éclabousse un peu, forcément, eux qui ont toujours nié ou refusé de voir la face noire de leur héros. "Les Français doivent se dire, au choix, que nous étions complices, et c'est faux. Ou bien que nous sommes des cons", enrage une élue strauss-kahnienne. Il y a un mois, les fidèles, tels Ramzi Khiroun, porte-parole du groupe Lagardère et proche conseiller d'Arnaud Lagardère, faisaient la leçon aux journalistes : "J'apprends que tu dis que j'ai couvert les frasques de DSK…"
"IL Y AVAIT DEUX DOMINIQUE, ET NOUS NE L'AVONS PAS VU"
Aujourd'hui, à EuroRSCG, Gilles Finchelstein et Stéphane Fouks se taisent. Tous cherchent à plaider leur cause : "Comment peut-on penser qu'on savait qu'il avait un réseau à Lille ? interroge l'un d'eux. Si le cercle politique proche l'avait su, il ne l'aurait pas poussé à se présenter. On n'est pas fous !"
Après l'épisode du Sofitel, ils osaient encore, comme M. Cambadélis, le couple "libre, soixante-huitard". Signe des temps, ils acceptent de parler de "libertinage". Ainsi ce poids lourd de la strauss-kahnie, toujours à la recherche d'explications: "Il y avait chez Dominique une lutte à mort entre la contrainte d'une candidature qui s'imposait à lui, et la pulsion, celle de son mode de vie soit disant libertin. Plus nous avons exercé de contraintes, plus il était obligé d'organiser ses pulsions ailleurs que dans notre espace. Il s'est donc mis avec des gens que nous ne connaissions pas. Tout cela a fini par occasionner une névrose et un personnage clivé. A un moment donné, le disque dur a fondu." Et ce proche conseiller, qui a perdu un mentor et un ami : "Il y avait deux Dominique, et nous ne l'avons pas vu."
Son cercle parisien jure avoir découvert dans le dossier lillois les soirées avec des prostituées dans des établissements parisiens et à Washington, notamment jusqu'au 13 mai, la veille de son arrestation à New York. "Ce qui est sidérant, c'est que c'était très compliqué d'aller voir Dominique au FMI. Et là, on apprend qu'il y avait des flics et des filles qui venaient lui rendre visite", lancent-ils, agacés de comprendre qu'ils ont, en outre, été préférés. Fabrice Paszkowski, chef d'entreprise, militant socialiste mis en examen pour "proxénétisme aggravé en bande organisée et association de malfaiteurs" dans l'affaire du Carlton était l'un des piliers, dans le Pas-de-Calais, du club pro-DSK "A gauche, en Europe !" "Jamais entendu parler", jurent Olivier Ferrand, président de la fondation Terra Nova, et Mme Touraine, qui ont sabordé ce club.
Le commissaire lillois Jean-Christophe Lagarde, mis en examen, pour "proxénétisme aggravé" et "recel d'abus de biens sociaux" ? "On ne connaît pas ces mecs", assurent les proches de DSK. Le député du Finistère Jean-Jacques Urvoas, qui confirme avoir rencontré les deux hommes à la demande de DSK, et pris le premier "pour un flic", assure "tomber de l'armoire". Cruelle ironie de l'histoire pour le secrétaire national du PS à la sécurité, qui en vue de la campagne présidentielle, était chargé d'anticiper les sales coups qui ne manqueraient pas de s'ourdir contre le candidat…
"DOMINIQUE ET ANNE RESTENT DES AMIS"
"D'un Casanova, il est passé à un érotomane, puis d'un coup à un pornographe", cingle une ancienne collaboratrice. Et une députée ralliée à Hollande : "C'est simple, c'est le dégoût." Seuls quelques rares amis du couple acceptent de soutenir encore l'ancien ministre de l'économie, mais toujours en y mêlant sa femme. L'écrivain Dan Frank, chez qui se tenaient début 2011 les réunions préparatoires et qui se rêvait déjà "plume" de la campagne : "Dominique et Anne restent des amis. Et on n'abandonne pas ses amis s'ils sont à terre, quelles que soient les circonstances."
Las ! Même Anne Sinclair n'est plus cette "Antigone" décrite par Ivan Levaï et tant d'autres derrière lui, cet été. L'ancien mari de la journaliste et ami du couple publiait juste avant l'affaire du Carlton un livre insensé : DSK : chronique d'une exécution (Le Monde du 8 octobre). "Je ne vais pas changer de discours maintenant, persiste le dernier avocat de DSK. Je ne regrette rien, ne retire rien à ce que j'ai écrit et dit. J'en conviens, il y a des questions que je ne veux pas me poser. Les péripatéticiennes belges, ce n'est plus de mon ressort. Je suis fermé comme une huître."
A l'époque, DSK, auquel l'ancien patron d'Europe 1 avait soumis ses épreuves, l'avait remercié et félicité. C'était encore l'époque estivale où l'ex-futur candidat à la présidentielle disait à ses amis politiques : "Je m'en veux, pour vous." Une saison a passé, et DSK désormais murmure, paraît-il : "Je n'aurai pas assez de ma vie pour m'excuser."
Ariane Chemin et David Revault d'Allonnes
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